Cornouaille et pays de Galles

Analyse météo : Alors que Gérard C, mon équipier, traverse la France pour me rejoindre à l'Aber Wrac'h, je passe mon après midi sur les cartes météo, bulletins, avis de coup de vent, fichiers Grib. Le flux de S-SW (sud sud-ouest) de mercredi est favorable, à condition d'atteindre Newlyn en Cornouaille avant 22 h, quand la dépression violente sur l'Irlande déversera sur nous ses vents de W-NW (Ouest Nord-ouest). Ce flux démarre à 4h sur Iroise. Rater cette fenêtre portante, retarderait notre départ à vendredi ou samedi pour une traversée de la Manche dans un flux de nord, c'est-à-dire au près « dans l'pif » et donc lente et fatigante. Je prévois donc un départ à 4h du mat' pour une arrivée à 22h à Newlyn. 18 heures de navigation pour 100 milles nautiques : 5 à 6 nœuds : très faisable, et tentant. Evelyne, à 1000 km de là fait la même analyse. Il ne me reste plus qu'à convaincre mon équipier dés son arrivée. Ce qui sera finalement affaire facile.

16 heures de traversée en plein jour pour 106 milles d'une route directe du Finistère, au portant, dans une mer agitée à forte, avec une brise de 10 à 22 nœuds, forçant 32 nœuds dans la soirée. Que demander de mieux. La météo, par la voie de ses fichiers Grib, ne s'était pas trompée. Nous amarrons le long d'un trawler anglais, bout au vent qui commence à souffler durement. Les propriétaires de ce bateau, un couple de 70 ans, délaissent leur verre de Bordeaux, pour accepter l'amarre qu'on leur tend et nous aide à immobiliser Boisbarbu, en silence, avec un calme et un savoir faire que seuls les britanniques savent exercer. Quelle classe !

Newlyn: C'est avec une certaine jubilation que je reviens à Newlyn. J'aime ce port de pêche, l'un des plus actifs de Grande Bretagne. Les bateaux de plaisance, confinés au bout d'un ponton à l'écart, y sont juste tolérés, quoiqu'étant amicalement accueillis. Je suis à peine étonné quand Dave, le lamaneur et receveur du port me salue avec un « Hi Boisbarbu, Welcome back in Newlyn ! ». Il se souvient de notre passage en Juin 2010. Le gaillard a bonne mémoire. Il observait notre arrivée du haut de son perchoir d'acier bleu, curieuse capitainerie surréaliste.

Qu'il m' est savoureux de traîner mes docksides sur les quais en granit, maculés de graisse animale, de poissons séchés, de débris de crabes que dépècent deux gros goélands, témoins de l'activité incessante de déchargement des chalutiers repus du fruit de leur pêche. Deux marins, flanqués de grossières salopettes Guy Cotten dont l'épaisse toile cirée est tachée par des mois de labeur, un bonnet de laine sur le crâne, transpirent à décharger des caisses de poissons.

Navires aux coques d'acier, meurtries, défoncées par coups de massue du quai ou d'autres bateaux. Aciers luisants et polis, là ou le chalut file de toute sa puissance, chaque nuit, sans pitié pour le bras imprudent. Aciers peints et repeints, inlassablement, pour lutter contre la corrosion dévastatrice de l'eau de mer. Lutte inégale et sans merci. Le marin le sait bien même si il persévère ; la rouille aura le dernier mot, insidieusement au début sous forme de petites cloques, avant d'assiéger totalement le navire jusqu'à le déformer de douleur avant qu'il ne se disloque et rejoigne le cimetière des tristes épaves. Le rouge des listons, le jaune vif des bordés, le vert de la coque, le bleu roi de la cabine se côtoient en figures surréalistes. Ces couleurs éclatantes se reflètent dans l'eau du port, maquillées par des traînées multicolores de gasoil. A la poupe des navires, en lettres gothiques, se dressent fièrement les lettres soigneusement peintes sur un fond de banderole, symbole subliminal du patron pêcheur.

