Une seconde saison en Baltique

Mai et Juin: de Kiel à Stockholm

Cette saison 2015 sera consacrée à une partie de la Baltique : la Suède et le Danemark. Ayant parcouru l’ensemble de la Baltique en 2014 au rythme trop rapide du Rallye britannique de l’ARC, nous voulons naviguer tranquillement dans l’archipel suédois, à notre rythme. Nous lui consacrons les mois de juin et juillet, en partant du canal de Kiel ou nous avons laissé Boisbarbu hiverner. Contrairement aux années précédentes, et pour la première fois en 17 saisons, nous avons décidé d’être seuls à bord, sans équipiers qui nous rejoignent. Nous pourrons ainsi naviguer à notre rythme, sans contrainte calendaire pour rejoindre un point de rendez-vous à une date donnée, et sans logistique d’avitaillement ni de repas préparés à bord. De vraies vacances, au calme, les yeux ouverts sur ces pays scandinaves qui nous attirent. Nous en avons besoin, après un hiver chargé d’émotions, d’activités et de voyages.

Partis de Genève le 23 mai par avion, nous limitons notre bagage au minimum de vêtements et d’accessoires pour l’entretien et la réparation du bateau. Un vol Genève-Hambourg, un train pour Rendsburg, puis un taxi pour Borgstedt ou nous attend le calme bucolique de la marina Schreiber et notre fidèle Boisbarbu, un peu triste sans son mât, mais en bon état général, n’ayant semble-t-il pas souffert d’un hiver qui fut assez doux, sans accumulations neigeuses importantes.

Tellement occupés cet hiver, que nous en avons oublié de préparer notre navigation estivale et de réparer ou commander les pièces du bateau ramenées à Grenoble l’an dernier. Les préparatifs de mise à l’eau se limiteront donc au strict minimum sans aucun travail d’amélioration du bateau. Nettoyage du pont et de la coque et peinture antifouling des œuvres vives* sont nos principales occupations, avant le rituel du rematage qu’il faut exécuter avec soin si on veut affronter les vents de Baltique sans avarie de gréement.


Ici, en Allemagne, la loi de permet pas de vivre et dormir dans un bateau à terre, principalement pour des raisons de sécurité, je pense. Alors le chantier Schreiber met à notre disposition une chambre, une cuisine et un séjour. Evelyne est ravie de ce confort, et je suis un peu désorienté de partir travailler à bord de 8h à 19h, alors que j’avais l’habitude de faire de longues journées de bricolage, en négligeant la nourriture et le sommeil au profit des mille actions d’entretien du bateau. Le gardien du chantier vient me sortir du bateau le 1er soir avant 19h, en m’expliquant les règles horaires en vigueur.

La seule mauvaise surprise en redémarrant le moteur, est de constater une importante fuite de liquide de refroidissement dans les fonds de la gate moteur. La vieille durite fissurée doit être remplacée. En attendant la livraison d’une durite neuve (une semaine de délai), je rafistole l’ancienne pour quelques heures moteur, qui se perce à nouveau à d’autres endroits. Heureusement que je n’ai pas eu d’autres mauvaises surprises sur le bateau, car si le chantier est agréable par le calme de son environnement champêtre, il est éloigné de 50 kilomètres de tout fournisseur de mécanique ou d’accastillage. C’est sans doute le point faible de ce lieu d’hivernage.

Libéré de tout engagement d’embarquer des équipiers le lendemain de la mise à l’eau, nous pouvons quitter cet endroit sans stress, quand le bateau est bien prêt et par une météo agréable. Nous allons donc commencer notre navigation par de petites étapes, pour se refaire la main. La première pour remonter le canal jusqu’à Kiel, ville que nous pouvons visiter à bicyclettes à disposition des usagers du port, puis un arrêt à la marina de Stickenhorn pour aller chercher la durite enfin arrivée chez le concessionnaire Yanmar, avant de rejoindre Laboe, dans le golfe de Kiel ou un coup de vent et de fortes pluies nous bloquent pendant 2 jours. Le lendemain, nous sommes prêts pour une première longue navigation (76 milles) qui nous mène à Warnemuende, à l’entrée du golfe de Rostock, et qui représente un excellent point de départ pour une traversée vers le Danemark.

