Iles suédoises

De profundis clamavi ad te ….
Triste nouvelle. Notre meilleur équipier nous a quittés. Le plus fidèle d’entre nous, le plus constant, persévérant, précis à la barre. Il a rendu son dernier soupir sans prévenir, en passant les feux de Stockholm. Alors que nous étions sur le pont à préparer la grand-voile, Charlie s’en est allé, notre vieux et cher pilote automatique… C’est le cœur qui a lâché, sans doute fatigué par tant de bordées, tant de virées, tant de départs au lof ou d’abattées, par tous les temps, qu’il vente ou qu’il tonne, que la mer soit calme ou croisée. Du Cap Vert à Stockholm, du Caire à Miami, il a été de toutes les traversées.
Ah Charlie, on t’aimait bien, tu sais. Mais tu nous tires ta révérence en plein milieu de la saison !... Sacré Charlie !

J’ai donc barré jusqu’à Vaxholm, une jolie petite ville à l’est de Stockholm. Dans le port, les instructions nautiques préviennent qu’on s’y amarre sur une « lazy line » et promulgue de nombreux conseils et mises en garde à son égard. Les suédois et autres scandinaves ne sont pas à l’aise du tout avec ce type d’amarrage ce qui provoque pas mal de remue-ménage à chaque nouvel arrivant. Pour nous c’est nickel, parce que la « lazy line », on est habitué depuis qu’on navigue. Eh oui, cette lazy line n’est rien d’autre que notre « pendille » qui équipe tous nos ports méditerranéens. Alors pas de problème ! D’autant qu’ici, on ne s’y coupe pas les mains, car les pendilles ne sont pas recouvertes de moules ou autres coquillages. Allez savoir pourquoi… Les jeunes femmes responsables du « Gesthamn Byrat » (traduire par Harbourmaster Office, ou tout simplement Capitainerie) sont absolument charmantes, font tout pour nous renseigner, nous rendre la vie facile, et nous prête 2 vélos qu’Evelyne et moi enfourchons pour un tour de l’île. Dans la soirée, le petit port est plein et bien animé.

Je passe ma soirée à démonter les différents organes de Charlie (notre pilote) pour investiguer ce qu’il a bien pu lui arriver, au cas où je pourrais le réparer. Comprendre, analyser, investiguer, discriminer, … je me souviens de mes jeunes années de technicien en électronique ou c’était mon métier de diagnostiquer puis réparer les pannes des premiers ordinateurs HP. Les méthodes sont les mêmes. L’ingénieur de NKE que j’ai au bout du fil le lendemain matin est tout surpris de mon diagnostic, ce qui lui donne assez confiance pour me chuchoter les références des transistors à remplacer, ce qui lui est absolument interdit par les procédures de son entreprise. Je ne répéterai pas son nom… Mais malheureusement, je ne trouve aucun fournisseur capable de me vendre les composants fautifs.
Nous allons donc continuer nos mois de navigation 2015 avec un petit pilote Autohelm que j’avais embarqué en 2011, pour pallier à une éventuelle faiblesse de Charlie. Nous l’appellerons donc « Petit Charlie ».

Il n’a pas la puissance, ni la fiabilité, ni les paramétrages de son ainé, tout en étant aussi gourmand en consommation électrique. Mécaniquement, c’est juste un petit moteur électrique qui par l’intermédiaire d’une courroie entraine la rotation de la barre du bateau, alors que Charlie utilisait une pompe hydraulique commandant un vérin pouvant exercer une force de 400kg directement sur le secteur du safran. Il avait aussi l’intelligence de sentir les roulis du bateau et en anticiper les lacets en barrant « à la vague ». Mais bon, comment faisions nous dans les années 70 avant l’apparition du pilote automatique ? On barrait, tout simplement !

