Re Tour de Bretagne

C'est la première fois que j'écris ce récit plusieurs semaines après l'hivernage de Boisbarbu. Débordé par les tâches domestiques à notre retour sur Grenoble, et déjà dans la préparation de projets montagne, la saison voile se dissipe déjà dans mes souvenirs. Seuls émergent les événements les plus marquants, ce qui n'est pas plus mal pour le lecteur.

Un parcours

Notre première idée était de retourner musarder sur la côte sud de l'Angleterre et dans l'archipel des Scilly. Mais Brexit et Covid en ont décidé autrement ! Il était administrativement périlleux de naviguer dans les eaux britanniques et encore plus d'aborder. De nombreuses anecdotes animent les pontons, comme celle de ce voilier qui relâche à Guernesey pour un plein de carburant, imposé d'un test PCR à 180€ et bloqué pour 8 jours de quarantaine, sans même pouvoir poser pied à terre ni même aller se ravitailler à la superette locale … Ils sont devenus fous, ces anglais !

Alors pour se prémunir des aléas d'une situation sanitaire en constante évolution, nous optons pour un aller-retour, entre Vilaine et Granville, en tournant la pointe de Bretagne. Tous les plus beaux sites des côtes bretonnes s'égrènent au rythme de nos escales, des vents, de la pluie et du beau temps. Itinéraire déjà connu de Boisbarbu, mais tellement riche de paysages dont on ne se lasse jamais.

Le ciel de l'été 2021 ...

Nos équipiers

Le planning des équipiers, ouvert tardivement, s'est rempli si vite que nous avons dû en refuser. Quitte à en frustrer certains, Evelyne et moi avons voulu ouvrir Boisbarbu à des « nouveaux ». Nous tenons aussi à conserver quelques jours entre chaque équipage, pour nettoyer le bateau, faire les lessives, avitailler et être reposés et en forme pour accueillir les nouveaux arrivants. Nous apprécions aussi de nous retrouver à deux, tranquilles, en vacances sur un rythme plus cool. Nous mettons chaque fois toute notre énergie pour bien prendre soin de nos équipiers, leur concocter un programme privilégié et soutenu, par les plus beaux spots du secteur, et les gâter des talents culinaires d'Evelyne. C'est un grand bonheur d'être à leurs petits soins et de les voir s'émerveiller d'un mouillage paradisiaque, d'un coucher de soleil, d'une baignade au creux d'une crique secrète, d'une navigation au portant sous spi, ou des dauphins qui s'amusent autour de l'étrave.

Bernard et Jean-Pierre, qui sont passés plusieurs années par mes formations sur les bateaux d'HP, au départ de Toulon, sont heureux de découvrir l'Atlantique, ses marées et courants, les côtes sauvages du Morbihan ou il vaut mieux garder un œil attentif sur la carte marine. Après m'avoir aidé à repeindre les œuvres vives de la coque de son antifouling annuel, puis à habiller le pont dénudé par l'hivernage d'un gréement courant d'un kilomètre de cordage dont chacun a son utilité propre, qu'il faut comprendre, anticiper pour le gréer à bon escient.

Je leur fais profiter des plus beaux spots du Morbihan, par Heodic, Houat, Sauzon pour une arrivée à Lorient ville ou ils posent leurs sacs à terre après avoir soigné le nettoyage du pont, sans croiser Evelyne arrivant par Blablacar sur le port de Lorient ou elle retrouve toute émue Boisbarbu et son cher capitaine.

Quelques jours de cabotage pour attendre Brigitte et Denis à Loctudy ou nous les accueillons avec les demoiselles du lieu (les fameuses et bien nommées langoustines de Loctudy). Le petit temps nous accorde une nuit à l'ile de Sein et deux à Ouessant, dans la baie de Lampaul, ce qui est plutôt rare dans cette baie habituellement très rouleuse. On en profite pour faire le tour de l'île à vélo, et visiter le musée des phares et balises, dans le phare du Créac'h. Aber Benoit, Aber Wrac'h, d'où on s'extirpe par la passe de la Malouine dans une mer hachée pour une étape au portant et sous les grains vers le port de Roscoff.

A St Malo, nous avons la visite de Chantal et Alain, compagnons de randos nordiques en Norvège, accompagnés de sa sœur Anne et son mari de St Jacut. Ils n'auront malheureusement pas le temps de naviguer.