51 milles que nous franchissons facilement sous spi pour retrouver le port de Klintholm, sur l’île danoise de Mon ou c’était terminé notre Rallye de l’an passé. Le port nous parait vide, sans la présence des 25 autres voiliers avec qui nous avions navigué et festoyé pendant l’été 2014. Que de souvenirs dans la brume matinale sur les falaises crayeuses de Mon.

Qu’il est étrange et magique d’arriver par le port, à la seule force de ses voiles, du vent et de sa volonté, au centre d’une petite ville scandinave, comme dans un autre monde que nous empruntons pour quelques heures, avant de nous envoler définitivement pour ailleurs, comme des visiteurs éphémères.

La météo nous parait favorable pour quelques jours, alors on veut en profiter pour atteindre rapidement le domaine de navigation dans lequel nous voulons musarder cet été : la côte est de la Suède.

Une étape de 86 milles pour Simrishamn, puis une de 106 milles pour Kalmar. Whouf ! une telle distance dans la journée, c’est pas courant. Il faut dire que le jour se lève tôt et qu’en partant à 4h du matin, on a pas mal d’heures avant la pénombre qui n’arrive qu’après 22h. Nous avons bien repris nos marques sur le bateau, et ces 2 journées là nous comblent du plaisir de longues navigations au large, avec des vents puissants de force 6 à 7, et des vitesses de 7 à 10 nœuds, propulsés par le spi en matinée puis par les voiles en ciseaux et génois tangonné.

Un vrai régal, sous un soleil radieux. Ce qui nous empêche pas d’être très chaudement habillés, car l’air est à 12° et l’eau à 10°.
Sous quelques nuages d’orage qui assombrissent le ciel, le vent monte à 30 nœuds. Prise de 2 ris dans la GV et quelques tours d’enrouleur dans le génois tangonné. La vitesse chute à 8 nœuds. De sud, le vent tourne sud-ouest. Le front est passé, et les nuages balayés. On renvoie toute la toile et nous faisons chahuter par les vagues.
Ces longues journées de voile sont propices à l’inspiration et à l’élévation de nos âmes.

Il n’est que 5h. J’aime ce délicieux petit matin. La mer est encore endormie, légèrement vêtue. Sa peau frissonne à peine sous la fraicheur du léger thermique qui s’écoule des collines. Le soleil rasant qui pointe à l’horizon, en souligne les ridules dans ses lumières ciselées. L’onde est calme. Le plan d’eau encore vierge appelle mes désirs de voile. Le livre magique s’ouvre. Une page de mer est à écrire. Une journée est à créer, toute entière, maintenant ! Au terme de cette journée musclée, dans le Sound de Kalmar, au moment de border la grand-voile, sa balancine s’est entortillée autour du réflecteur radar qu’elle menace d’arracher si je tire sur borde l’écoute. Vite la dégréer pour la ramener en pied de mat, et la remplacer par une drisse de foc passée vers l’arrière. Une situation qui peut facilement dégénérer en avaries successives et qu’il faut résoudre sans casse et en toute sécurité.

A Kalmar, j’ai le grand plaisir de retrouver Mike et Louise et de leur présenter Evelyne. Des amis anglais que j’avais rencontrés en 2011 à Kinlochbervie, dans le nord-ouest de l’Ecosse et avec qui nous avons navigué de conserve** dans les Orcades, sur leur voilier Vela, un fin Sigma de 10m. Les retrouvailles sont chaleureuses et se terminent autour d’une bonne bière. Mike et Louise nous quitte pour faire de l’est, vers les pays baltes.
Pour nous, une journée de relâche à Kalmar. Repos, rangement, course à pied, matelotage, …

Qu’il est agréable de pédaler à vélo sur les berges de Kalmar, de s’extasier devant ses petites maisons de bois, avant d’aller boire une bière sous les couvertures polaires d’une terrasse de café de la grande place.

L’archipel suédois
La Suède est bordée de dizaines de milliers d’îles et îlots, et d’un dédale d’une multitude de canaux ou il est facile de se perdre. Le plus célèbre de ses archipels est celui de la côte est qui s’étend sur 400km autour de Stockholm. Quittant Kalmar, nous rejoignons ce domaine de navigation qui est l’objectif de notre saison. C’est un immense terrain de jeu pour la navigation, aux mille possibilités, mais un terrain de jeu dangereux ou une erreur sur la route, un moment d’inattention à la barre, fracasserait la quille du bateau sur un rocher.