Une petite étape de 17 milles sera l’occasion rêvée de mettre petit Charlie en situation. C’est avec beaucoup de précautions et de sollicitude que nous lui confions la barre, d’abord dans des situations simples et en ménageant sa fatigue. Nous faisons tranquillement connaissance avec petit Charlie, pour prendre confiance en lui. Une fois apprivoisé, il deviendra pour nous unique au monde, et nous pourrons le reconnaitre parmi mille autres pilotes. Déjà conscients des liens qui nous uniront, nous nous sentons déjà pour toujours responsables de petit Charlie. Nous barrons à tour de rôle, jusqu’au mouillage de Krokholmensviken sur l’île de Norrgardson. Un parfait abri par tous les vents, ou l’on pénètre par un trou de souris. L’étrave de Boisbarbu avance extrêmement lentement, se frayant un passage entre les roseaux jusqu’à surplomber le rivage ou Evelyne puisse prendre pied pour amarrer à un arbre, pendant que je laisse filer par l’arrière la sangle qui assure l’ancre de notre mouillage. Que c’est curieux et insolite d’abriter son bateau si près de la berge que les branches de pins recouvrent le pont avant.

Il y a juste 10cm d’eau sous l’avant de la coque, là où on pourrait craindre que son brion* ne heurte un rocher. Voyant que les voiliers suédois sont tous équipés d’une échelle de balcon avant toujours à poste, nous en improvisons une avec notre échelle de bain qui facilite grandement notre descente à terre.

La densité des îles est si importante, qu’il y a longtemps qu’on n’a pas vu la mer, et pourtant nous sommes en mer ! Mais on a plutôt l’impression de naviguer sur des lacs qui communiqueraient entre eux par des bras de rivières. Dans cet environnement rocheux et entourés de sapin, je me retrouve dans les bassins du Doubs, sur le lac de St Point ou sur celui de Laffrey. Mais ici, les « lacs » se succèdent par milliers.

Ce soir, l’eau est un miroir, ou le soleil peut une dernière fois s’admirer avant de s’enfoncer sous sa couverture cotonneuse. Quel spectacle… Bravo l’artiste!

Aujourd’hui, avant d’avoir atteint notre destination, notre regard est attiré par quelques bateaux au fond d’une anse profonde, sur tribord. La carte nous confirme la présence d’un mouillage protégé, proche du village de Blidoe, sur fond de boue de bonne tenue, mais avec très peu d’eau. Décision prise, nous modifions le cap, affalons les voiles et avançons lentement vers ce petit nid. Quelques encablures** plus loin, entourés de pâturages ou bêlent des moutons, la hauteur d’eau ne veut plus laisser passer notre quille et nous contraint à mouiller dans une crique à l’entrée. Grand calme et solitude. Nuit sans un bruit sur l’eau devenue miroir.
Le soleil se lève au nord-est, au-dessus de la même forêt d’où il s’est couché, au nord-ouest.

Le vent de sud-ouest s’est levé pour plusieurs jours et facilite notre progression vers le nord. Dans les sounds***orientés sud-ouest/nord-est, le venturi naturel renforce le vent jusqu’à 25 nœuds, alors que dans les sounds de travers, alternativement, le vent nous surprend d’une violente rafale avant de s’évanouir en modifiant sa direction de 40°. Dans le premier cas, c’est une allure vent arrière, puissante, génois tangonné, alors que dans le second, le vent joue à cache-cache avec nos voiles et nous oblige une navigation décousue aux allures aléatoires mais ludiques.
C’est dans ces régimes de vent de force 3 à 5 Beaufort que nous remontons vers le nord pour atteindre l’île d’Arholma, la plus septentrionale de l’archipel suédois. Le « port » qui nous accueille est réduit à un petit ponton de bois fixé aux dalles de granit en dos d’éléphant, sur lequel on amarre comme au rocher : pointe à l’avant, en laissant filer le mouillage arrière au bout de sa sangle.

De la place pour une douzaine de voiliers : 11 suédois, et nous ! Nul besoin de parler la même langue pour comprendre le langage des marins. Chaque fois qu’un voilier arrive et prépare son amarrage, l’un d’entre nous saute sur le ponton et lève le bras pour indiquer une place au nouveau venu, puis saisit l’amarre que son équipier avant lance pour la tourner à l’anneau visser dans le ponton. L’échange se fait par le regard, parfois accompagné d’un sourire. Je sais ce qu’il attend de moi : lui éviter de sauter à terre, amarrer et repousser son balcon avant pour éviter que son étrave ne tape le ponton. Pendant ce temps, il consacre son attention à gérer son ancre qui file à l’arrière et son moteur qu’il tient au ralenti. Tout est dit. Une fois sa manœuvre terminée, il viendra me dire « Tack » (Merci). Ce soir, il fait beau et tous prennent leur diner dans le cockpit pour admirer les lumières du soir. Les suédois se parlent à voix basse, très discrets et respectueux de leurs voisins. Pas un éclat de voix ne vient troubler le spectacle crépusculaire.
Ici, comme dans les ports précédents, on nous dit n’avoir pas encore vu un voilier français de la saison.