Je plonge dans « L'île au trésor » de Stevenson, comme du temps de mon adolescence. Je crois n'avoir jamais lu de roman d'aventure aussi palpitant. Dés la première page, je suis projeté au centre de la scène, 300 ans en arrière, à une table de l'auberge Amiral Benbow au pays de Galles, entouré de personnages hideux et inquiétants hantés par le secret du capitaine Flint. Bien que n'étant pas un grand lecteur, je n'arrive plus à m'arracher de ce bouquin. Et quel émerveillement à Penzance, en pénétrant dans la véritable auberge Amiral Benbow. Je respire l'ambiance du livre en savourant une pinte de bière locale, je circule avec respect entre les tables, et les objets de marines de toutes sortes : statuettes, figures de proue, sextant, barre à roue, sculpture du château arrière, chandeliers, tonneaux, parchemins, tous patinés par des siècles de vie en mer puis recueillis dans ce véritable musée. La porte du pub s'ouvre en grinçant. Je m'apprête à voir rentrer le capitaine Flint quand c'est Gégé C, qui vient me rejoindre à une table. Nous élaborons nos projets de la semaine.

Traversée de Newlyn vers Milford Haven: En dépit de mon planning de navigation qui prévoyait des escales à Padstow et Taw River, les conditions météo et la forte houle d'ouest rendent dangereuses les approches sur leurs barres d'entrée. Faisons route directe sur Milford, avec une nuit en mer.

Il faut d'abord contourner Land's End, le finistère anglais, par de longs bords de près. Qu'il est frustrant de faire du près vers le sud, alors qu'on doit aller au nord. Que de milles à rattraper une fois doublé Land's End. Le passage de Land's End avec son phare érigé parmi de gros écueils, dans une mer forte, est grandiose. Puis nos quarts se succèdent, toutes les 2 heures. Etant 2 à bord, la fatigue se fait sentir. Les batteries n'arrivent plus à alimenter un pilote très consommateur en énergie dans ces grandes vagues qu'il doit contrôler à chaque surf. Je passe donc mes quarts à la barre. La nuit, le vent forcit, à 30N puis à 35. Nous filons à 8 ou 9 N avec des pointes à 10N. Les dauphins m'accompagnent pendant tout mon quart de 4 à 6h. Je prends ce signe comme un bon présage. Au petit matin, la visibilité très réduite nous laisse apercevoir les formes fantasmagoriques de la côte, que lorsque nous sommes déjà engagés dans le chenal jalonné de bouées latérales rouges et vertes. Sans le GPS qui nous a amené pile dessus, je me demande comment j'aurais réussi cette navigation dans les années 70. La mer forte s'engouffre dans la passe sur encore un mille, puis nous lofons bâbord et arrivons en silence dans Dale Bay ou on amarre tranquillement Boisbarbu sur un coffre. L'air est glauque et humide. Nous sommes crevés et allons dormir heureux d'avoir parcouru ces 140 milles en 20 heures, avec des surfs fantastiques qui alimentent nos rêves.

Sur l'unique quai de la minuscule gare de Milford Haven, là ou la micheline s'arrête avant de toucher le butoir en bout de rail, une jolie femme descend du 3 ème wagon. Une demi heure plus tard elle monte à bord de Boisbarbu comme un poisson dans l'eau. Emouvantes retrouvailles qu'Evelyne et moi ressentons comme un nectar de miel.

Les journées qui suivirent furent tranquilles, paisibles, ensoleillées, avec de jolies brises contribuant à la progression de Boisbarbu vers le nord. Du cockpit, Evelyne pouvait observer et déchiffrer le sinueux et pittoresque sentier du Pembroke qu'elle allait parcourir pendant une douzaine de jours de marche.

Un moment fort : l'île de Skomer, que m'avait conseillé un marin malouin rencontré à Newlyn. Skomer, assaillie par les vents de la mer d'Irlande, est une île déserte et protégée, sanctuaire ornithologique ou l'on observe en abondance de nombreuses espèces de volatiles. Les macareux et leur tête rigolote armée d'un bec orange surdéveloppé, les Mank Shearwaters au nombre de 120000 couples sur cette petite île qui en fait la 3 ème réserve mondiale et déchirent la nuit de leurs cris tonitruants, les razorbills aux yeux fardés d'un charme ravageur, les guillemots, fous de bassan, et même des phoques qui confèrent à cette île un caractère enchanteur. Cette visite nous a conquis, d'autant que pour l'atteindre, il nous a fallu traverser le trop fameux Jack Sound : détroit parsemé d'écueils, rendu dangereux par des raz impressionnants (un raz forme de grosses vagues sèches et violentes, du au vent contre courant, surtout quand on le passe en dehors de l'heure d'étale).