Après une nuit dans le port de Borgholm, sur l’île d’Oland, que l’on accède en suivant scrupuleusement un alignement matérialisé par deux triangles inversés, un bord nord-ouest sous spi nous amène dans l’archipel. Au début, nous gardons la grand-voile haute et changeons facilement notre direction dans les premiers bras du labyrinthe, choquant la voile en grand pour ralentir dans les passages étroits. Mais les couloirs du labyrinthe se resserrant, les seuils de roche étant plus menaçant, je me résous à affaler la voile pour progresser au moteur, pour être plus manœuvrant et battre machine arrière en cas d’imprévu ou de doute. Le mouillage nord d’Eko, prévu pour une pause du déjeuner, est bien décrit dans le guide « 105 Rocks » de Martin Edge, avec la route à prendre bien tracée sur la photo aérienne des alentours du mouillage. Seules quelques encablures pour rejoindre cette zone depuis le chenal balisé, ne sont pas documentées. Mais elles paraissent si évidentes que je les trace facilement sur la carte. Alors que l’alarme du sondeur se met à biper, j’ai déjà réduit la vitesse à 2 nœuds, mais la hauteur d’eau sous la quille se réduit encore : 1,40m, 1,20m, 90cm, 40cm, …. Je réduis la vitesse à moins d’un demi-nœud. Alors que nous passons pile au entre un caillou émergeant à 10m sur bâbord et des écueils sur tribord,… GCRRKRRhqkrrrkrr ! la quille frotte sur le sol rocheux. Horrible bruit, horrible sensation. Le cœur palpitant, je parviens à reculer puis faire demi-tour en finesse et contrer le courant qui nous rapproche de ce caillou de bâbord. Nous renonçons à cette passe, réalisant que Martin Edge avait un voilier d’1m30 de tirant d’eau, alors que Boisbarbu tire 1m85. C’est donc sans profiter de ce mouillage, que nous rejoignons le chenal et poursuivons notre route vers Figeholm. Nous savions qu’il ne faut pas quitter les chenaux balisés par les bouées latérales rouge ou verte, mais pour rejoindre un mouillage, on n’a pas le choix. Le chenal pour Figeholm est très tortueux, parfois très étroit et avec peu d’eau sous la quille. Les passages les plus délicats sont balisés par des bouées latérales serrées comme les portes d’un slalom à ski. Dans ce sens, nous laissons les rouges à bâbord et vertes à tribord. Ma route est tracée sur l’ordinateur du bord (à la table à carte), ainsi que sur un GPS fixé sur le puit de barre, donc toujours sous l’œil du barreur. De plus, j’ai à la main une tablette avec la cartographie Navionics très détaillée de la région, sur laquelle ma route est également tracée. Il n’est donc pas possible de se perdre, mais toujours risqué de rater une bouée latérale, lorsque la fatigue s’accumule ou que le soleil rasant m’éblouit. Je demande souvent à Evelyne de questionner et vérifier mes choix pour ne pas laisser place à la faute d’inattention.

Ce soir, à la table à carte, je me replonge dans notre incident de midi, sur les cartes et topos. La carte CM93 de 2010 ne montrait pas ce haut fond que nous avons raclé, alors qu’il est indiqué sur la carte Navionics et visible sur la tablette. La carte CM93 de 2013 l’indique également. C’est donc moi qui ai fait l’erreur, en traçant la route sur le PC avec le choix de cette passe. Et pourtant, ceux qui me connaissent savent le soin que j’apporte à la préparation de mes navigations. La mer enseigne l’humilité.

Figeholm est un tout petit port très mignon et plein de charme, ou la dizaine de voiliers sont amarrés en grappe sur une plateforme de bois. Quelques prises de courant, un tuyau d’arrosage, des fleurs, un banc et une petite maison proprette en guise de Capitainerie.

Le Maitre de Port, Hans, nous reçoit chaleureusement, s’intéresse à notre itinéraire, nous parle de sa vie, et nous offre le thé et des cookies avant de nous faire payer la nuitée. Puis nous visitons le petit musée de pêcheurs, très riche en barques, accessoires, images d’antan. Anders, son conservateur, nous explique avec passion et nostalgie l’histoire et la culture de son village. Nous sommes sous le charme de cet endroit idyllique et de ses habitants. Le tout sous le soleil et une température printanière, qui donnent le sourire à tout ce qui nous entoure.

