Bretagne et anglos normandes

La première partie de la saison 2014 aura comme objectif de convoyer Boisbarbu vers la mer Baltique ou il prendra le départ du Rallye de l'ARC le 5 juillet à Schilksee, dans la baie de Kiel (Allemagne). Ayant proposé à quelques amis de m'accompagner pour ce convoyage, je m'efforce de rendre cette navigation la plus agréable et intéressante possible, avec des étapes raisonnables que nous effectuerons de jour, en prenant pour escale les ports et mouillages les plus attrayants et pittoresques.

Notre parcours passera par l'île de Wight, ou John m'a invité à participer à la régate « Around the Island ». Je me suis bien promis de ne pas rater cette opportunité aussi unique et prestigieuse dans le monde du yachting.

L'itinéraire le plus agréable pour rejoindre Wight me parait être celui des îles. Surtout pour mes équipiers, l'abordage et la découverte d'une île est toujours un moment unique, superbe, propre à la méditation et aux souvenirs enchanteurs. Débarquer et déambuler sur une île engendrent des sensations de dépaysement bien spéciales. Puis quitter une île pour naviguer vers la suivante procure un grand sentiment de liberté. Je veux leur faire partager ces impressions et sentiments.

Mon premier équipage : Gérard A, Daniel et Jo, parcourront les îles de la Bretagne sud et la mer d'Iroise.

Arrivés à Foleux la veille de la mise à l'eau de Boisbarbu, mes trois compères que je retrouve avec joie après 2 semaines de solitude, sont tout étonnés de devoir dormir, manger et vivre sur le voilier perché sur son ber, comme un nid que l'on accède par une échelle de 3 mètres. Ils me donnent un coup de main pour les derniers aménagements du pont et de la voilure, le remplacement d'une batterie, d'un haut-parleur extérieur puis du réflecteur radar dans les haubans, le gonflage de l'annexe, plein d'eau et autres préparatifs que je leur avais laissés sur ma liste d'actions. Ils observent attentivement la mise à l'eau de Boisbarbu, précairement transporté par un tracteur vers la cale qui s'enfonce dans les eaux de la Vilaine. Mise à l'eau retardée par un incident dans le circuit primaire de refroidissement, ce qui nous vaut l'après-midi pour isoler la prise d'air dans le circuit de pompage d'eau de mer et y apporter en groupe quelques solutions complémentaires avec les pièces détachées que nous avons à disposition ou que nous avons à fabriquer ou à adapter.

5 juin : descente de la Vilaine dans le brouillard matinal et mystérieux, passage du barrage d'Arzal sous les directives riches en couleurs de l'éclusier, accès à la mer ou un vent de travers nous propulse vers le port de St Gildas sur l'île d'Houat, que nous visitons avec toujours le même plaisir. Daniel nous fait un cours sur les vitraux de l'église sous l'oreille attentive et étonnée de la sacristaine. Les vacances commencent.

6 juin : direction Sauzon, ce charmant petit port de Belle-Île auquel nous renonçons car peu confortable par ce fort vent de sud-est. C'est l'occasion de passer la Pointe des Poulains pour aller mouiller dans Ster Vraz, cette magnifique calanque encaissée ou Boisbarbu n'a pas la place d'éviter sur son ancre. Deux aussières portées à terre le stabilisent. Deux pêcheurs que j'aide à amarrer nous offrent le produit de leur plongée : 7 belles araignées et des Poussepieds. Après une longue balade à pied à Sauzon en passant par les Poulains, le diner sera une vraie fête de fruits de la mer.

7 juin : 4 heures sous spi pour atteindre l'île de Groix ou nous amarrons entre 2 coffres de l'avant-port vu que tous les pontons sont occupés par la régate du week-end.

Le lendemain, c'est à nouveau sous spi que nous atteignons l'archipel de Glénan ou nous mouillons au nord de Bananec. Promenade traditionnelle sur l'île St Nicolas et son sauvage estran.

