de Rochefort à Brest

17 Avril: me voici à nouveau au pied de Boisbarbu, après 800 km de route qui m'ont porté de Grenoble à Rochefort, en compagnie de mes passagers (covoiturage.fr) heureux d'avoir trouver un moyen de transport en cette semaine de grêve SNCF. Perché sur son ber (assez solide pour avoir résisté à la tempête Xinthia), l'étrave de Boisbarbu me domine.

10 jours de bricolage, de travail, de réparations, de maintenance, pour préparer Boisbarbu à sa mise à l'eau. Le doux climat de Rochefort m'enchante. Les matins brumeux laissent émerger la Corderie Royale des berges de la Charente. Un enchantement.

Les plus gros travaux sont:

La table à carte de Boisbarbu commence à ressembler à un tableau de bord de Super Constellation. Et déjà l'étrave de Boisbarbu est dévorée par le désir de fendre les flots.

Locomotive

Souvent, pendant cette période de carénage à Rochefort, je repensais à cette expérience que nous ont fait vivre 4 enfants, atteints du cancer, le week-end précédent, sur le voilier d'HP. Sensibilisés par les associations « A chacun son cap » et « A chacun son Everest », Evelyne et moi avons pu donner quelques instants de bonheur et de rêve à 4 jeunes ados, loin de leur lourd parcours médical. J'ai été bouleversé par ces jeunes, et en particulier par la petite Manon, qu'une tumeur au cerveau a rendue aveugle. Elle a même su barrer, Manon, avec beaucoup de finesse. J'ai été impressionné par leur maturité et nous sommes sortis de ce week-end plus riches et plein d'énergie. A refaire, en Septembre. Même le Dauphiné Libéré (du 6 Mai) nous a consacrés un article.

J'avais l'habitude de fixer un objectif puis un cap à un voilier. Mais donner un cap n'est plus suffisant. Encore faut il lui donner un Sens !

Rochefort: j'aime cette ville, imprégnée et respectueuse de son histoire. C'est pour moi une détente et un dépaysement de sortir du chantier et de déambuler dans les rues alignées de petits immeubles en pierres soigneusement taillées, m'arrêter sur un banc de la place Colbert, emprunter cette ruelle pavée avec les lests de navires revenant des Amériques, rentrer dans le parc imposant de la Corderie Royale, pour revenir en musardant par les bords de la Charente.

26 Avril: Mise à l'eau: le grutier prends du soin à tracter Boisbarbu du chantier jusque sur le quai sur environ 300m, parcours d'équilibriste qui ne peut se faire qu'à vitesse d'escargot. Puis la grue du quai soulève lentement Boisbarbu de son ber. Là j'ai le temps de passer une couche d'antifouling à l'emplacement des 4 patins qui ont porté Boisbarbu tout l'hiver, avant la grue pivote sur elle même, présente Boisbarbu au dessus du chenal et le pose délicatement sur l'eau. Le temps de vérifier l'étanchéité des passes coques et du presse étoupe et voici Boisbarbu libéré de ses sangles. Pour atteindre le bassin Bougainville, je dois attendre l'ouverture du pont levis, puis m'amarre à une place très calme ou je pourrai finir les préparatifs, habiller Boisbarbu de son accastillage de pont, ses voiles, ses tauds, et compléter son armement.

Le hasard a placéBoisbarbu devant 2 de ses frères Feeling 1090: Kalonèse et Kalais.
Comme chaque année, la montée et le travail dans le mât me prennent 2 ou 3 heures d'exercice de cirque.

29 Avril: Evelyne arrive ce soir, par le train. Je lui ai mijoté une belle visite de Rochefort et quelques belles surprises (comme la maison de l'orientaliste Pierre Loti), avant de quitter Rochefort, par la Charente qui nous ménera à l'océan.