Le nom du petit port de Blankaholm attire mon attention et semble paisible et très reculé. J’en fais l’objectif du lendemain, bien qu’il ne soit pas référencé sur la plupart des guides nautiques. Cette étape, plus facile au début, se conduit principalement à la voile, en particulier lors d’une incursion en mer ouverte. Un voilier anglais nous course et nous double à l’avantage de son spi asymétrique. Nous le laissons passer, en restant sous génois et profitons de cette journée de navigation paisible sur une mer calme ou seul le chuintement de l’eau sur la coque berce nos pensées. Je prends en photo le voilier de cet anglais sous tous les angles, en pensant que le soir ce sera un joli cadeau à lui faire. Il sera ravi de voir les images de son bateau progressant sous spi entre les îlots. Mais après quelques milles, nous embouquons un chenal sur bâbord alors que notre anglais file tout droit pour une autre destination. Les îles et chenaux se succèdent, de plus en plus étroits et tortueux, jusqu’à aboutir au minuscule port de Blankaholm : un ponton vermoulu, une cabane délabrée, pas une âme qui vive. Une piste forestière débouche sur un petit bar et une épicerie déserts. Ce petit village autrefois actif d’activités de transport de bois, est maintenant tombé en désuétude. C’est donc dans un calme total, un peu sinistre que nous passons la soirée ici.

Sans regret nous quittons cet endroit lugubre, auquel on finit par trouver un certain charme, par exemple ce vieux bateau de pêche mal entretenu qu’Evelyne reproduit en aquarelle, quand les rayons rasant du soleil lui donnent un air mélancolique. Le ciel est d’un bleu parfait, la brise de sud-est se lève et nous propulse dans tous les méandres de notre labyrinthe quotidien. Là où nous avions perdu de vue cet anglais hier après-midi, il surgit, comme son ancêtre Nelson, d’un bras de mer caché. A nouveau, il nous prend en chasse, en usant de son spi, plus puissant que notre génois. Lorsqu’il nous dépasse sur tribord, à porter de voix, il nous hèle dans un bel accent britannique : « Ou est Mike et Louise ? » Nous lui répondons machinalement, mais n’en revenons pas : que cet anglais connaisse Mike et Louise, et sache que nous sommes leurs amis, et de plus qu’il surgisse derrière nous alors qu’il y avait peu de chance de se retrouver dans ce dédale de canaux, c’est incroyable.

Décidément, notre monde est parfois bien petit. Son voilier s’appelle Yena. Nous le retrouverons, j’en suis sûr. La journée est douce, comme le vent pourtant frais, qui nous amène par des passes étroites dans notre mouillage du soir : Bjorkoe. Une grande étendue d’eau circulaire, entourée de forêts de sapins comme nos lacs de montagne, et percée de quelques passes bien dissimulées. Il suffit de choisir son emplacement, en fonction de la direction du vent, pour se garantir un mouillage sûr et tranquille pour la nuit.

Valdemarsvik est tout au bout d'un long fjord remontant vers le nord-ouest. Pour accéder au fjord, ça se mérite, dans les incroyables tortuosités et chicanes que nous impose l'archipel.

La plupart des hauts fonds rocheux sont parés par une bouée latérale, que l'on laisse à bâbord pour les rouges et à tribord pour les vertes, sauf quand on est dans un chenal à sens inverse… Mais au fait, comment savoir dans un chenal transversal, si on le prend dans le sens rentrant ou inverse ? Certaines îles sont signalées par un petit phare, d'autres abritent quelques petites maisons en bois, généralement de couleur rouge sang, parfois bleu gris, plus rarement jaune, comme toutes les maisons des pays scandinaves. A quelques mètres de la maison : un haut pylone ou flotte le drapeau suédois, pour indiquer la présence des propriétaires. Au bord du fjord, un petit sauna avec un ponton et quelques marches qu'on emprunte pour se tremper dans l'eau glacée à la sortie du quart d'heure brulant du sauna. Parfois un garage pour le bateau.

A cette saison, la marina de Valdemarsvik est presque vide. On y trouve facilement une place entre 2 fingers*** ou l'on s'amarre aisément. Myriam, la patronne du bar-restau nous accueille à bras ouverts, nous offre le café et nous propose une douche si celle du port est fermée. Myriam est française, et vit ici depuis 21 ans ou elle a monté bars et commerces. Très chaleureuse, elle dit avoir transformé les habitudes sociales de ce village. Elle en semble capable.