Christine et sa fille Frédo embarquent à St Malo pour 3 jours magnifiques. L'île de Chausey toujours magique, nous dévoile chaque fois de nouveaux attraits et de petites passes secrètes. Granville, sa ville haute, la villa Dior, la pointe du Roc et retour à St Malo ou elles débarquent après une bière au pub Cunningham. Amitiés modanaises d'Evelyne pour toujours ! Nous les voyons partir, nostalgiques. Trop courtes, ces retrouvailles amicales.

A Paimpol, c'est Françoise, que je nomme volontiers mon équipière favorite, après Evelyne bien sur… Françoise sait tout faire sur un bateau, elle comprend, anticipe et prend soin du bateau, toujours volontaire pour toutes les tâches du bord. Elle aussi, est passée par mes week-ends formation sur le bateau d'HP, c'est là que j'ai connu son grand sourire et son dynamisme, lors des Voiles de St Tropez 2007.

A l'Aber Wrac'h, Isabelle et Daniel, débutants en voile croisière, ont droit au baptême du feu par un temps merveilleux ! avec les lieux mythiques du Raz de Sein, ou de Glénan qui finit de les ravir. Très attentifs au bateau et respectueux des consignes du skipper, ils sont émerveillés et font connaissance avec la communauté des plaisanciers grâce à l'accompagnement de Thierry et Murielle. Je les découvre sur mer, hors contexte grenoblois … C'est tout tristes que nous les laissons débarquer à Concarneau.

A Lorient, Annie et Agnès monte à bord d'un voilier pour la toute première fois. Etonnées de tout, un peu anxieuse de ce qui les attend, elles démarrent sous une pluie battante, le lendemain sur une mer forte, ou leur estomac reste bien accroché, et enfin par un temps agréable pour la visite magique de Houat et Hoëdic et la remontée de la Vilaine ou elles accompagnent Boisbarbu jusqu'à son port d'attache. Elles profitent des grands moments de partage et complicité dans le cocon du carré.

Rencontres de Feeling

Bateau « amiral » du Club Feeling, Boisbarbu est bien connu sur les côtes bretonnes. Ce qui nous vaut de très nombreuses rencontres, dans les ports, les mouillages, ou même en navigation lorsqu'on croise un autre Feeling !

D'autant plus quand ceux-ci arborent le pavillon du Club ! Alors, les échanges techniques affluent en quantité, autour d'un café ou d'un apéro. Evelyne est aussi prise au jeu de ces rencontres. Elles humanisent notre saison de voile, loin d'un caractère solitaire. Les noms de ces Feeling rythment nos escales, virevoltent dans mes pensées, en associant les visages, des sourires, la convivialité, l'échange, … « Divagation, Jeverland, Hadoup, Ariel, Hibiscus, Oksygen, Logoden, Cavale, Jah Maya, Saluki, Rythmos, Agapée, Alfred Nobel, Alizé, Silouhett, Ortolan, Sapyol, Lifou, Contango, Dawimpa,…. ».

Et en particulier, ceux du Club Feeling qui sont devenus nos amis, souvent très proches, et que l'on retrouve chaque année

Thierry et Murielle, ma "famille" de la Roche Bernard

Danielle et Alain, organisateurs du premier rassemblement Feeling Atlantique à Locmiquélic.

Daniel et Christine, organisateurs de plusieurs rassemblement Feeling Atlantique ... avec qui on chante l'Amant de St Jean !

Monique et Alain, chef de publication du Club Feeling.

Sylvie et Alain, organisateur d'un rassemblement de Feeling en Manche, Cherbourg.

Quelques événements marquants

•  Plouër sur Rance

Alain nous l'avait conseillé : remonte la Rance, jusqu'à Plouër! Confiant et déjà curieux, nous passons l'écluse de la Rance, en amont de Dinard et St Servan. Impressionnant cet éclusage de 4m pour se présenter au niveau de la Rance. Sous génois, Boisbarbu remonte les méandres du fleuve, ou chaque fois nous sommes étonnés par la quantité de bateaux amarrés à leur coffre. La pluie et la brume préservent tout le mystère des paysages et m'oblige à sécher régulièrement mes lunettes pour distinguer les bouées latérales sur le petit écran de mon téléphone, lui aussi dégoulinant. A l'approche de Plouër, l'alarme du sondeur ne cesse plus de nous mettre en alerte. La porte d'entrée du port de Plouër est si étroite qu'on pourrait en toucher les perches de chaque côté à bout de bras ! Bien décidés à visiter le Moulin du Prat, à la Vieille Vicomté, nous y allons à vélo (VAEs), prêtés par la capitaine du port. Nous en revenons sous des trombes d'eau, et c'est trempés jusqu'au slip que nous rendons les vélos. La capitaine du port, Liliane, a pitié de nous : elle nous offre la lessive complète et le sèche-linge ! Nous négocions pour payer quelque chose (vélos ou au moins lessive), mais rien à faire contre la bienveillance de Liliane.