Cette année notre navigation franco britannique sera simple et paisible. Je devrais dire plutôt « navigation britanno anglaise » vu que chaque voilier que nous croisons porte haut le pavillon rayé de 9 bandes Gwenn ha Du et flanqué de 11 mouchetures d'hermine.

Autant en 2009 j'avais besoin du large et de longues traversées, autant cette année je veux réconcilier Evelyne avec la mer, et l'apprivoiser aux climats celtiques. Je me résoudrai donc à caboter, ce qui n'est pas pour me déplaire. Nous nous laisserons fasciner par l'aquarelle magique des couleurs marines, ce qui me donnera le loisir de réviser la science de la navigation bretonne, ou marées, courants, seuils, barres, mascarets, marnages, jusant, dérives, syzygie, lignes cotidales et points amphidromiques, … rythment les plans de sorties et le comportement du marin.

Dimanche 2 Mai : un départ assez Rock ‘n Roll
Lever au son du réveil, alors que le bassin Bougainville baigne encore dans une aube incertaine. Grrrr ! je vous dis, il n'y a qu'en vacances qu'on utilise un réveil ! L'ouverture de l'écluse sur la Charente ne dure qu'une demi heure, à l'étale de pleine mer. ¼ d'heure pour les sortants, et ¼ d'heure pour les entrants. Tout silencieux, Boisbarbu pointe son nez dans le bassin La Pérouse, alors que l'écluse s'entrebaille dans un sinistre grincement. Un signe amical d'Ivan, le lamaneur de service, pour nous souhaiter bon vent…

Les 2 heures de descente de la Charente nous offrent un unique travelling sur la Corderie Royale, les cales de radoub, l'arsenal, les carrelets de pêche, le pont transbordeur, les hérons et busards, l'église de Soubise, Fort Lupin, le mouillage de Port des Barques. Il nous faut rester attentifs à la douzaine d'alignements successifs qui nous guident dans la partie navigable de la rivière, parmi les quelques profonds méandres avant d'atteindre l'océan. A l'embouchure, notre modeste objectif du jour nous ouvre son mouillage à 4 milles devant : l'île d'Aix, petit bijou réputé, et de passer la nuit dans son mouillage équipé de bouées. Histoire de faire durer le plaisir, nous tournons l'île à la voile, en passant devant Baby Beach, puis laissant sur tribord le célèbre et non moins hideux Fort Boyard. De retour aux bouées du mouillage, quelle n'est pas notre déception de constater que l'endroit est intenable en raison de la houle d'ouest et d'un vent nord ouest fort.

Tant pis, on n'a pas le choix, alors on file sur La Rochelle ou nous amarrerons de préférence dans le bassin des Yachts, au vieux port, ou à défaut aux Port des Minimes à l'extérieur de la ville historique. Quelques bords de près, contre ce vent d'ouest nous amènent devant les tours de La Rochelle, mais à basse mer. Le chenal est pratiquement à sec et donc impraticable. Nous attendons l'heure de pleine mer dans un mouillage à l'extrême est de l'île de Ré, devant le port commercial de la Pallice.

A l'issue d'une sieste bien méritée, je téléphone aux ports de La Rochelle pour réserver une place. On m' explique qu'en raison de la tempête Xinthia, de nombreux pontons sont en réparation et aucune place n'est délivrée aux visiteurs. Déception (nous qui voulions tant arriver en bateau à La Rochelle pour la visiter) et embarras puisqu'il va bien falloir passer la nuit quelque part. Aucun autre port proche n'est praticable par ces conditions de vent. Je fini par repérer un mouillage au sud ouest de l'île de Ré : l'anse du Martray. 3 heures de voile et virements de bord nous y amènent enfin, à 20h, pour la pleine mer. La hauteur d'eau, fugitive pour l'occasion, nous permet de nous introduire assez profond dans cette large baie ouverte (mauvais abri). Après de savants calculs sur les mouvements de marée, nous convenons d'un endroit assez loin pour nous protéger un peu de la houle du large, et assez profond en eau pour ne pas toucher de la quille pendant la nuit, à basse mer. Inconvénient tout de même de ce mouillage, une fois qu'on y est, on ne peut plus en sortir avant la prochaine pleine mer. Nous voici donc faits comme des rats, mais fourbus, frigorifiés et saoulés par 55 milles (100 km) de navigation au près, à taper dans la vague, pour le 1 er jour. Une bonne soupe brûlante, et au dodo. Seule l'alarme de mouillage retentira 4 fois dans la nuit pour me tenir en alerte et vérifier que le vent devenu fort ne nous fait pas déraper.