Gryts Varv est une petite marina perdue dans une partie de l'archipel pratiquement déserte. La navigation est très sauvage et emprunte des tortuosités incroyables, et surtout 2 passages très étroits entre des rochers ronds que l’on passe au pas, au cas où la carte ne serait pas parfaitement exacte. Ouf ! Ça passe ! La météo annonçant un coup de vent d’ouest pour la nuit, nous amarrons solidement à un ponton de Gryts Varv, ou les propriétaires de yacht à moteur ferment leurs bateaux avant de rejoindre Stockholm (demain, c’est lundi). Ils nous font remarquer très gentiment qu’on s’est garé sur un emplacement privé et qu’il vaudrait mieux changer d’emplacement. Ils nous aident à trouver une place et à nous amarrer, avec calme alors qu’ils ont de la route à faire. Bravo les suédois ! La marina est complétement désertée, le bureau du port et le bar fermés. Nous y sommes seuls. Nous allons marcher une heure sur la route, sans voir une voiture ni personne. Etrange impression.

Réveillés à 4h du matin par un rayon de soleil qui nous tape dans l’œil à travers un hublot, nous décidons d’appareiller tôt pour profiter pleinement des lumières du petit matin. C’était sans compter la fraicheur matinale. Nos 4 premières heures de navigation ont été glaciales, par vent de 20 nœuds dans le nez. Bonnet, plusieurs polaires, cirés, gants, thé chaud, ne suffisent pas à nous réchauffer. Mais les paysages qui défilent de chaque côté du bateau, si rapidement et si proches, sont fantastiques. Les îlots en forme de dos d’éléphant sont sombres et froids. La mer est bleue foncée, sauf à l’est ou elle frétille comme un banc de poissons argentés. Et puis, cette force à se déplacer à 7 nœuds à la voile dans ce labyrinthe tournicotant, nous saisit d’enthousiasme. La nouvelle marina d’Arkosund nous accueille en hissant le drapeau français, et en nous proposant sauna et machine à laver. Ainsi que la connexion wifi, bien sûr, si fréquentes et de si bonne qualité dans la plupart des ports, que je peux régulièrement alimenter ce récit, communiquer avec nos amis, et gérer nos activités associatives à distance.

Impossible de rater l'entrée du bureau du port, avec ces 2 balises latérales bâbord et tribord ! Je verrais bien ça sur notre portail à Eybens :)

Mouillage d'Aspofalden: Entrée vraiment délicate, que l'on aborde au pas, à une vitesse inférieure à 1 nœud, en se positionnant juste au milieu de la passe qui n'est large que d'une quinzaine de mètres. Le sondeur hurle : 80cm, 60, 40, 20cm sous la quille !! Je bats machine arrière toute, pour ne pas risquer de toucher. Peut-être ce mouillage ne nous est pas autorisé, avec notre tirant d'eau d' 1,85m. Essayons une deuxième fois en rasant le rocher sur bâbord. Hourrah, ça passe avec 80cm sous la quille. A l'intérieur, la carte montre un espace de seulement 50m de diamètre ou nous pouvons évoluer avec 60cm d'eau sous la quille. Nous jetons l'ancre au milieu de cette « piscine » pour y passer tranquillement la nuit. Le lendemain matin, nous tentons une « prise de roc » par l'avant. C'est le type de mouillage le plus répandu en Suède, car il permet d'avancer l'étrave du bateau jusqu'à la berge, même si il a très peu d'eau. Après avoir repéré soigneusement l'endroit propice, entre 2 rochers, j'avance très doucement, à 0,2 nœuds en laissant descendre une ancre à l'arrière qui file toute seule en déroulant la sangle qui la retiendra au bateau, jusqu'à aller appuyer l'étrave (préalablement protégée par un pare battage) sur le granit du rivage. Evelyne saute à terre avec une amarre à la main, pour la tourner au piton enfoncer sur le rocher, pendant que je tire sur la sangle arrière pour faire reculer le bateau d'un mètre. Ca y est, notre première expérience de « prise de roc » est réussie ! J'en suis super heureux, et notre promenade à terre n'en n'est que plus joyeuse.