Arholma est une île absolument charmante, très rurale, un tout petit port, une épicerie-bazar à 2km, sur la côte ouest, un café-barbecue, une vieille tour, une très belle petite église à côté du moulin de 1928. Aucune voiture sur les 3 pistes qui quadrillent l’île, juste des vélos, quelques tracteurs et ces triporteurs propulsés par une vieille moto, ou le conducteur transporte sa petite famille sur le plateau avant.

L’ambiance d’Arholma nous fait vraiment penser à Sarcq, un autre petit joyau situé dans l’archipel des îles anglo-normandes.

Nous avons bien aimé cet arbre de mai, érigé pour célébrer Midsomer, la fête de l'été, et puis ces boites à lettre, souvent décorées.

Un peu curieux, les toilettes double du port. Expérience inoubliable, que je n'ai pas osé prendre en photo...

Les voiliers qui naviguent dans l’archipel suédois sont de petite taille : 9m, 10m, parfois 11m, rarement 12m. Boisbarbu est donc dans les plus grands, avec ses 10,90m et souvent handicapé par son grand tirant d’eau : 1,85m. Il semble impensable ici de naviguer avec un voilier de 14 ou 15m alors que c’est monnaie courante en Méditerranée. Ici, un grand voilier ne pourrait pas s’amarrer à la plupart des mouillages au rocher, ni aux pontons des petits ports. Les petits se faufilent partout entre les îlots et sont plus facile à manœuvrer dans les mouillages exigus. La taille idéale me parait être un 9m avec 1,30m de tirant d'eau. La plupart des bateaux ont un équipage de 2 personnes, rarement 4. Très rares sont les voiliers de voyage avec portique, éolienne. On voit pourtant quelques panneaux solaires, qui sont très efficaces ici en été grâce à la très grande durée de lumière du jour.

Je relis les 10 commandements du marin dans l’archipel scandinave. L’un d’entre eux conseille de ne jamais s’écarter des chenaux tracés sur les cartes et matérialisés sur l’eau par les bouées latérales rouges ou vertes. Pourtant, de jours en jours, nous dérogeons un peu, puis de plus en plus à cette règle. Pour atteindre un mouillage loin de la route principale, ou dans la partie est de l’archipel pour circuler là ou aucun chenal officiel n’existe. Mais la tentation est grande, et qui n’y aura jamais succombé ! Naviguer en dehors des chenaux, s’est comme faire du hors-piste à ski. « Loin des pistes, l’aventure » titrait dans les années 70 un des premiers topos de ski de randonnée. Il faut de l’expérience et une bonne connaissance des lieux, que seuls les locaux peuvent acquérir. Et même avec cette connaissance du milieu, l’accident peut toujours arriver. Même les baleines s’échouent parfois. Au cours des semaines d’immersion dans cet univers marin, notre acuité aux éléments s’aiguise, notre perception du terrain et des reliefs s’améliore, notre interprétation des cartes dans leurs zones imparfaites s’affine. Nous nous sentons plus confiant, même en absence de balisage, pour contourner l’épaule sous-marine d’un récif, ou anticiper un haut fond pourtant invisible. En nous enfonçant dans le labyrinthe, nous accédons à une autre dimension de l’archipel, comme par un rite initiatique. Mais quelle passe choisir ?

C’est donc temps d’explorer les « outers » (la partie extérieure de l’archipel, la plus orientale) qui ne sont pas très accessibles et donc peu fréquentées. Au terme d’un zig zag prudent entre des hauts fonds et récifs, nous arrivons au centre du hameau de Rodlega, très bien abrité de tous les vents. Un seul voilier nous a devancé au mouillage. Il n’y en n’aura pas d’autres ce soir. Destination improbable, le petit ponton de bois mène à un sentier herbeux qui parcoure le village. Sans chemin pour aucun type de véhicule, tout se fait à pied. Quelques habitants restent au village toute l’année. L’épicerie ou on trouve de tout, n’ouvre que deux heures par jour, bien qu’une étale de fruits et légumes reste disponible. Le client se sert et paie son dû. C’est parait-il l’épicerie la plus à l’est de Suède. Le sauna, les barbecues sur les pontons, la cabane du port, tout parait désert. Seuls les drapeaux flottant au dessus de quelques maisons témoignent d'une présence. Nous remplissons le livre de passage au bureau du port laissé ouvert, et sommes surpris de constater qu’une dizaine de bateau tout au plus sont venus ici cette année. Cette île n’est même pas mentionnée dans les guides nautiques. Qu’on y est bien. Comme chaque soir après 22h, le soleil nous réserve un spectacle dont il a le secret, chaque fois avec des nouveautés.