Le lendemain matin, quand on quitte le port à pleine mer, Liliane, prévenue de notre départ, est sous la pluie au bout du ponton pour nous faire signe de la main et nous souhaiter « Bon vent ! ». https://www.ouest-france.fr/bretagne/dinan-22100/liliane-une-femme-la-barre-du-port-de-plouer-1163639

•  La régate Tour de Bretagne

Pluie à St Malo, mais festivités et fébrilité sur le grand quai du bassin Vauban à St Malo. C'est d'ici que vont s'élancer la quarantaine de voiliers monotypes (des Beneteau Figaro 3) armés de leurs foils carbone. Quelle agitation sur le ponton, les derniers réglages, l'avitaillement, ce sac de vêtements qu'on laisse finalement à terre pour ne pas alourdir le bateau, ces quelques légères salissures sous la coque qu'il faut absolument aller nettoyer pendant une heure en respirant par un narguilé dans une eau bien froide, les coups de téléphone stressés pour récupérer un spi, la météo, l'équipier en retard, …

C'est par hasard que nous assistons au briefing des équipages, dans une ambiance concentrée mais bon enfant. Déjà des athlètes de la voile, certains sont de futurs grands noms quand ils auront brillé dans leurs prochaines étapes sportives : la course du Figaro, la transat Jacques Vabre, le Vendée Globe … Nous retrouvons l'esprit et l'ambiance des grandes courses de ski de fond, dans la simplicité.

En attendant le coup de canon du départ ! puis ça y est, c'est parti, chacun peaufine ses réglages ...
Demain, au large, nous les voyons traverser la baie de St Brieuc à vive allure, et leurs noms sur l'AIS de la carte électronique, nous évoquent les noms et les visages de ces jeunes talents rencontrés la veille.

•  Le coup de vent de St Cast

Météo France, les fichiers Grib, Windy, le BMS, Météo Consult, SailGrib, … tous sont unanimes : la dépression Zyprian va engendrer des vents violents sur toute la Bretagne nord, avec des rafales à 70N.

C'est le moment de se planquer dans un port bien abrité pour y doubler les amarres et faire le dos rond. St Quay est archi-comble par les Figaro 3 de la course, dont l'étape a été retardée pour ne pas les envoyer au casse-pipe. Nous relâchons donc à St Cast. Exceptionnellement, nous amarrons Boisbarbu cul au ponton, catway à tribord pour faire face au suroit annoncé (vent de sud-ouest). Dans l'après-midi, alors que le vent commence à siffler dans les haubans, un voilier des Glénans vient s'amarrer au catway à bâbord de Boisbarbu. Amarrage désinvolte, mal ficelé, à la va-vite, malgré nos conseils. Surprenant ! La nuit, le vent hurle et fait vibrer nos gréements. Nos amarres, pourtant solidement souquées, prennent du jeu. Il me faut les reprendre. A 3h du matin, je dois réveiller l'équipage des Glénans pour qu'ils reprennent leur amarrage. Ils en conviennent mais ne savent pas bien s'y prendre. Le skipper du Feeling 1090 Saluki vient me prêter main forte pour aider les Glénans. Il a 80 ans ! Quelle leçon pour le jeune équipage Glénans… Je souris.

•  La fête à Ploumanac'h

Dans le petit port bien protégé de Ploumanac'h (que je considère comme le joyau de Bretagne), le hasard nous réunit avec Ica, le First 30 loué par Hervé, Philippe et leurs 2 Odile. Invités à l'apéro à bord de Boisbarbu, ils prolongent pour le diner. Le T-punch et le vin aidant, la musique s'invite dans nos conversations nostalgiques : Tears for Heaven d'Eric Clapton, l'indicatif France Inter de José Arthur, No woman no cry de Bob Marley, … Ca chante, et ça danse !!! dans le carré, coincés entre l'évier et la table à carte. Les grands tubes des seventies y passent pour notre délire de rocks et reggae. C'est la ré ouverture des boites de nuit !!! Improvisé, génial et mémorable …

•  Chez Jacky, ça se mérite !