Au matin (lundi 3 Mai), les yeux bouffis, et malgré la flemme, nous décidons d'aller nous abriter au port des Sables d'Olonne. Mais le BMS (Bulletin de Météo Spécial) de 7h03 nous fait changer de couleur. Un coup de vent du nord, et généralisé s'établit sur tout le littoral et va nous empêcher d'atteindre Les Sables. Plus qu'une alternative : retourner à Rochefort, sur la rive droite de la Charente pour nous planquer pendant 2 jours, le temps de laisser passer ce coup de vent sans risquer de casser du matos. C'est la mort dans l'âme, mais intérieurement rassurés que nous envoyons un bout de génois à l'avant et nous laissons pousser par un puissant vent du nord jusqu'à l'île d'Aix, ou nous attendons l'heure du flot pour remonter la Charente et arriver à l'heure d'ouverture de l'écluse de Rochefort, 20h15 + ¼ d'heure.

2 journées de relâche après ce faux départ. On en profite pour aller visiter La Rochelle et faire les dernières mises au point sur Boisbarbu.

Evelyne me rapporte de la Corderie Royale, 6m de bout de chanvre pour que je lui matelote une baderne en guise de dessous de plat.

Jeudi 6 Mai: Sortie du port de Rochefort à 13h, avec la pleine mer et l'heure d'écluse. Descente de la Charente en s'aidant au mieux de la voile : on commence à connaître par cœur les alignements imposés. Puis remontée au près par de longs bords, l'île d'Aix, l'île de Ré que nous doublons de nuit. Je veux optimiser les oscillations du vent qui s'amuse à nous narguer et à contredire nos plans. Nous l'aurons donc « dans l'pif » jusqu'au bout. 4h du matin, mouillage dans la petite rade des Sables d'Olonne. A 10h, nous amarrons Boisbarbu à un catway du bassin Garnier. Visite dans le bassin d'Olona, ou le nouveau PRB de Vincent Rioux attire les badauds, entre 2 entraînements pour courir le Route du Rhum en Novembre, puis le Vendée Globe dans 2 ans.

C'est de ce chantier des Sables d'Olonne qu'est sorti Boisbarbu en 1993, alors dirigé par la société Kirié et maintenant racheté par Alliaura Marine.

Samedi 8 Mai: Ce matin la pluie qui crépite sur le roof ne nous incite pas à monter sur le pont pour démarrer la manœuvre. Nous préférons rester « au chaud » (10° dans le carré). Mais le jour se lève et il faut quitter ce port pour arriver à Port Joinville (Ile d'Yeu). 4 couches de fourrures polaires, les bottes, le ciré, le bonnet, les gants, et Zou ! Dehors ! Ouvrir le lazy bag, lover les gardes, démarrer le moteur, larguer les amarres, rentrer les pare battages. Le chenal des Sables, rendu célèbre par le départ du Vendée Globe qui rassemble des dizaines de milliers de spectateurs, nous conduit à la mer.

