Sud Ouest de l'Ecosse

Mull of Galloway à Stranraer

La première étape en Ecosse fut un vrai plaisir. Plaisir d'aller vite (48 milles en 7 heures) par une journée tonique avec une arrivée dans le loch Ryan, contre le vent, à louvoyer entre les bancs de sables, tout en prenant garde aux ferrys dont nous devions croiser la route.

Planqué pendant la nuit derrière le cap Mull of Galloway, je peux choisir l'heure optimale pour passer le cap sans souffrir de ses raz, en admirant le phare construit par Robert Stevenson, le grand père de Robert Louis Stevenson (auteur de l'île au trésor). On profite du flot de marée pour remonter vers le nord, vent ¾ arrière sur un tapis roulant à 3 nœuds, qui nous offrent des vitesses fonds jusqu'à 12,2 nœuds. La presqu'île de Port Patrick défile sur tribord à grande vitesse alors que l'Irlande est visible sur bâbord. A 30 milles au nord, on distingue les lignes montagneuses du Mull of Kintyre.

Puis, tourné la cardinale de Milleur Point, c'est la rentrée dans le Loch Ryan, long de 7 milles, que nous remontons au vent en tirant 9 bords d'un côté à l'autre du chenal réservé aux cargos et ferrys, en décidant de virer de bord quand la hauteur d'eau diminue juste avant les hauts fonds. C'est basse mer et il y a peu de marge sous la quille. Richard à la barre, moi répétant les aller retours entre table à carte pour une navigation précise et cockpit à l'embraque de génois. Dans la bruine, le vent irrégulier, de force 6 à 7, propulse Boisbarbu et lui permet de courser 2 voiliers écossais que nous ne tardons pas à passer et mettre dans le sillage. Au fond du loch, quelques pontons, récemment aménagés nous accueillent pour l'amarrage, avec le visage jovial du HM (harbour master)

Richard me quitte par le bus pour Carlisle et laisse la place à Hervé qui embarque le soir même. Hervé, moniteur au Glénan et skipper émérite, va m'apporter un remarquable travail d'équipe pour la navigation ainsi qu'avec l'équipage pour la pédagogie de ses conseils. Toujours attentioné et prévoyant, il arrive à bord avec son kit du parfait marin (bouts, lampe torche, loupe, pharmacie, médicaments, harnais, …, saucisson et bonnes bouteilles). Un peu déçu tout de même quand je ne lui laisse pas hisser son pavillon breton dans la barre de flèche bâbord. Pourtant fervent défenseur des cartes papiers, il se laissera volontiers convaincre par la puissance de la cartographie électronique de Boisbarbu.

Girvan

Une étape forcée pour embarquer Gérard A. vers 21h30. Girvan n'est pas un arrêt recommandable, à moins de pouvoir échouer dans le port qui assèche à basse mer. Nous sommes contraints à un mouillage très exposé à l'extérieur, complètement dépendant de la moindre houle et d'un vent du large. La chance nous laisse terminer notre nuit sans avoir à s'échapper.

Ailsa Craig

Déjà en point de mire depuis Port Patrick, Ailsa Craig est une pyramide rocheuse au sud du Firth of Clyde, qui attire le regard. Je tiens à m'en approcher et ne suis pas déçu : ce rocher évoque l'ile Noire (de Tintin), aux imposantes orgues basaltiques s'élançant vers le ciel, et abritant une énorme colonie de fous de bassan. Ils sont là par dizaines de milliers. C'est d'une beauté très impressionnante.

Campbeltown

Sous un grain, Boisbarbu déboule à grande vitesse dans le loch qui mène à Campbeltown. De belles maisons étalent leur granit sombre sur tribord alors qu'un accueillant ponton nous attend. A peine le pont est rangé, que j'entends une voix me héler sur le quai d'en face « Gérard … » C'est Alain qui, juste descendu du bus, me repère immédiatement comme pour notre dernier rendez vous de 2001 à Luperon (République Dominicaine). Joie des retrouvailles avec ce copain d'enfance et premier contact pour ce nouvel équipage de 4 personnes. Le lendemain, de fortes pluies et un coup de vent nous bloquent au port. Une bonne opportunité de visiter la distillerie locale et traditionnelle Springbank. Les étapes de préparation du whisky, la maturation du malt, son lavage à l'eau de tourbe, sa fermentation, ses distillations successives, puis le vieillissement en fût du précieux breuvage, n'ont maintenant plus de secret pour nous, même si la dégustation émoustille quelque peu nos neurones.

Lagavulin

Whisky bien connu des connaisseurs, sa distillerie au bord de la mer, sur la côte sud d'Islay, est un mouillage original mais bien défendu et difficile d'accès. Pas évident de se faufiler entre les écueils mal cartographiés, de trouver les 2 perches latérales rouges et vertes, puis d'atteindre l'un des 2 seuls corps morts avec seulement 20cm d'eau sous la quille. Nous y arrivons en suivant un vague schéma glané sur une revue. L'endroit est mythique et on ne se prive pas de quelques photos de Boisbarbu devant le nom Lagavulin peint en lettres géantes sur le mur de la distillerie. Lagavulin étant fermé le dimanche, quelques kilomètres à pieds au milieu des champs d'Islay, nous conduisent à la distillerie d'Ardbeg que nous visitons. La dégustation généreuse nous fait découvrir toutes les nuances du tourbé et du fumé.