Escales à Fishguard dans un mouillage venté, à Aberystwith ou la barre d'entrée est délicate à franchir, deux heures avant la pleine mer, à Aberdovey que l'on atteint par un chenal mouvant de 2 milles au travers des sables de l'embouchure dans des courants de 4 noeuds, et dans Aberdaron Bay, abrité d'un raz sous le cap Bardsey.

Puis il y eut l'étape de 40 milles sur Holyhead, occupant la position centrale de la mer d'Irlande, le long de Holy Island (l'île sacrée), ou les druides auraient caché les réserves d'or du peuple celtique et ou les courants favorables étaient tels que Boisbarbu filait des pointes de 11,2 nœuds sur le fond. C'est là que nous débarquerons Gérard C après 12 jours d'amitié et expérience marine partagés à bord.

Richard me rejoint à bord, alors qu'Evelyne débarque pour 12 jours de marche sur les 350 kilomètres de sentier côtier du Pembroke (Pays de Galles). Une fenêtre météo nous invite à traverser vers l'île de Man. Au démarrage du moteur, le détecteur de fumée lance une alarme stridente. Je fonce sur la trappe moteur et coupe les robinets de batterie pendant que Richard s'empare d'un extincteur. La gate moteur est remplie d'une fumée grise malodorante que nous identifions comme des gaz d'échappement. Pas de feu, Ouf ! Mais pourquoi cette fumée et pourquoi le moteur ne démarre-t-il pas? C'est en fait le débit de la pompe à injection qui est bloqué par le levier d'arrêt moteur. Quelques réglages et le moteur repart au quart de tour. Puis je rate complètement ma manœuvre vers le quai de la pompe à essence dans un espace très restreint avec du vent de travers. Bilan : un chandelier casse dans un bruit sec, accroché par l'étrave d'un bateau de pêche. Décidemment cette journée commence bien mal.

Heureusement, la suite sera plus réussie : belle traversée de 50 milles de la mer d'Irlande vers l'île de Man en 7 heures d'un vent frais et portant sur une mer bien formée. Les courants de flots nous ont bien aidé. Il suffisait de quitter Holyhead à l'heure ou la mer est basse à Liverpool, de se déhaler une heure vers l'ouest pour ne plus subir les courants rentrants dans la baie de Liverpool et prendre le flot de courant principal qui remonte le canal St Georges en plein centre de la mer d'Irlande, puis de prendre un cap plein nord vers l'île de Man ou on arrive à l'étale de pleine mer, ce qui nous évite les raz du Calf Sound au sud de Man. Ajuster le cap vers le port de St Mary en fonction des courants latéraux Est-Ouest pour passer entre la jetée et le danger isolé du Carrick. Enrouler le génois et affaler la grand voile à l'abri de la jetée pour venir s'amarrer à un coffre devant la petite ville de St Mary. Richard et moi sommes heureux et fourbus de nos émotions, et méritons une bonne nuit de repos.

Le lendemain, un vent d'ouest nous pousse allégrement vers Douglas, la capitale de l'île de Man. 15 milles enregistrés par le GPS et seulement 11 milles sur le loch !? Tout simplement parce qu'un courant de 2 à 3 noeuds accélère notre course. Au port de Douglas, le ponton visiteur n'a d'accueil que le nom : sale, moche, bruyant, mais assez loin de la ville de Douglas, qui ne « casse pas 3 pattes à un canard ». Pas terrible, et en proie à des animations débiles et brutasse à l'occasion du rassemblement mondial des motos. Pas de chance, on est tombé juste sur cette semaine là. Mais j'ai répondu à une question en venant ici: quel est ce sigle étrange que l'on voit parfois sur un drapeau: 3 jambes se courant après sous forme d'un triskel en folie. C'est l'emblème de l'île de Man, état indépendant de la Grande Bretagne.

Richard concentré sur les penons, ou jouant avec son Smartphone, nouveau joujou, à la recherche d'un hotspot Wifi dans les rues de Douglas.

Une troisième escale sur l'île de Man nous fait mouiller devant Ramsey, la plus au nord, ou le port assèche à basse mer. La quiètude de cette petite ville est perturbée par les vrombissements d'une course de motos dans les collines verdoyantes.