Pendant cette traversée sous spi, le vent d'Est nous laisse le loisir de terminer la lecture du livre de Nicole Van De Kerchove, jeune navigatrice des années 70, parrainée par Bernard Moitessier et Loic Fougeron. Au terme de 7 ans autour du monde, voici ce qu'elle dit des îles des Açores : « Je crois que des miettes de paradis se sont détachées du ciel, par erreur. Elles sont tombées dans l'océan, ce sont des îles : les Açores. Belles, verdoyantes, sillonnées de haies tout en fleurs bleues, et surtout peuplées d'habitants qui ont toute la gentillesse des Portugais… » Un brin de nostalgie de notre saison 2009.

Comme aux Açores, un troupeau de dauphins, joyeux et sauteurs, nous accompagnent en souriant.

Ile d'Yeu nous voilà. Tout de suite on se sent sur une île. Un petit je ne sais quoi d'ailleurs, une démarche, un sourire, la forme de cet arbre, l'allure des maisons, le calme ambiant, … J'aime les îles. Aussitôt Boisbarbu amarré à un catway, nous louons deux VTTs pour faire le tour de l'île par les sentiers. La côte sauvage nous séduit, par ses écrins rocheux qui protègent des bijoux de petites plages, par son tricot de single tracks (les VTTistes apprécieront), terrain joueur sous nos pédales. Pour finalement aboutir à l'anse de la Pipe, ou je retrouve l'école de voile ou j'ai appris sur Vaurien et Caravelle, mes premiers bords à la voile, en 1970, sans me douter à l'époque que la voile deviendrait une de mes passions. Séquence retrouvailles et émotion. Les Vauriens ont fait place à des catas de sport, et un grand bâtiment béton a remplacé les tentes marabout. Quand au nom de l'école, le CNID (Centre Nautique de l'Ile d'Yeu), est devenu le YCY (Yacht Club d'Yeu). Ca fait tout de même plus chic !

Le soir, pendant que la marina accueille une trentaine de bateaux de régate partis de Pornic, « Mirabelle », un bateau alu vient s'amarrer à notre bâbord. La skipper, Marie-France Musnier, nous régale de chansons de marin humoristiques, en s'accompagnant de la guitare ou de l'accordéon. Une artiste ! qui en est tout de même à 26 traversées d'Atlantique. Nous apprenons que les ventes de ses 2 disques de chansons sont entièrement données à la SNSM (Société Nationale de Sauvetage en Mer). Chapeau bas Marie-France, pour tout cela.

Dimanche 9 mai: Le vent s'est levé cette nuit. Encore dans la couchette, puis dans la grisaille d'une aube humide, Evelyne et moi répétons et visualisons notre manœuvre de sortie qui s'annonce délicate. Tous les équipages dorment encore, après une soirée de régate bien festive. Tous ces bateaux se sont entassés à couple des pontons, ne nous laissant que très peu de place pour en sortir. Il me faut faire un pacte avec le vent, pour qu'en ami, il nous fasse pivoter vers la sortie. Je lance à Evelyne « Largue ! », ce qu'elle fait au moment ou j'embraye arrière le moteur. Mais l'extrémité de son amarre se coince dans une fente métallique et coupante entre le ponton et le catway. Boisbarbu dérive sur Mirabelle. Notre manœuvre est irrattrapable. Recommençons tout à zéro. Après avoir maudit ce petit bout d'amarre coincé, il me faut lui faire confiance pour retenir Boisbarbu encore quelques secondes, et saute à terre pour tout ré amarrer. Ca me fait penser à un rappel d'escalade coincé dans la traversée de la Meije (encore un coup des années 70). Obligé de remonter dessus, alors qu'on est pas sur qu'il tienne bon. Sensation désagréable… Notre deuxième essai, avec l'aide d'Eole, sera parfaitement réussie.

Un bord de 53 milles par vent fort, dans le travers, nous mène à Belle Ile, avec une moyenne de 8 nœuds. Whaoooh ! Le vent d'est rendant certainement difficile les abords des ports du Palais ou de Sauzon, nous optons pour un mouillage sauvage de la côte sud de Belle Ile.