Depuis quelques jours, le vent s'est affaibli. Ce matin, 4 à 8 nœuds. C'est pourtant suffisant pour avancer à la voile, grâce au calme de la mer : aucune vague qui pourrait freiner Boisbarbu. Nous sommes étonnés de voir avancer Boisbarbu à 4 nœuds, juste avec 7 nœuds de vent de travers. J'en suis souvent reconnaissant à Philippe Harlé, cet architecte naval brillant et bien inspiré qui a dessiné le Feeling 1090. Un vrai génie, qui n'a dessiné que des bateaux performants. C'est donc par une navigation tranquille que nous atteignons l'île de Moja , ou nous amarrons à un ponton de Langvik avec vent nous éloignant du quai.

Après quelques heures de marche à pied et de vélo pour faire le tour de l'île et une bonne radée de pluie, nous retrouvons Boisbarbu de travers au petit ponton, à cause du vent qui souffle fort maintenant par ¾ arrière et menace de faire déraper son mouillage arrière. Le petit voilier des deux suédoises qui faisaient leur adoration au soleil sur le ponton, a pris la fuite. Je comprends vite qu'il nous faut en faire autant si on ne veut pas que Boisbarbu dérape sur les rochers. Quelques manœuvres pour s'échapper sans casse, et nous voici en recherche d'un ponton . Des pontons, il y en a des quantités à Moja, mais aucun ne convenait à Boisbarbu ce jour là.

Nous trouvons heureusement un mouillage abrité et improvisé, au sud de la minuscule île de St Tornoe

Les 17 milles pour rallier Sandhamn se font vent de face, au près serré. Tirer des bords dans le sound de Moja : je suis tenté de gratter quelques longueurs avant de virer de bord, au raz des rochers de la côte. Evidemment, chaque bord nous fait quitter largement le chenal. Il faut oser faire confiance à l'exactitude de la carte pour croire que la voie est libre devant la quille de Boisbarbu.

Les virements doivent être rapides et bien exécutés. Alors que je pousse la barre sous le vent, Evelyne enroule l'écoute de génois pendant que je libère la contre écoute de son winch. Je repasse derrière la barre en la ramenant au centre, avant de m'agenouiller derrière le winch sous le vent pour embraquer avec la manivelle, pendant qu'Evelyne m'a relayé à la barre pour garder le près sur le nouveau bord. Notre synchronisation est parfaite. Boisbarbu répond au millimètre. Il est tellement heureux et équilibré dans ses voiles, que sur 5 milles, il garde le bon cap de lui-même, sans personne à la barre, ni pilote automatique. Il semble avoir compris le parcours, et suit les oscillations du vent en nous dirigeant exactement ou on veut aller. Bravo, Boisbarbu !

Comme son nom l'indique, Sandhamn est l'île de sable, couverte d'une pinède ou s'abritent quelques résidences secondaires et ornée de belles petites plages sur sa côte ouest. Le tour de l'île en courant par les pinèdes est agréable et le village assez joli.

Notre voisin de ponton, un suédois sur un beau 37 pieds équipé régate, quitte le port quelques minutes avant nous. Nous le rattrapons par hasard en mer une demi-heure plus tard, en train de tirer des bords de près pour remonter un long sound vent de face. Nous voyant à ses trousses, il se prend au jeu et se met à régler ses voiles avec finesse et à tirer de beaux bords rapides. Petit à petit, Boisbarbu le gratte, au cours des bords limités par les rivages du sound. Par cette mer plate, nos bords sont propres à 90°. La course amicale et fortuite est lancée. Notre concurrent est meilleur en rapidité d'exécution des virements de bord (grâce à son petit génois plus rapide à embraquer) et en vitesse sur l'eau, alors que Boisbarbu est meilleur en cap. Ca y est, nous lui passons juste devant d'une longueur à l'occasion d'un crossing**** et parvenons à garder la main et consolider notre avance que l'on peut mesurer à chaque crossing. Parfois on a le temps d'échanger un signe du bras, avec un grand sourire.

