Un Atlantique pacifique ...

Le golfe de Gascogne a mauvaise réputation. Evelyne et moi sommes quelques peu inquiets de ces 3 jours de traversée…. Nous aurions aimé trouver un équipier, pour se partager les heures de veille. Mais il est difficile de mobiliser nos copains sans donner de date précise d'arrivée, puisque nous devons attendre la fenêtre météo.

Heureusement nous en parlons et convenons de l'aborder bien préparés, mais en toute sérénité, sans objectif de temps, avec la ferme intention de sous toiler plutôt que de risquer l'avarie et de respecter la régularité des quarts pour que chacun reprenne des forces.

Depuis 5 jours, j'étudie la météo et ces fameux fichiers grib qui cartographient les vecteurs de vent pour la semaine à venir. Non, jeudi, ça ne passe pas, on aurait le vent dans le nez. Non, samedi, ça ne va pas non plus, un coup de vent de sud-ouest nous faucherait sur la côte espagnole. Alors peut-être lundi, en partant en milieu de nuit, bien qu'on ait à traverser plusieurs petites dépressions, une route semble possible. Relire, étudier, formuler des hypothèses, simuler des itinéraires, estimer des temps de segments de parcours en fonction des courbes polaires de vitesse du bateau, … Nous décidons que lundi vers 2h du matin sera notre heure de départ, avec la stratégie d'aller tirer franchement à l'ouest pour rejoindre un flux de nord-est. Pas évident de se convaincre qu'il vaut mieux faire un large détour, à 50 milles nautiques à l'ouest de la route directe, pour optimiser notre parcours. En mer, le plus court chemin est rarement la ligne droite.

Couchés tôt, nous décidons finalement d'attendre l'aube, vers 5h30, pour quitter le mouillage encaissé de Kerel, au sud de Belle-Ile, pour ne pas risquer d'engager l'hélice dans un des nombreux casiers posés par les locaux.

La première journée est la plus laborieuse : faire un bord d'une dizaine d'heures vers l'ouest en s'éloignant de la route directe, pour concrétiser une stratégie hypothétique, se rapprocher d'un prétendu flux de vent favorable.

Le doute s'installe d'autant plus quand pendant 4 heures nous traversons un front sous des rafales de vent et surtout sous des pluies torrentielles alors que la première nuit commence à tomber. Et si ce foutu modèle météo mondial provenant d'un institut aux Etats Unis s'était trompé. Et si toute notre stratégie marginale se basait sur une erreur de calcul, et si, et si, et si …

En fin de nuit, le vent se calme, laissant place à une mer désordonnée. Rien de plus désagréable qu'un bateau bouchonnant au gré des vagues et de la houle, alors qu'il n'est plus appuyé par le vent. Nous devons subir le ronron lancinant de notre vieux moteur 27cv Yanmar pendant plusieurs heures, à la recherche de nos vents porteurs. Quelques cargos et chalutiers que nous évitons sans difficulté.

A sa lecture intuitive du ciel, Evelyne me conseille pour contourner ce grain, ou profiter du vent généré par ce petit front… Bravo ! Tout n'est pas dit dans l'ordinateur de bord !

Une baleine souffle à une demi encablure sur bâbord. Le majestueux mouvement de son corps puissant et souple, nous impressionne. Puis des dauphins affluent par dizaines et s'amusent autour de l'étrave en bondissant. Leur manège dure bien une demi-heure, avant de repartir gaiement vers d'autres aires de jeu.

Dans la deuxième journée, une légère brise du nord se fait sentir puis s'affirme au bout de quelques heures. Le grand spi jaune est envoyé au tangon pour profiter de ce vent encore léger. A la barre, aux sensations, je construis la vitesse de Boisbarbu.

Ce soir, le spi cède sa place au grand génois qui tire puissamment Boisbarbu toute la nuit sur une mer facile, aux longues vagues ondulant comme des champs de blé, jouant une musique grave de hautbois, accompagnée par le vol des goélands et fous de bassan. Le bateau file sur l'onde noire, comme dans une éternelle glissade. L'écume phosphorescente du plancton illumine nos voiles, à chaque surf de la coque.

Les dauphins entourent Boisbarbu. Je ne les vois pas mais les sent autour de moi. Ils s'affairent à guider l'étrave vers sa destination et à égayer les songes de mon équipière. Je la laisse dormir… La bruine, puis la brume nous enveloppent, mais le vent continue ses gammes sans faiblir, jusque dans notre troisième journée de mer.

Terre, terre !!! Les montagnes de Ferrol, puis le cap des aiguilles émergent de la brume. Cette côte sauvage et rocheuse, surmontée de plateaux de landes, nous rappellent curieusement notre atterrissage sur l'Irlande de l'an dernier. Nous nous sentons moins seuls, la tension se relâche.

4 heures plus tard, nous entrons dans la marina de La Corogne. Il est 20h. La voile est amenée, rabantée, protégée par son lazy-bag, amarres et gardes sont tournées au taquet, ajustées, les instruments s'éteignent et le journal de bord finalisé. L'homme peut alors sortir de sa carapace cirée et détrempée, se déshabiller, avant de plonger, dans le pays des songes. Ces songes … ou la plage qui entoure le bateau est plus souvent bordée de cocotiers que d'immeubles en bêton, ou le récépissé de redevance de port se transforme en collier de fleurs, ou un rayon de soleil sensuel remplace le brouillard humide de cet endroit improbable de Galice.

Dormons, demain sera un autre jour !

 

retour en haut de page