Goulphar, une calanque impressionnante, creusée dans le plateau fleuri de l'île. Le lendemain Belle Ile est bien triste, sous des seaux d'eau que nous déverse le ciel sombre et bas. Je commence à regretter ne pas avoir installé le chauffage dans le bateau, pour cette tournée atlantique.

Mardi 11 Mai: Nous quittons la calanque austère de Goulphar sous les rafales de Nord-Est. Mais la pluie cinglante des dernières 48h a cessé. Sous la pointe des Poulains de Belle Ile, la mer est croisée et le courant puissant. Une matinée tonique au petit largue, par un vent de 6 Beaufort nous propulse vers l'île de Groix.

« Qui voit Groix, voit sa croix ». Pour nous cette croix est celle marquée d'un coup de crayon HB sur la carte marine, en Septembre 1999. Partis de Lorient, avec tout beau tout neuf Boisbarbu, nous passions le cap Est de Groix pour nous élancer dans le Golfe de Gascogne puis Gibraltar, pour convoyer Boisbarbu jusqu'à Marseille. C'est donc la croix d'un grand souvenir.

Port Tudy, tu nous ravis. Incontournable visite à Ty Bedeff, le café mythique du port, qui a vu passé tant de marins rentrant esseulés et sortant saoulés par le rhum arrangé, secret de la maison. Le patron est malheureusement décédé en 2008.

Quelle étrange image que ces bateaux perchés dans le 2ème bassin, au dessus du niveau de la mer.

Mercredi 12 Mai: Le vent de nord-est (le « Nordé » disent les bretons) continue de nous aider dans notre progression sur les îles vers Brest. Devant nous se dessine l'Archipel des Glénan, labyrinthe de passes et d'alignements entre les 11 îles, autant d'îlots et une foultitude de roches, de basses, de patates, d'écueils, de hauts fonds, qui découvrent plus ou moins suivant la marée et modifient totalement le paysage de l'Archipel. Notre navigation a été fébrilement préparée, unanimement adoptée et répétée par la totalité de l'équipage (Evelyne et moi). Evelyne à la table à carte avec ordinateur et GPS, et moi dans le cockpit, avec les voiles, la barre, le sondeur, et un GPS portable dans lequel j'ai aussi rentré la route à suivre.

Penfret, Klud ar Yer, Guéotec, Roche Jambi, Brimilec, La Bombe, Cigogne, Drenec, Bananec, La Pie, Brunec, … sont autant de noms qui résonnent dans mon imaginaire et que j'ai l'émotion de matérialiser aujourd'hui.

Notre cheminement se déroule comme une partition bien répétée, jusqu'au mouillage de La Chambre, écrin au sein du lagon. Sur les isthmes de sable blanc, la mer est d'un bleu turquoise, comme dans un lagon polynésien. Seule la chaleur et les requins ne sont pas au rendez vous : ce matin la météo observe -1° sur les côtes bretonnes. Comme me le communique par SMS, Hervé qui navigue à Guernesey : « Ca caille ! ».

Note grammaticale : Oui, Glénan, sans « S » est bien l'orthographe correcte quand on parle de l'Archipel des Glénan_, alors que l'on rajoute un « S » quand on parle de l'Ecole de Voile des Glénan s.

Jeudi 13 Mai: Pour rallier Bénodet, nous tournons Les Moutons, puis les Pourceaux. Le courant de marée étant réputé violent dans le port de Penfoul, Boisbarbu pointe son étrave à 11h11mn, heure exacte de l'étale de basse mer. Pil Poil ! Quelle exactitude ! Pas étonnant pour un marin d'eau douce de Besançon, capitale de l'Horlogerie.

Bénodet : quel calme à cette saison, et quelle classe ! dans ce site exceptionnel abrité à l'embouchure de l'Odet. Un coup d'annexe nous permet de visiter également Sainte Marine (rive droite de l'embouchure de l'Odet), lieu de l'historique premier Abri du Marin, fondé par Jacques de Thézac.