Après 2 heures de tension, de réglages, d'essoufflement, nous abattons vers le sud pour rejoindre l'île de Namdoe, alors que le suédois continue vers l'ouest. On se salue alors que nos routes divergent. Ni l'un ni l'autre n'a eu le temps de sortir son appareil photo pour cliquer son adversaire. Nous entrons dans la crique nord de Namdoe et mouillons l'ancre dans la vase, par un vent soufflant maintenant en rafale. Nous décompressons autour d'un thé, après la tension de la « régate » et l'entrée rapide dans le défilé de la crique. Belle partie de voile ou Evelyne s'est prise au jeu.

C'est par un temps maussade que nous passons cette dernière journée de navigation dans les chenaux. La mer est d'un vert très sombre, les îles sont noires, le soleil perce rarement la couche nuageuse. Pour rentrer dans le port naturel de Uto, il faut suivre scrupuleusement l'alignement de 2 triangles jaunes, décalés de quelques dizaines de mètres sur le rivage, pour rentrer avec précision dans une passe invisible en surface mais qui sous l'eau ne laisse que très peu d'eau sous la quille : 50cm tout au plus. Ensuite, pour atteindre le ponton, il faut y aller très lentement, car le sondeur indique 40, 20, 10cm sous la quille. Filer l'ancre, sa chaine et sa sangle par l'arrière, alors qu'Evelyne une amarre à la main, enjambe le balcon avant pour sauter sur le ponton de bois. Boisbarbu s'arrête à 1,50m du ponton, la quille déjà engluée dans le fond de vase. C'est sûr, on ne va plus bouger. Il faudra aménager une passerelle pour descendre à terre. La grand-voile est récalcitrante à affaler, et encore plus à hisser. C'est son réa en tête de mat qui a éclaté sous la pression de la drisse. Ca me vaut 3 montées en tête de mat pour remplacer le réa.

Ce petit port est assez animé et nous séduit immédiatement par son ambiance conviviale, ses quelques bâtiments rouges, son organisation d'accueil, simple et organisée. La douche et le sauna sont un vrai moment de détente et de convivialité. Chacun prépare son barbecue sur les pontons ou dans le petit bois qui longe le port, pendant que d'autres se sèchent au soleil après le sauna, une bière à la main.

Une journée de relache dans cette charmante île d'Uto, que nous parcourons à vélo, et découvrons ses plages quasi désertes, ou nous pouvons nous étendre, nous baigner et nous sécher sur le granit chaud. Nous rencontrons Anders et Elizabeth, de Stockholm, qui naviguent depuis 40 ans dans l'archipel, sans en sortir, sur un Konforlina 32. Il nous invite à partager un restau sympa installé sur les rochers de granit, ou la musique d'un groupe de jazz arrondit le paysage. Nous terminons la journée autour d'un verre de vin à leur bord, à échanger nos expériences et faire connaissance.

Jeudi 2 juillet : c'est donc décidé, nous quittons le Skargards (c'est le nom que les suédois donnent à l'archipel de Stockhom) ou il faudrait toute une vie pour découvrir les 24000 îles et îlots. pour entamer notre descente vers le sud. A 5h du matin, bien que le soleil chauffe déjà les pontons, le port est encore endormi. Nous sortons avec précaution de ce trou de souris protégé par de nombreux hauts fonds, puis une passe étroite qu'il faut franchir pour atteindre la haute mer. Les voiles se gonflent d'un vent de sud-ouest qui va nous entrainer vers la grande île de Gotland, au terme de 70 milles de traversée. C'est avec regret et émotion que nous regardons l'archipel s'éloigner dans notre sillage. Ses îles se confondent maintenant en une bande de terre uniforme du sud au nord. Il nous manque déjà… C'est le lot du marin : quitter avec nostalgie une île qu'on a aimée pour voguer vers un autre port, qu'on ne connait pas encore. C'est aussi faire des rencontres et créer des liens d'amitié avec des gens qu'on doit quitter pour peut-être ne plus jamais revoir, alors qu'on sentait des liens forts se tisser. Mais n'est-ce pas la vie nomade tout simplement : rencontrer, apprivoiser, aimer pour quitter, pleurer, se souvenir…

Les rochers et reliefs en dos d'éléphant en granit rose vont nous manquer

Peu d'oiseaux en Baltique, mais des canards et des cygnes, partout ! En mai les oeufs éclosent, et au cours des semaines, nous voyons grandir les petits. Le mâle entraine sa famille alors que la femelle veille aux petits en prévenant toute agression.