Encore un jour de navigation tout à la voile, dans les sinuosités et chicanes imposée par les îlots et rochers. Quel plaisir que de négocier ces slaloms sous voiles, par un vent portant, ce qui ne laisse pas de marge de manœuvre en cas de la moindre erreur dans l'itinéraire. Plusieurs bateaux affalent les voiles à l'entrée de ces slaloms pour ralentir et bénéficier de la sécurité du moteur qui permet une marche arrière au cas où. Nous nous sentons maintenant plus sûr, et enchainons les empannages en rasant cette bouée verte, ou cette balise cardinale. C'est grisant pour nous 2 et on peut lire sur nos visages les traits du plaisir mêlé d'anxiété. Ce délire n'est possible que si l'on est 100% sûr de la préparation de son itinéraire, de l'exactitude des cartes et du balisage, et de nos possibilités de manœuvrer rapidement en toutes circonstances. Tout réside dans une très bonne préparation la veille au soir : 2 heures d'un travail méticuleux ou l'on trace la route de l'étape de façon très précise. Nos routes contiennent de 60 à 100 waypoints (pour des parcours de 20 à 30 milles) décrivant toutes les courbes et circonvolutions imposées de l'itinéraire.

Chapitre technique sur la navigation (à déconseiller aux âmes sensibles et inconditionnels de la règle de Cras)  : Pour cette navigation dans l'archipel suédois, j'ai mis au point un système de navigation spécifique, et redondant dans les équipements utilisés. Je commence par tracer la route sur la carte Navionics, sur une tablette Android, d'abord dans les grandes lignes, puis dans les détails. En cas de doute sur un détail, en particulier pour l'arrivée dans un mouillage délicat, je vais chercher des informations complémentaires dans les guides nautiques et récits que j'ai à disposition. Une fois cette route sauvegardée, je la transfert sur le PC. Là, l'appli Navionics manque de souplesse et impose 2 contraintes :

Nous voici donc avec 3 équipements : - le PC à la table à carte, - la tablette dans le cockpit, - le GPS sur le puit de barre, que nous pouvons consulter successivement pour voir la route sous différents « angles », avec des infos complémentaires.

L'expérience nous montre que c'est finalement la tablette qui devient notre instrument de cartographie privilégiée pour anticiper le balisage et suivre l'itinéraire. Le GPS venant en complément pour le barreur pour l'informer sur l'écart de route, la route fond, le temps et la distance d'ici la prochaine manœuvre, alors que le PC affiche l'image générale de la carte, les autres navires équipés de l'AIS en nous alertant des routes de collision, et nous prévoit une heure d'arrivée estimée. La complémentarité des 3 équipements offre une redondance en cas de panne de l'un d'entre eux et nous donne un niveau de confiance nécessaire pour ce type d'itinéraire en rase-cailloux.

Maintenant, comment nous répartissons nous les rôles ? Evelyne est sur le PC à la table à carte, parfois sur la tablette, et les yeux sur le balisage et les alignements, pour contrôler mes interprétations au cas où je perde les pédales après quelques heures de fatigue. Quant à moi, je suis à la barre, souvent confiée au pilote automatique, et les yeux sur la tablette sur laquelle je fais continuellement des zooms avant arrière pour profiter des infos de chaque échelle de cartes, et en complément sur le GPS dont le zoom est réglé entre 80 m et 200 m par cm. Et tous les deux, nous scrutons l'environnement, le paysage marin, les amers, et tous les indices qui peuvent corroborer ou infirmer les informations électroniques.

Voilà, c'est notre méthodologie, qui ne se veut pas être la meilleure, mais qui a le mérite d'exister et de remplir son objectif : naviguer en sécurité avec un bon niveau de confiance.

Tablette et GPS sont alimentés par câble 12v dans le cockpit, afin de durer la journée sans se décharger. En cas de pluie, la tablette est protégée par une housse étanche, alors que le GPS est étanche de lui-même. En fin d'étape, je sauvegarde la trace de la tablette ainsi que celle du PC alors qu'Evelyne et moi repassons en revue ces traces pour débriefer certains tronçons et accumuler de l'expérience.

Bref, c'est tout de même une « usine à gaz », et vous pourrez comprendre que je ne concède pas beaucoup de temps à la lecture, car à peine arrivé et débarrassé de mon harnachement (ciré et gilet de sauvetage), il me faut me consacrer à la route du lendemain. Heureusement, les journées sont longues.

