Le temps est venu ...

En débutant cette saison 2022, nous ne savions pas que ce serait notre dernière à bord de Boisbarbu ! (explications vers la fin de l'article, qu'il m'a fallu quelques mois avant de pouvoir l'écrire …).

Le projet était de passer quelques jours aux iles Scillys et de parcourir la côté sud de Cornouaille comme en 2010. Quittant Grenoble le 3 mai, en passant par Besançon (comme dans la chanson de Graeme Allwright) j'arrive à la Roche Bernard, toujours chaleureusement accueilli par Thierry, Murielle et leurs 2 filles (ma famille bretonne). Boisbarbu est en parfait état après l'hiver et son pont est moins envahi par la mousse que les années précédentes, en particulier lorsqu'il hivernait à Foleux, entouré d'arbres en bordure de Vilaine.

Travail d'entretien, de nettoyage, d'aménagements complémentaires, comme chaque début de saison. Au cours des années, nos navigations devenant moins longues (de 5 mois en 2004, nous sommes maintenant à 2 mois) et moins aventureuses, les avaries sont beaucoup plus rares, et après 23 saisons de navigation, tous les efforts d'anticipation de la moindre avarie ont efficacement porté leurs fruits. Mes 2 semaines d'entretien au port à sec sont de plus dédiées à de petites améliorations cosmétiques et à l'embellissement de Boisbarbu. Cette année, un gros effort est fait sur le polishage de la coque et du cockpit. Ça brille !

Le 18 mai, c'est la mise à l'eau et le dimanche 22, Boisbarbu, Divagation II (Feeling 1090) et Kalliste (Feeling 30) passent ensemble l'écluse d'Arzal pour aller mouiller devant la grande plage de Houat, ou nous attends Kia Ora (Feeling 356). A Sauzon se joint Jeverland (Feeling 416), à Groix arrive Azadi (Feeling 1090), … tous se dirigeant vers Concarneau ou le rassemblement Atlantique des Feeling est programmé pour le weekend de l'Ascension. C'est toujours très chouette de naviguer de conserve, avec d'autres Feeling, auxquels Boisbarbu se mesure en ajustant ses réglages. Le bord Sauzon – Groix reste un grand moment de poursuite entre nos canotes.

Très bel évènement, parfaitement réussi avec une vingtaine de Feeling sur le même ponton. Vous imaginez bien que les apéros coulaient généreusement, à l'occasion des visites des bateaux, des soirées sur le ponton. Rencontres, convivialité, partages d'expérience, amitiés en devenir, … tout est là pour un rassemblement mémorable. Le reportage complet sur ce lien : https://clubfeeling1090.fr/764-rassemblement-2022-concarneau

Martin, le fils de nos amis de Landskrona (Suède) vient une semaine à bord pour apprendre le français. Puis Agnès passe une nuit à bord, se sècher après une journée de vélo bien arrosée.

Lorsque nos amis Denis et Dominique nous rejoignent à Brest, nous visons l'Aber Wrach, bon point de départ pour les iles Scillys. Mais la météo en décide autrement : une grosse dépression sur l'Irlande génère des vents à 30 nœuds, parfois 35 à 40N, sur les Scillys et la Cornouaille, pendant une dizaine de jours. « Quand ça veut pas, ça veut pas ! ». Plutôt qu'attendre ou conjurer le sort, il nous faut nous résoudre à adapter notre itinéraire aux caprices de Madame Nature. Décision est prise de faire de l'ouest en cabotant sur les côtes de Bretagne nord, pour en faire découvrir les splendeurs à nos équipiers.

Belle soirée à Tréguier :

Paimpol à basse mer, et les Heauts de Bréhat (la photo n'est pas de moi, mais d'un pro (recopier dans une expo).

C'est la première année de notre vie sur Boisbarbu que nous reparcourons le même itinéraire que l'année précédente. S'étant par ailleurs résolus à ne plus entreprendre de longues traversées, à cause de la fatigue des nuits blanches et de l'anxiété qu'accompagne les coups de vent, notre domaine de navigation sur Boisbarbu est condamné à se cantonner aux côtes atlantiques françaises. Ce qui restreint considérablement mon horizon, et la motivation qui a toujours été aiguillonnée par l'envie et la curiosité de découvrir des terres nouvelles et d'y conduire Boisbarbu. C'est ainsi qu'un doute s'installe insidieusement dans mon esprit. Le vers est dans le fruit, il n'en sortira plus, bien au contraire, et accomplit son inexorable travail de sape dans mon subconscient, à mon insu.