La traversée de 70 milles vers Gotland se fait d'un trait sur la carte, par vent de travers. Gotland est la Corse suédoise, sauvage, découpée, ensoleillée, qui attire les suédois en vacances, la jeunesse pour danser, les randonneurs à pied ou à vélo. Un stop sur l'île de Faroe, à l'extrémité nord de Gotland, entourée de colonnes crayeuses, ou vit le cinéaste Ingmar Bergman, et ou Olaf Palme (1er ministre suédois) est enterré.

Autrefois port de pêche, le port de Faroe est minuscule, tout comme ses cabanons pour la Capitainerie et les douches

Le plan étant de visiter la côte est de Gotland, moins touristique, nous nous engageons dans le chenal (étroit aussi celui-là) qui sépare Faro de Gotland. Le vent change rapidement de direction pour souffler fort de l'est, et nous ralentir. Les 3 ports successifs de Farosund que nous visitons sur la côte nord-est de Gotland, nous sont impraticables. Ils sont tout petits, avec très peu d'eau (1,30m à 2m) et dangereux avec ce vent d'est qui pousse notre bateau vers le fond du port. Le port de Valleviken, plus au sud, nous parait encore plus hypothétique. Alors, comme des nigauds, nous rebroussons chemin, repassons le chenal du matin, et revenons piteusement à notre point de départ : Faroe , pour y passer une nuit supplémentaire. Le port étant plein, nous mouillons l'ancre à l'extérieur, mal protégé, là où le vent fort malmène Boisbarbu sur sa chaine. Dans la soirée, une annexe à moteur se dirige vers nous. C'est un danois, Luc, qui vient nous proposer de rentrer au port dans une petite place qu'il a repéré pour nous. Ça vaut l'apéro, et une nuit à l'abri.

Vu la météo et les abris précaires de la côte est de Gotland, nous mettons une croix sur ce détour et nous dirigeons vers Visby , la capitale de Gotland, très jolie petite ville fortifiée, genre de St Tropez suédois, très animé mais plus simple et plus calme, donc supportable. La ville est en pleine effervescence après la « semaine des politiciens ». Comme chaque année, gouvernement, partis, associations, lobbies, se retrouvent à Visby pour des centaines de colloques, réunions, workshops, … Une manière d'exercer une démocratie directe et interactive. Nous aurions aimé y passer quelques heures de plus pour parcourir les ruelles sillonnant la colline, visiter les églises, les expos, la bibliothèque,… mais la prévision météo chamboule nos plans. Un fort flux de sud-ouest est annoncé pour une durée de 5 jours, à partir de demain matin. Il nous faut rejoindre le sud du continent suédois avant que nous soyons coincés sur cette île pour plusieurs jours. Les 115 milles qui nous séparent de la côte suédoise vont nous prendre 20 à 24 heures de voile. Il faut donc partir immédiatement. Le bateau est vite préparé à appareiller, les cirés et gilets enfilés, et hop, nous partons pour cette traversée. La nuit étant très courte les quarts se succèdent facilement et nous arrivons au sud-est de la Suède, dans le petit port de Kristianopel très abrité, alors que le vent de sud-ouest gonfle ses poumons. Touché par la foudre dans la nuit, le village est pour l'instant sans électricité. Kristianopel est un tout petit village, ou les habitants rivalisent de jardins fleuris (surtout des roses), la soirée s'anime d'une kermesse musette bon enfant, ou l'on se nourrit de la traditionnelle saucisse grillée scandinave et le port qui ne contient qu'une vingtaine de voiliers, est propice à la convivialité.

Quelle n'est pas notre surprise de voir arriver un Feeling 960, mle premier Feeling rencontré dans ce voyage. Ses propriétaires, un couple de hollandais, est vite convaincu de s'inscrire au Club des Feelings, que j'anime. Les 250 adhérents, les centaines de dossiers et documentations, le forum, les rencontres, et autres initiatives de ce Club m'occupent plusieurs heures par jour, même en été, et je m'en régale (Evelyne pas trop !).