Vendredi 14 Mai : Après avoir souhaité au téléphone l'anniversaire de ma fille Lorette, et remonté la rivière de l'Odet un brin humide et sinistre puis localisé la longère d'Eric Tabarly, nous mettons le cap sur Loctudy ou nous amarrons à 21h sur un coffre devant le port. Aussitôt les instruments éteints, nous troquons notre ciré contre un bon blouson coupe vent, sautons dans l'annexe pour visiter Loctudy et se manger une galette au sarrasin, fourrée d'andouille et lardons, arrosée de large bolées de cidre sec. Hmmm ! Loctudy est charmant et très calme. Plus une âme dans les rues à 22h.

Samedi 15 Mai: Cap sur Audierne qui est le meilleur départ pour passer demain la Pointe du Raz. Nous passons d'abord la pointe Penmarch' et son très haut phare d'Eckmuhl, que l'on avait visité en 1995 lors de notre tour de Bretagne en vélo.

Un gros porte container semble faire route de collision avec nous. Cette année, Boisbarbu est équipé de l'AIS (Automatic Identification System) qui se révèle un très puissant outil pour prévoir et paré ce genre de situation dangereuse.

l' AIS: Sous les 3 écrans, on peut voir le navire qui se dirige vers Boisbarbu.

Ce que m'apprend l'AIS :

•  Le nom du navire : CMACGM

•  Ses dimensions : 118m de long et 30m de large

•  Sa vitesse : 21,40 N : effrayant !!

•  Son cap : 124°

•  Sa distance : 7,55 M, dans un relèvement de 309°.

•  Dans combien de temps nous entrerons en collision : dans 9mn 17s : juste le temps pour nous de faire notre prière

Dans un écran précédent, j'avais noté que ce navire faisait route au 121°. Il a donc infléchi sa route de 3° tribord pour nous éviter, en passant par notre arrière. De plus, l'AIS me donne aussi son relèvement (l'angle dans lequel je le vois) à 309°, qui évolue lentement (mais sûrement) à 308°, 307, 305,… etc, ce qui me confirme que nous ne sommes plus en route de collision. Epatant !
Pourquoi ? Parce que notre AIS n'est pas seulement un récepteur, mais aussi un émetteur. Le navire CMACGM a donc vu Boisbarbu sur son écran, et son calculateur lui a indiqué qu'il devait faire du 124° pour nous éviter par l'arrière.

Sur les 2 ème et 3 ème écrans, on peut voir le navire qui progresse, et sa trace qui s'infléchit pour nous éviter.

A 16h, on embouque le chenal d'Audierne par vent de Nord Ouest force 6 sur l'échelle de Beaufort (les bretons disent « Noroit »), au flot de mi marée de vives eaux (coefficient 88). Le chenal me parait très étroit, d'autant plus avec un vent de 20 N par le travers et un courant de marée qui dépale Boisbarbu. Evelyne planche à la table à carte, et moi à la barre, le guide côtier à la main, en cherchant avec anxiété l'alignement qui va sécuriser ma route. Arrivé au port, en plein centre d'Audierne, nous comprenons mal les instructions du Capitaine du port sur le Canal 09 de la VHF, et nous amarrons sur un catway d'où nous nous faisons déloger un quart d'heure plus tard par son propriétaire revenant d'un tour en mer. Allez ! Seconde manœuvre en bout du ponton A. Evelyne est fatiguée par la succession de ces événements successifs et imprévus qui demandent la plus grande attention.

A l'unisson des escales de ces derniers jours, les autochtones nous paraissent particulièrement sympathiques et paisibles. Nous sommes toujours très bien reçu par les Capitaineries, les magasins, les restaus. Nous remarquons aussi cette courtoisie dans les échanges à la VHF, que ce soit entre navires ou de la part des services Cross ou SNSM. Beaucoup d'éducation.Très différent de ce qu'on peut connaitre sur nos cotes méditérranéennes. Sans parler des insanités que l'on subit chaque nuit sur le Canal 16 autour de Gibraltar et de la mer d'Alboran.