Une petite voix, imperceptible au début, mais de plus en plus lancinante, se fait discrètement entendre lors des longs quarts, ou vers 4h du matin alors qu'Evelyne ronronne encore à côté de moi dans notre cabine arrière bâbord. Au début, je parviens à l'enfouir dans le labyrinthe de mes pensées, mais elle trouve de nouvelles sorties, au moment où je m'y attend le moins. N'y tenant plus, j'invite un soir Evelyne au restaurant à St Quay-Portrieux, et en levant nos verres d'apéritif, je lui annonce solennellement : « Je pense que le temps est venu pour moi de me séparer de Boisbarbu ! ». L'effet d'une bombe ! Evelyne tombe en larme, et le reste de la soirée entend nos questionnements, émotions, tristesse, dénis, souvenirs, acceptation, …

Pendant cette nuit du 5 au 6 juillet, alors qu'Evelyne ne trouve pas le sommeil et est prise de sanglots sur sa couchette, j'élabore déjà comment je mettrai Boisbarbu en vente (annonces, inventaire, visites, …). Mais tout cela se fera en aout, à notre retour sur Grenoble et je reviendrai en septembre pour les visites.

Au matin du 6 juillet, alors que je sors de la douche avant de louer des vélos pour une balade sur la côte nord, un coup de fil ! Un jeune couple féru de voile et avec l'objectif d'une année sabbatique vers les Antilles, recherche un voilier pour leur projet. Ils sont fixés sur une Feeling 1090, le seul modèle qui leur convienne, et dont il me vante tous les mérites. Connu comme animateur du Club Feeling, je reçois de temps en temps des appels d'acheteurs qui me demandent si je connais un propriétaire de 1090 qui vendrait son bateau. Ce couple me parait vraiment très chouette, au téléphone, et nous lions rapidement sympathie. Leur projet me plait. J'hésite un peu, pour lui confier que Boisbarbu est à vendre. Connaissant bien Boisbarbu par ce site et les récits de voyage, ainsi que par les nombreux articles techniques de Boisbarbu sur le site du Club Feeling, il est enthousiaste et intéressé. Théophile et Claire habitants à Lille, nous prenons rendez-vous pour une visite le 14 juillet à Roscoff. 3 heures de visite détaillée, au terme desquelles je vois Théophile sortir son carnet de chèque pour me verser un acompte de réservation ! Si vite !... Evelyne et moi tombons en larmes à nouveau. Nous avons vécu tant de moments forts avec ce bateau ! Tant d'épreuves qui nous ont réunis …. Boisbarbu est notre ami !... 2 semaines plus tard, à la sortie de l'eau de Boisbarbu à la Roche Bernard, la coque est inspectée et la vente signée ! Whaoooo ! Un choc pour Evelyne et moi, mais aussi une joie et un soulagement, de céder Boisbarbu à un couple que nous apprécions, qui nous est fort sympathique, et dont le projet sabbatique va emmener Boisbarbu à nouveau dans une traversée de l'Atlantique que nous avions vécu ensemble en 2000-2001. Se séparer d'un bateau est extrêmement douloureux, tant il y a d'affectif dans cette relation. Mais cette séparation peut se transformer en joie et soulagement, si elle est vécue comme une transmission, à de nouveaux propriétaires que j'estime et en qui j'ai toute confiance.

Le plus difficile sera d'annoncer cette vente à nos amis les plus proches du Club Feeling, et aussi de me résoudre à écrire cet article.

Par contre, il n'est pas question pour moi de quitter le Club Feeling, bien au contraire : libéré du temps que me prenait l'entretien de Boisbarbu, je vais pouvoir m'investir encore plus (pour autant que ce soit possible), dans l'animation du Club et dans l'enrichissement de son site internet. Déjà, l'an prochain, je prévois l'organisation de 3 rassemblements (Manche, Atlantique, Méditerranée) auxquels je pourrai participer en étant hébergé sur d'autres Feeling.

En fin d'après-midi du 14 juillet, nos équipières Brigitte et Nicole remontent à bord après leur visite de l'île de Batz. La solennité d'un copieux apéro nous permet de leur annoncer la vente de Boisbarbu ! Elles en restent baba … J'avais gardé le secret jusque-là, pour ne pas ternir leur séjour de Paimpol à Port la Forêt. Mais elles comprennent (beaucoup mieux que nous, les raisons de cette vente) et nous accompagnent dans notre cheminement. Merci !

Les 2 dernières semaines passent vite, avec de belles navigations, comme si la nature voulait récompenser Boisbarbu dans son baroud d'honneur. Pour Evelyne et moi, c'est un sentiment nostalgique de dernières fois : dernière passe de la Malouine, dernière chapelle ND Racamadour à Camaret, dernier Phare de la Vieille, dernier Lesconil, dernier mouillage à Glénan, dernière bière à la villa Margaret de Kernevel, dernière remontée de la Vilaine, dernière bière à la terrasse de la Douanerie, dernière inspection de Boisbarbu avant de descendre l'échelle … Que de portes il faut douloureusement fermer !

C'est donc la fermeture d'un grand livre que ce dernier article vient sceller. 24 années de navigation et de récits, en toute simplicité, ou nous avons sincèrement confié nos voyages, nos émotions, et que beaucoup d'entre vous ont apprécié, vous nous en avez souvent témoigné.

Bises à tous, et bon vent à Boisbarbu !

Evelyne, Gérard, Boisbarbu …

 

 

 

 

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