Quand on lit le bulletin météo et qu'on voit les fichiers Grib*****, on n'a pas trop envie de mettre le nez dehors. Décidément, cette région de Baltique nous mets à rude épreuve pour la quatrième fois. A chacun de nos passages, le vent fort de sud-ouest nous a malmenés.

Nous repartons en rusant avec le vent et la mer, Boisbarbu bien équipé de 2 ris dans sa grand-voile et d'un foc de route de 17m2 au lieu de son génois de 43m2, en enchainant les virements de bord pendant 4 heures, face au vent, mais abrités par la côte sud-est de la Suède, puis en s'enfilant pendant 4 autres heures dans un labyrinthe de chenaux de l'archipel de Karlskrona, ou le vent souffle en bourrasques, mais ou la mer est relativement belle. Au moment d'embouquer le premier passage étroit de cet archipel, je réalise que nous sommes en surpuissance et que ce serait folie de slalomer entre les bouées et les récifs à cette vitesse. La grand-voile est vite affalée pour confier tout le travail de traction du bateau à notre petit foc de route, qui transforme notre après-midi en une navigation palpitante et ludique.

La marina de Karlskrona, neuve et moderne, nous accueille généreusement en incluant tous ses services dans un tarif journalier attractif. Pour 22 euros de nuitée, nous bénéficions aussi de l'électricité, douches, sauna, lave-linge et wifi, ces options qui sont ailleurs en supplément. Le tout proposé par un personnel très sympathique, souriant et aimable. Mais ça, c'est partout en Suède. La météo allant en empirant : vent d'ouest à sud-ouest forcissant de 25 à 40 nœuds (force 6 à 8 Beaufort) pendant 4 jours, nous en profitons pour visiter Karlskrona, la ville d'Ericsson et ABB, entreprises florissantes. Ville de marine militaire depuis le 17 ème siècle, elle est comparable à Rochefort en France ou à Chatham en Angleterre. Architecture au carré, rues larges et lumineuses, mais surtout le chantier naval et la corderie qui donnèrent la suprématie militaire à la Suède sur la Baltique pendant des siècles. De nos jours, cet arsenal est remplacé et illustré par un magnifique musée maritime, l'un des plus beaux, à mon gout, en Europe avec celui d'Amsterdam.

Mais ici, nous avons le privilège de visiter en détails un sous-marin moderne : le Neptune. Une vraie émotion de rentrer dans cette coquille sous-marine et de comprendre comment les 25 personnes d'équipage, tous très qualifiés, partageaient quelques mètres carré pendant des semaines sous l'eau.

Cet escale forcée à Karlskrona me permet aussi de publier ce récit.

A chaque voyage j'essaie de garder à bord un objet souvenir de la région visitée. Pour la Scandinavie, mon choix s'est porté sur ce "beau" couple de marins Trolls, que les mauvaises langues diront ressembler à Evelyne et Gérard...., qui vous saluent :)

 

 

>> Vous pouvez aussi suivre notre position en mer Baltique grâce à l'AIS, il vous suffit de cliquer ici !

 

*Brion : Angle avant de la coque, au bas de l'étrave. C'était le nom de la pièce de bois qui reliait la quille et l'étrave, dans les bateaux d'antan.

**Encablure : unité de distance égale à 1/10 ème de mille nautique, c'est-à-dire 185m. Je rappelle qu'un mille nautique correspond à 1 minute d'angle sur un méridien terrestre : 1852m. En matière de hauteur d'eau, les marins utilisent des unités comme le pied, ou le phatom (une brasse, en français) égal à 6 pieds. Les cartes françaises indiquent des mètres.

***Sound : défilé ou long détroit entre 2 bandes de terre.

****Crossing : là ou les routes de 2 bateaux se croisent quand ils tirent des bords pour remonter face au vent. C'est souvent un moment impressionnant, surtout quand ils se croisent à quelques mètres l'un de l'autre et à pleine vitesse.

*****Fichiers Grib : fichiers téléchargés par internet, montrant la vitesse du vent, sous forme de vecteurs, dans la zone sélectionnée, et sur une durée de plusieurs jours (4 à 7), par tranches de 3 heures. Ils sont superposables avec nos cartes marines sur le PC du bord.

 

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