Dimanche 16 Mai : "Qui voit Sein, voit sa Fin". Evelyne redoute l'objectif de cette journée : le passage du Raz de Sein, lieu mythique entre Pointe du Raz et Ile de Sein. En fonction de la direction du vent, de l'heure de la marée, j'ai passé la soirée plongé dans les instructions nautiques pour calculer l'heure optimale de notre passage, la route la plus sûre, les bords à tirer depuis Audierne pour y parvenir, puis l'heure de départ d'Audierne qui doit aussi tenir compte de la hauteur d'eau de marée dans le chenal. Evelyne pourra vivre ce passage comme une promenade de dimanche après midi. Pour moi, cette fin est surtout celle de notre remontée de Rochefort vers Brest ou nous avons pu marier convoyage et cabotage touristique, ce qui fut bien agréable.

Le vent est d'Ouest. Nous tirons des bords dans le contre courant favorable sous la côte de la baie d'Audierne, pour traverser jusque dans l'Est du phare du Chat à l'heure de l'étale de basse mer, lorsque les courants dans le Raz sont presque inexistants. Il suffit alors d'abattre en choquant la voilure pour passer le Raz de Sein dans une mer modérée en gardant de la puissance dans la voilure, et de profiter du nouveau courant de flot pour rentrer dans la baie de Douarnenez.

A 16h nous amarrons Boisbarbu à un catway du port de Morgat, presque désert et ruisselant sous la bruine. En soirée, une tache blanchâtre tente une timide apparition dans le voile gris du ciel. Serait ce déjà la lune ? Non juste le soleil qui se réveille à 20h pour bailler et se recoucher à 20h05.

Lundi 17 Mai :

La dynamique école de voile de Morgat est déjà réveillée. Pour nous c'est le tour de la presqu'île de Crozon, son cap de la Chèvre, ses Tas de Poids, la baie protégée de Camaret. Nous voici sous le charme de son cimetière de bateaux, de sa Chapelle de Rocamadour, de sa crique aux douces couleurs de basse mer, de ses ruelles épargnées par les regards. Le gérant du Super U proposant de nous livrer à domicile, nous en profitons pour avitailler les 2 prochaines semaines anglaises et pour lessiver nos affaires à la buanderie du port.

Evelyne était curieuse de rencontrer le Curé, célèbre par la chanson. Mais non ! Elle se consolera devant un beau plat de fruits de mer. Derrière Boisbarbu, 2 fameux bateaux d'Eric Tabarly font escales, en école de voile, avant d'appareiller pour l'Irlande.

Mardi 18 Mai : Laissant le phare du Petit Minou sur bâbord, nous embouquons le Goulet de Brest avec le flot qui nous pousse à plus de 8N entre la pointe du Diable et la pointe des Espagnols. Boisbarbu est fermement amarré à un ponton du tout récent port de plaisance du Château, à proximité du centre ville. Nous pouvons musarder sur les quais parmi des bateaux prestigieux, tels que l'imposante Abeille Bourbon (le plus puissant remorqueur français), l'élégante Recouvrance (la fierté brestoise), ou le solide Vagabond (ayant hiverné plusieurs fois dans les glaces polaires).

Le plus grand des trésors de Brest est pour nous sur la route du Conquet, à Ploumoguer, ou nous sommes généreusement accueillis par Christine.

Une page de cette saison est tournée : la remontée de la Bretagne sud. Boisbarbu peut se préparer à traverser la Manche pour rallier l'Angleterre.

"Les bateaux ne partent pas que des ports, ils s'en vont poussés par un rêve" Erik Orsenna.

Amicalement à tous,
Evelyne et Gérard.

 

 

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