Au passage du Raz de Sein, je comprends que les conditions sont idéales pour embouquer la passe orientale et offrir une île de plus à mon équipage. Et pas des moindres: l'île de Sein, terre la plus à l'ouest de notre territoire, balayée par les vents et habitées par des gens qui ont souvent marqué notre histoire et nos imaginaires. Au bout d'une ruelle étroite, meurtrie par les tempête de cet hiver, je distingue Boisbarbu qui se repose sur son mouillage.

Un passage surprise et grandiose à la voile entre les Tas de Pois, ébahit mes camarades, avant de tourner le Toulinguet pour découvrir la baie de Camaret ou l'on amarre au pied de la Tour Vauban. Nous y sommes reçus comme des rois par Pascal et notre amie Christine. Crustacés, bons vins et joie de se retrouver, nous retiennent tard dans la nuit.

Dans le chenal du Four, une pause déjeuner nous attend avec Christine sur la plage Corsen, au pied du célèbre Cross du même nom. Un moment bien agréable sur le sable chaud devant Boisbarbu se dandinant sur son ancre, avant de prendre les alignements qui nous mènent dans l'Aber Ildut ou nous assistons à la ronde incessante des goémoniers venant se décharger de leurs lourdes cargaisons récoltées autour de l'île Molène. Mon équipage est enchanté par cette navigation exceptionnelle, ce qui me ravit.

Après un passage attentif du phare du Four et de ses cailloux, Boisbarbu dévale sous voiles le chenal de l'Aber Wrac'h pour affaler devant le port, ou l'après-midi est ternie par plusieurs heures d'un long et pénible débouchage et curage de la pompe et tuyaux des toilettes. Jo ayant courageusement passé l'après-midi les mains dedans, ne s'en remettra pas et sera malade toute la nuit, en dépit d'une soirée d'anthologie avec mes 2 équipages et Christine qui nous comble de victuailles, de Champagne, de bon pain et de Kouignamann… Rotation d'équipage bien arrosé, baume au cœur et changement de rythme.

Le deuxième équipage : le fidèle Gérard A, Catherine et Laurent, parcourront la Bretagne nord et les îles anglo-normandes, avant de traverser la Manche pour l'Angleterre et découvrir l'île de Wight. Sur d'un équipage bien aguerri, puisque tous trois jeunes skippers, je double la longueur des étapes et leur intensité.

13 juin : Long bord de près par vent de nord-est jusqu'aux 7 îles ou l'on mouille sous l'ile aux Moines, protégés du vent de nord-est. L'excursion à terre, au soleil couchant, dérange les dizaines d'animaux à longues oreilles qui nous filent entre les jambes ou nous observent d'un œil inquiet, puis nous invite parmi les goélands sur le versant sud de l'ile. Versant abrupt ou des dizaines de poussins goélands, au jeune duvet brun tacheté de marron clair réclament la nourriture qu'apporte leur mère et font l'apprentissage de leurs premiers pas en poussant de petits cris stridents. Juin est le mois de nidation. Nous restons discrets pour ne pas déranger cette vie naissante et surtout ne pas provoquer l'agressivité de ces centaines de goélands soucieux de leur progéniture. Rouzic, l'ile la plus orientale des 7, est blanche, couverte de milliers de fous de bassan qui en ont fait leur royaume.

60 milles de plus vers l'est pour rallier le port de St Hélier, sur Jersey et s'y reposer la nuit. On y croise un Feeling 1040 de St Malo, voisin de ponton de Philippe, propriétaire d'un Feeling 1090.

Le vent toujours de nord-est, défend âprement l'accès à l'ile de Sarcq ou nous mouillons dans le spectaculaire havre Gosselin, défendu par de hautes falaises qu'il nous faut grimper pour visiter le village toujours aussi charmant et qui gère sa centaine d'habitants avec ses propres lois. Par exemple au moment de commander une bière au bar du village, nous apprenons, déçus, que l'alcool est interdit à la vente le dimanche. Les voitures y étant toujours interdites, seuls quelques tracteurs et calèches se chargent des déplacements sur l'île.