Isle of Jura

Apothéose de cette semaine : l'île du Jura. Nul n'ignore que je suis jurassien et que le nom de cette île a pour moi une consonance toute particulière. Mon ami d'enfance Alain s'est toujours juré de m'accompagner sur l'île de Jura. Attendant cet instant depuis des années, il s'est documenté sur cette île, et nous en décrit les traits principaux. Il s'est également armé de la carte au 50000 ème . Jura est une île presque déserte : 190 habitants et 6000 cerfs auxquels elle doit son nom. Très montagneuse, Jura est surplombée par les 4 Papes, sommets de 750m.

Dans le Sound of Jura, le courant de 4 nœuds nous pousse puissamment. Nous filons à 11 noeufs sur le fond. Le paysage défile très vite. Lors d'un virement de bord, Boisbarbu est soudainement déporté sur un haut fond. Ordre au barreur d'abattre largement, grand voile choquée. Le piège est déjoué à temps. Nous mouillons dans le Sound, très proche du rivage, pour échapper aux forts courants qui alternent au rythme des marées. (Un Sound est un détroit généralement long de 10 à 30 milles entre 2 îles. Les courants pouvant atteindre 7 ou 8 nœuds suivant la marée, il vaut mieux prévoir de le parcourir au bon moment dans le bon sens.)

C'est du loch Tarbert que nous voulons fouler du pied l'île de Jura.

Nous rentrons dans le loch Tarbert comme dans une suite de 3 grandes salles souterraines reliées par des boyaux étroits. Bien que la navigation soit bien préparée, les alignements à terre sont d'un grand secours.

Au nord est du dernier bassin, une branche extrêmement étroite, non documentée dans les guides, attire notre curiosité. Confortés par un alignement et poussés par un courant nous nous engageons dans ce boyau de granit. Le dernier bassin est une minuscule calanque encaissée à peine suffisante pour effectuer un demi tour. La suite n'étant plus cartographiée, je décide de ne pas poursuivre.

Boisbarbu mouille son ancre dans une eau calme entre une plage de varechs et quelques récifs aux couleurs soufrées. C'est une grande sécurité que d'être réfugié ici, comme dans un trou à cyclone d'une île grenadine. Petit déjeuner, annexe à l'eau, et nous voilà partis en randonnée, à l'ascension d'un sommet de Jura. Le beau temps nous est offert, ainsi qu'un troupeau de cerfs sur les crêtes rocheuses. 4 copains comblés par la beauté de ces hauts lieux.

Après cette journée bien remplie en émotions, nous célébrons en arrosant le plat traditionnel Saucisses de Morteau par un excellent blanc Savagnin d'Arbois. Boisbarbu et son équipage s'endorment repus et heureux, dans l'écrin du Loch Tarbert, archipel d'îlots multicolores.

Note nautique : A Port Askaig, on peut s'amarrer le long du quai nord, ou prendre un des 3 coffres au nord du quai. Pourtant ces 3 coffres sont déclarés comme aléatoire par les locaux. Ils nous conseillent de prendre l'unique coffre 3 encablures au nord, dans la baie Rubra Buidhe, devant la distillerie Caol Ila. Dans les 2 cas, ces coffres sont bien abrités du courant principal du Sound d'Islay.

Note nautique : On rentre dans le Loch facilement, même à basse mer, en respectant les alignements. La dernière étroiture au nord est (5558,2N-0553,3W) n'est pas documenté sur les guides. Dotée d'un alignement, elle se laisse facilement embouquer à l'étale. Le bassin suivant n'étant pas cartographié, nous avons renoncé à nous y aventurer.

Le Corrywreckan

Redouté de tous les marins, pour la traîtrise de ses courants violents et ses marmites tourbillonnantes pouvant submerger et enfouir les bateaux, le Corrywreckan est le passage étroit entre le nord de l'île de Jura et l'île de Scarba. Il fut le lieu de nombreuses tragédies décrites dans les ouvrages maritimes. Je ne citerai que Bjorn Larsson dans « Le Cercle Celtique » : « S'il y a un enfer pour les marins, je suis sûr qu'il doit ressembler à Corrywreckan. Lorsque le vent d'ouest souffle fort comme ce soir, Satan lui-même aurait beaucoup à apprendre s'il essayait de traverser le détroit » . Mais rassuré par le vent faible et l'absence de mer, nous décidons de nous y engager à l'heure exacte ou la marée reprends son souffle, c'est-à-dire à l'étale. Récompensé de nos calculs, nous trouvons un Corrywreckan paisible et débonnaire avec toutefois quelques signes visibles de courants et de tourbillons, mais sans réelles difficultés. Nous avons même le loisir d'y observer les phoques nous regardant avec méfiance et de s'imaginer dans le mouillage de Bagh Gleann Nm Muc en bordure du détroit, qui fut le théâtre d'une scène épique du Cercle Celtique.