Depuis 3 semaines, j'ai été plutôt gâté par le climat: peu de pluie, un air vif et sec, des températures de 9 à 15° pour l'air et 11° pour l'eau. Et ce qui est formidable, ce sont les nuits, de plus en plus courtes: 2 heures de noir entre minuit et 2h du mat', pas plus. Ce qui me laisse toute liberté pour fixer l'heure d'appareillage que la marée et les courants nous imposent.

A l'annonce d'un coup de vent de sud-est, nous décidons d'aller nous réfugier dans Tarbet Bay, isolée derrière le cap Mull of Gallowey, entourée de paturages perchés sur les falaises. D'ici, nous poursuivrons vers le nord en mettant à profit des vents et courants très forts à cet endroit méridional de l'Ecosse.

Quelques encablures d'annexe et je pose pied sur la terre d'Ecosse, objectif principal de ce voyage à la voile.

A bientôt,
Gérard.

 

Annexe sur les prévisions météo :

Après quelques semaines de navigation au Royaume Uni, et juste avant d'aborder la redoutable Ecosse, je peux stabiliser mon programme d'informations météo.

•  Les bulletins VHF diffusés 2 fois par jour sur un canal local, préalablement annoncé sur le canal 16. La VHF de Boisbarbu est toujours allumée en navigation. Quelques jours suffisent pour s'habituer à la structure du bulletin, aux termes météorologiques anglais et surtout à l'accent gallois plus ou moins prononcé du radiotéléphoniste. Le plus difficile reste à reconnaitre la zone météo annoncée.

•  Les Navtex, émis de Port Patrick ou Malin Head, captés par mon petit récepteur BLU Sangean ATS909 réglé sur la fréquence de 489 ou 517 kHz en USB (Upper Side Band), connecté à l'entrée audio du PC ou le programme JVComm32 décode en ASCII le bulletin Navtex. Lequel bulletin informe des avis de coups de vent, des prévisions pour chaque zone, et enfin des AVURNAV (Avis à la navigation). Il faut juste être pile au rendez vous : 7h20 et 19h20 et avoir l'oreille pour prérégler la tonalité.

•  Les bulletins RTTY de Hambourg, sur 10099 kHz, captés par la BLU et décodés sur le PC, donnent la situation au large de l'Irlande et de l'Ecosse, à 10h30 et 22h30.

•  Les cartes météos envoyées par fax par la station de Northwood, sont elles aussi décodées par le PC, ligne par ligne (il faut 10 à 20mn pour la réception d'une carte) sur la fréquence de 8040 kHz. Le réglage de la BLU et du logiciel JVComm32 demandent une certaine pratique, que j'ai pu acquèrir dés nos traversées de l'Atlantique en 2000/2001, et documenter sur ce lien.

•  Les fichiers Grib, donnant les vecteurs de vent toutes les 3 heures sur une durée prévisionnelle de 5 à 7 jours, sont fournis par nos amis nord américains. Il faut pour cela me connecter par Internet sur leur serveur grâce au logiciel uGrib qui télécharge le fichier en moins d'une minute. C'est pour moi un jeu de cache-cache de capter Internet depuis Boisbarbu chaque fois que je suis dans un port ou un mouillage. Ma petite antenne Wifi amplifiée et très sensible me permet de capter des réseaux Wifi publics ou privés, à une distance d'environ 500m, parfois 1km. Je sélectionne les réseaux non sécurisés par une clef WEP ou WPA et teste chacun d'entre eux pour réaliser la meilleure connexion à Internet. En cas d'échec, j'ai cette année recourt à une clé 3G+ connectée à un port USB du PC, qui me fournit une connexion Internet au travers du réseau téléphonique mobile et m'autorise un volume jusqu'à 1 Gb de données à transférer, ce qui est largement suffisant pour les fichiers Grib, mails et messages Skype.

•  RFI (Radio France International) et son bulletin météo marine diffusé quotidiennement. Mais la jolie voix d'Arielle Cassim m'envoute à un point que j'en néglige le contenu.

•  Il reste les nombreux sites internet spécialisés dans la météo marine anglaise. Mais là c'est trop, je ne les utilise pas. "Trop d'information tue l'information".

 

 

 

 

 

 

 

 

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