Nous progressons chaque jour un peu vers le nord, mais finalement assez lentement comparé aux efforts déployés pour préparer et naviguer. Nous ne tiendrons donc sans doute pas notre objectif d’atteindre la Finlande. Mais on s’en fiche, nous nous régalons dans cet archipel à jouer comme des enfants qui feraient l’école buissonnière, en perdant les notions de temps, de planning, de distance. Que c’est bon !

Nynashamn, nous voilà. On a lu dans le guide que c'était un bon endroit pour avitailler. C'est pourquoi on a choisi Nynashamn, avant le long week-end de Midsummer, qu'on appelle aussi Eve's day, ou tout est fermé en Suède pour 3 jours : le vendredi pour fêter le jour le plus long et boire beaucoup, le samedi pour cuver, et le dimanche pour récupérer. Le supermarché Coop de Nynashamne est effectivement bien achalandé et proche de la marina. Le bureau du port est soigné, les douches confortables, et le sauna très agréable et spacieux.

Du sauna, j'ai le plaisir de voir notre bateau !... avant la soirée lecture à la chaleur de la lampe Petromax

Moerkviken est un magnifique mouillage, très protégé de tous les vents, dont l'entrée est bien gardée par des récifs disposés aléatoirement. Nous choisissons cette étape sauvage avant d'atteindre Stockholm ou nous serons quelques jours dans l'agitation de la capitale. Malheureusement, depuis cette nuit, le ciel s'est couvert, la brume s'installe et cohabite avec la bruine ou la pluie. Le ciré, les bottes, la capuche et les gants sont de service, et le froid humide vient à bout de nos métabolismes. Le soir, nos mains engourdies se réchauffent autour de la lampe à pétrole. Nos amis suédois Tomanita ont repéré Boisbarbu sur l'AIS et rentrent en contact avec nous. Nos routes se croisent sans qu'on se voie, chacun tentant d'échapper à la brume. Dommage.

Les 5 heures de navigation qui nous séparent de Stockholm nous transportent progressivement de la nature sauvage à la grande ville. Les maisons sont de plus en plus nombreuses sur les îles et de plus en plus confortables et sophistiquées. A 15 milles de la ville, nous nous engageons dans l'étroite gorge de Baggensstaket, les yeux rivés sur le sondeur et les cartes.

Au détour d'un étroit méandre, une corne de brume retentit 100m devant l'étrave et nous fait sursauter. C'est un ferry qui arrive en sens inverse à vive allure, dans ce virage ou il n'y a pas la place de se croiser. Je fais machine arrière toute, pour laisser passer le ferry prioritaire. Le trafic en sens inverse se fait de plus en plus dense, ce vendredi matin ou les plaisanciers de Stockholm partent en famille ou entre amis rejoindre leur îlot favori de l'archipel ou ils ont peut-être une maison ou au moins un emplacement de barbecue. La plupart portent le grand pavois et ont décoré leur bateau de branches d'arbre et de couronnes de fleurs pour célébrer Midsummer, le jour le plus long de l'été.

Dans le centre de Stockholm, ankylosés par l'humidité et le froid, nous amarrons Boisbarbu au ponton de la petite marina Navishamnen, sous une pluie battante ... Pour ces 3 jours de congés, la ville est totalement endormie.

Evelyne et Gérard

>> Vous pouvez aussi suivre notre position en mer Baltique, il vous suffit de cliquer ici !

Les guides nautiques (en gras, les plus utiles)

Lexique:

* oeuvres vives: la partie de la coque qui est immergée dans l'eau s'appelle "les oeuvres vives", contrairement aux oeuvres mortes, qui elles sont hors de l'eau. La peinture antifouling s'applique uniquement sur les oeuvres vives, puisque c'est la partie de la coque ou s'accrochent micro organismes et algues marines.

** naviguer de conserve: Oui ! vérifier dans le dictionnaire, mais c'est bien l'expression correcte pour signifier naviguer en compagnie de... On entend trop souvent, à tort: naviguer de concert ! ou naviguer de conserte ! qui sont des fautes de français.

*** fingers: petits pontons latéraux aux bateaux, un peu comme nos catways bretons mais beaucoup plus étroits et instables. Il est difficile d'atteindre ses anneaux d'amarrage et intrépide de sauter dessus quand on arrive à son poste d'amarrage. Et pourtant, il faut bien...

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