Le jour suivant, c'est de nouveau une navigation au près, avec le foc de route car le vent a forci, en passant par les raz du Grand Russell, la remontée vers l'ile d'Alderney que l'on contourne par l'ouest des Casquets, en proie aux courants et raz du Swinge, connus comme redoutables dans tous les guides de navigation. Un « raz » est un phénomène généré par les vents contre les courants qui lèvent la mer dangereusement en des vagues hautes et courtes, imprévisibles et qui malmènent les bateaux. On a l'impression de traverser un champ de bosses chaotique, parfois parsemé d'étendue liquides plates et tourbillonnantes. Il faut y être passé pour comprendre ce que c'est et la vulnérabilité d'un bateau ainsi que le désarroi de son équipage. Le port d'Alderney protégé par sa longue digue nous accueille. Il est en pleine rénovation et nous y profitons de douches chaudes et propres. La petite ville de Braye et ses petites rues commerçantes, nous immerge dans son ambiance britannique.

Pendant la nuit le vent qui forcit nous inquiète en vue de la traversée vers l'Angleterre, par le vent de nord-est forcissant. Départ matinal, sous foc de route et grand-voile arisée sur une mer agitée. A la mi-journée, nous traversons facilement le rail ou les cargos sont aujourd'hui peu nombreux. Aucune occasion de route de collision détectée par l'AIS du bord. Tant mieux! Puis le vent descend d'un échelon et revient portant, ce qui nous vaut une arrivée sous spi asymétrique vers les côtes anglaises. Nous avons décidé de rejoindre la côte au plus vite avant la nuit, quel que soit l'abri. Mes équipiers qui ne connaissaient que la navigation en Méditerranée, sont impressionnés par la dérive de 50° due aux courants qui longent la côte. Au gré des courants qui traversent la Manche au rythme des marées, nous nous enfonçons dans la baie de Chapman's Pool ou nous mouillons sous des falaises d'où dégringolent des vents catabatiques dans un paysage inhabité. J'appendrai plus tard que mon ami John, devant l'écran de son ordinateur avait vu la trace de Boisbarbu sur Marine Traffic, traverser la Manche et venir se réfugier dans la baie de Chapman.

L'anticyclone qui stationne sur l'Irlande nous apporte depuis plus d'une semaine un vent régulier de nord-est et un ciel dégagé sans aucune précipitation. Un vrai coup de chance pour cette première partie du convoyage vers l'ile de Wight.

18 juin : Comme chaque jour, l'heure de départ est calculée pour optimiser notre étape avec les courants de marées. Il faut aussi prendre en compte la direction et force du vent pour prévoir les segments de notre route et la vitesse de progression. Plongé dans les cartes de courants du Reeds (the Yachtman Bible), Gérard A élabore une stratégie que je confronte avec l'étude de la carte marine. Nous sommes en phase pour un départ à 7h avec un courant faiblissant mais contraire, afin d'entrer dans le Solent (chenal qui sépare l'ile de Wight et la terre) avec le courant favorable. Le vent de nord-est nous écarte de la côte sur un long bord de près, avant de nous laisser rentrer dans le Solent avec le concours de puissants courants favorables. C'est toujours avec émotion que je vois défiler les Needles, ces aiguilles blanches qui ponctuent la pointe ouest de l'île de Wight, alors que sur bâbord, les Shingles déferlent en écume blanche sur plus d'un mille. Nous amarrons à un coffre devant Yarmouth, charmant village de l'île de Wight que je veux faire découvrir à mes amis qui tiennent à faire un tour de vélo jusqu'à la petite maison d'Ellen Mac Arthur dans le petit village de Newton. La soirée au pub de Yarmouth sonne comme le dernier sas îlien avant notre retour à la civilisation, les retrouvailles avec Evelyne, et avec John et Sue qui nous attendent avec impatience sur les pontons de Lymington.

A son retour sur la France, Catherine nous envoie un bel album photo ! Allez y.

 

retour en haut de page