Ardfern

C'est donc sans encombre que nous embouquons le loch Craignish, paisible, boisé et verdoyant, sous une bruine persistante. Dans un recoin caché du loch, que nous découvrons in extremis sur bâbord, s'est installée la petite marina d'Ardfern, quelques pontons et catways, des baraquements qui abritent un shipchandler (le plus achalandé d'Ecosse à ce qu'on dit) qui jour le rôle de bureau du port, et un atelier marine prenant soin de la cinquantaine de bateaux attendant leur propriétaire dans le port à sec. Sur la petite route en cul de sac, on trouve le « village » composé principalement d'une petite épicerie qui fait aussi bureau de Poste. Cette escale est pour nous l'occasion d'une douche bien chaude. Je réalise qu'à partir de maintenant, les points d'avitaillement seront rares et limités en Ecosse du nord et qu'il me faut bien anticiper les besoins en nourriture de mes équipiers.

Le Sound of Luing

Le rythme des virements de bord encourage Boisbarbu à progresser contre le vent de nord-ouest et contre un courant de marée. Mes yeux englués par une bruine poisseuse contemplent la verdure des reliefs, le ciselage des rives inhabitées et sauvages, la succession d'îlots spectaculaires s'espaçant pour laisser place au grand large de l'ouest. Ajoutez à cela des ciels gris et bas, lacérés de nuages sombres nous immergeant dans l'ambiance écossaise.

Un vent de nord propulse Boisbarbu tout le long de la côte sud de l'île de Mull sur une mer quasiment plate.

Tinker's Hole

Les descriptions que j'avais collectées de cet abri, sont alléchantes mais peu encourageantes : « Mouillage très spectaculaire, entouré de granit rose », « L'approche par l'Est est angoissante … ». Après avoir louvoyé parmi les rochers de Torrans, et éviter un dernier écueil affleurant, on s'introduit dans un couloir encaissé comme dans un corridor, au bout duquel se dévoile un joyau, un écrin de granit rose au fond duquel on mouille une ancre à l'avant et 2 amarres à terre à l'arrière. Quel plaisir de sauter dans l'annexe pour porter 2 longues aussières et de chercher le becquet granitique ou tourner le cordage. Quel hasard que de trouver à l'endroit précis ou mon instinct me guide, deux vieux anneaux rongés par la rouille pour frapper mes amarres. Baignant dans ce bonheur fugitif, je parcours ce petit paradis ovale et secret pour photographier Boisbarbu sous toutes ses coutures dans ce cadre sauvage.

Ile d'Iona

A la sortie de notre mouillage isolé, un dédale de couloirs entres les écueils granitiques s'ouvre sur le Sound de Iona. La beauté du petit village nous incite à y faire une escale imprévue. Les jolies criques d'eau turquoise, les petites maisons de granit le long du chemin bordé de croix celtes mènent à un imposant monastère.

Ile de Staffa

Belle remontée au près, sous le soleil et une brise frisquette, vers l'île de Staffa, défendue par de longues colonnes verticales de section hexagonale, fantastiques orgues basaltiques d'une régularité et d'une perfection rarement atteinte, dans lesquels surgit la grotte de Fingal, énorme trou carré et noir, aspirant le regard, et qui avait inspiré une célèbre composition musicale de Mendelhson

Ile Tiree

A l'ouest de Staffa, les plateaux tabulaires des îles Trenish recèlent en leur forme un mystère géologique. Impossible d'en dévier le regard pour les traverser avant d'atteindre après 4 heures au près, l'île de Tiree, ou l'on mouille à Gott Bay.

Na Droma Buidhe

De Tiree, quelques heures sous spi nous aide dans des vents faibles à atteindre la baie intérieure de Na Droma Buidhe. Ce nom celte à la consonance quasi boudhiste est tout à l'image de l'isolement, du recueillement, et du silence de cette baie ou nous mouillons quelques heures, comme dans un sas de dépaysement avant de retourner à la civilisation pour déposer Hervé et Alain à Tobermory.

Tobermory

Capitale de l'île de Mull, très abritée à la sortie du long sound vers le large, forte de ses 700 habitants et attirant le regard par les façades multicolores de son front de mer, Tobermory est pour Boisbarbu une étape clé de cette saison. Elle signe le sud-ouest de l'Ecosse et ouvre la porte aux îles Hébrides. Hervé et Alain posent leur sac à terre, regardant une dernière fois Boisbarbu avec nostalgie. Complètement imprégnés d'atmosphère écossaise, ils auraient aimé poursuivre cet agréable voyage. Il faut dire que l'ambiance de cet équipage a été formidable. Le plaisir de se mieux connaître et d'être ensemble, avec humour, serviabilité, complicité, et refaisant le monde à chaque longue soirée écossaise. Bref, l'amitié ! Nous y relâchons 3 jours, Gérard A et moi, pour préparer le bateau à accueillir notre nouvelle équipière Jocelyne.

Bises écossaises,
Gérard, le 26 Juin.

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