Après quelques jours idylliques à Glénan, avec Divagation II (Thierry et Murielle) nous réservons un repas en amoureux chez Jacky, à Riec sur Belon. Malgré un avis de coup de vent, nous quittons le ponton de Sainte Marine au jusant, sous les yeux de nos amis qui nous larguent l'amarre. A la sortie de l'embouchure de l'Odet, un vent d'est force 7 nous cueille. 1 ris dans la grand-voile et 2 tours dans le génois. Les orages s'en mêlent : les éclairs illuminent l'obscurité ambiante, le tonnerre claque et fissure l'atmosphère en nous faisant sursauter. Le vent forcit, tourne, s'arrête, reprend, retourne… Les voiles battent puis se remplissent en gitant fortement le bateau. La mer est croisée et hachée. Un vrai Pot au Noir ! Des grains violents se déversent sur le pont et nous détrempent. Quelques jours plus tard, je découvrirai 5cm d'eau dans le coffre bâbord du cockpit. A PM moins 2 heures, Boisbarbu passe les 2 barres d'entrée du Belon, puis nous amarrons dans le calme, mais trempés et épuisés, en embossant entre 2 tonnes du Belon, devant le restau. Eh oui, Chez Jacky, ça se mérite !

Nos coups de cœur

La Bretagne, tout au long de ses côtes sud ou nord, que ce soit en Atlantique, en Manche ou en mer d'Iroise, nous ravit, par ses paysages sauvages, à couper le souffle, au détour de chaque cap, de chaque crique, … Tout est bon, rien à laisser. Boisbarbu a sillonné toutes ces côtes depuis 2010 mais nous en découvrons chaque année de nouveaux bijoux.

La crique de Portz Halai à Houat, enserrée dans les rochers, et peu fréquentée, sans doute parce que l'accès à terre n'est pas évident. Il faut mettre les mains pour grimper la falaise  !

Doëlan, à côté de la vedette de la SNSM, pour son aber et le sentier côtier sauvage jusqu'à l'embouchure de la Laïta.

L'archipel de Glénan ou on découvre chaque fois de nouveaux mouillages.

L'île de Sein, son ambiance de bout du monde, qui réserve son mouillage comme un privilège, pour le rendre plus précieux.

L'île d'Ouessant ou on mouille 2 nuits en baie de Lampaul. Le tour de l'île à vélo, et la visite du musée des phares et balises, abrité par le phare du Creac'h.

Le Ty Rom de l'Aber Wrac'h pour son ambiance, son exposition d'aquarelles, et ses irrésistibles pâtisseries.

Morlaix, sa rivière, sa ville haute, la Manufacture de tabac devenue grand centre culturel.

L'île Milliau, reliée à Trébeurden par un isthme qu'on franchit à pied à pleine mer.

Ploumanac'h et ses incroyables chaos de granit rose

Paimpol pour son village, sa chanson, le rocher des Veuves …

L'île des Ebihens devant Saint Jacut

La Rance, avec Plouer ou Saint Suliac

St Servan, sa tour de Solidor, et sa droguerie librairie marine

L'île de Chausey ou on a l'impression de changer d'endroit et de décor à chaque heure de la marée.

Epilogue

Au fur à mesure des semaines de navigations de cette saison, Evelyne et moi prenions de plus en plus de plaisir à bord, sur le pont, dans le cockpit ou dans le carré de Boisbarbu, notre lieu de vie flottant, instable, mouvant, parfois violent et angoissant, ou nous avons passé plus de 6 années de nos vies, depuis maintenant 22 ans de complicité avec ce Feeling 1090. Il est notre compagnon, dont on prend soin, et qui nous protège de l'agressivité des éléments naturels. Très bien entretenu, il a pris quelques rides bien sûr, mais a gagné en maturité et en fiabilité. Il ne nous joue plus de mauvais tours, car presque tout a été anticipé. C'est nous qui avons le plus changé ! Les voiles deviennent plus lourdes à hisser, les winches plus durs à tourner, la survie impossible à sortir de son logement, l'annexe plus lourde à porter tout en haut de la plage … Nous ne sommes plus attirés par les grandes traversées et les nuits sans sommeil, et redoutons d'affronter le mauvais temps. Alors nous préférons caboter et profiter des paysages, des rencontres et de l'amitié. Mais je suis surtout motivé par découvrir de nouvelles zones de navigation, étudier les cartes, rentrer dans l'inconnu pour le pétrir de mes incertitudes et le transformer en souvenir. Au cours des années, la façade atlantique à découvrir se réduit, sans même parler du Covid qui nous tient confinés sur les côtes françaises.

Le projet 2022 reste à imaginer et construire …. Gardons un "Bel Espoir" , comme ici au coucher de soleil de l'Abar Wrac'h

Kenavo !

 

 

 

retour en haut de page