Retour en Bretagne

Samedi 3 Juillet : Lymington

Après une dernière bière avec John au pub Ship Inn, devant le quai de la vieille ville ou Boisbarbu est à couple de 4 autres bateaux, nous embarquons dans la soirée pour une petite heure de navigation, juste le temps de prendre une bouée en plein courant dans le Solent, devant le port de Yarmouth. Ce mouillage avancé nous gagne une heure pour la traversée, et nous isole déjà de la ville, une manière de se mettre en condition avec notre nouvel équipier Richard, pour la traversée de la Manche. Le calculateur du pilote automatique, rapporté de France par Richard, a été vite rebranché et testé. Pas eu le temps de recalibrer tous les paramètres du pilote, mais nous verrons ça plus tard.

Dimanche 4 Juillet : Yarmouth à Alderney

A 3h15, alors que la lueur du soleil est à peine perceptible, nous quittons la bouée avec un courant favorable pour longer le banc de sable des Shingles, tourner le phare des Needles et mettre le cap au sud ouest. Au milieu de la Manche, nous croisons la route de nombreux cargos. Sur l'écran, on voit distinctement Boisbarbu qui croise le rail perpendiculairement. C'est un chalutier en exercice de pêche qui fait route de collision avec nous. Lors du contact VHF, ce pêcheur nous demande de respecter une distance de 3 encablures pour le croiser par son arrière, afin de ne pas s'empêtrer dans son chalut. Dans l'après midi, le courant du flot nous repousse sur le Cotentin vers Cherbourg. Nous progressons péniblement à la vitesse de 2 nœuds sur le fond et le vent contre courant rend la mer devient détestable. Conscient qu'il ne faut pas aller se faire prendre dans les tumultes du raz Blanchard, je reste soigneusement bien au large du cap de la Hague. Un dernier bord nous porte sur l'île d'Alderney (Aurigny, en français) après avoir traversé le tristement célèbre courant du Swinge, connu pour lever une mer dangereuse au nord de l'île.

Mouillage dans le grand bassin du port, ou tout se calme. Nous nous laissons saisir par un lourd sommeil réparateur après 17 heures de traversée.

Lundi 5 Juillet : Les îles anglo normandes

Visite du village puis bonne marche sur la côte sud ouest de l'île, sauvage et débordée d'îlots que les fous de Bassan et goélands blanchissent de leur fiente. Sur l'horizon, nous pouvons apercevoir les îles de Sark et Guernsey, pour laquelle nous embarquons dans l'après midi. Nous empruntons le chenal du Swinge, devenu docile cet après midi, pour atterrir sur Guernsey par le chenal du Petit Russel, lui aussi connu des marins pour ses forts courants. Nous le descendons à 9,5 nœuds sur le fond, avant d'entrer dans le port encombré et amarrer à couple d'un voilier arrivé avant nous. La ville est toujours charmante et nous terminons la soirée dans un pub à consommer notre dernier Fish & Chips anglais.

 

Mardi 6 Juillet : Retour sur la France et ses côtes sauvages de l'Armor, Bréhat.

J'écris ces récits de mer depuis plusieurs années. L'exercice est toujours périlleux. Ma formation technique ne m'a pas donné les outils ni le savoir d'écrire que d'autres ont acquis durant leurs études littéraires. Ils était même de « bon ton », chez les matheux de se moquer des rares élèves qui s'intéressaient à la philosophie ou à la littérature. Pourtant lors de nos voyages, l'inspiration me vient, surtout quand je suis seul, face à cette nature immense, qui me submerge par ses beautés, ses grâces et ses émotions. Dame Nature, qu'elle soit des montagnes ou de la mer, se révèle comme ma Muse. Le besoin de partager ces spectacles chaque jour renouvelés, le désir de communiquer leurs émotions qui m'envahissent, m'ont conduit à écrire. Pour faire profiter au travers des mots et de quelques images, cette vague qui brise, ce bruissement de l'étrave dans l'eau turquoise d'un matin, ce relief qui dessine à l'horizon, ce coin de ciel bleu qui espère après l'orage, faire profiter nos familles, nos amis, nos collègues de boulot, et tous ceux qui n'ayant pas la chance de notre liberté, peuvent s'octroyer quelques instants de rêve en nous rejoignant par la pensée à bord de Boisbarbu.

Mais la Muse littéraire ne montant pas tous les jours à bord, il m'est difficile de traduire les émotions en mots. Reconnaître l'émotion, la reproduire, trouver les mots de la même vibration, les laisser se combiner, s'ordonner, puis les coucher sur le papier sans que celui-ci ne les décolore. Cette transformation s'opère quand le jour peine à poindre, ou au cours du quart arrosé d'embruns. Mais pour que la phrase écrite touche le lecteur et lui procure la même émotion, c'est une autre histoire, une grâce réservée aux seuls écrivains qui ont un talent auquel je ne peux prétendre.

Il en est de même pour les images. Que de paysages à couper le souffle, sont d'une platitude déconcertante une fois couchés sur la feuille de papier. La photographie est un grand art, ou il est difficile de traduire l'ambiance, le ressenti, la musique de la vague et des oiseaux, le mouvement des pêcheurs qui déploient leurs filets. J'ai même le sentiment d'avoir régressé en photo en passant de l'argentique au numérique, même si celui-ci permet une multitude de vue et des traitements simplifiés. Le mouvement, la texture, les odeurs ont disparu. Seuls les grands maîtres, encore qualifiés de « Peintre de Marine », comme Philippe Plisson, Gilles Martin Raguet ou Beken de Cowes, parviennent à représenter la beauté et la force de la mer et des bateaux. D'ailleurs les 2 photos de Ouessant (plus bas) ne sont pas de moi, mais empruntées sur Internet.

Je suis donc frustré de ne pas trouver les mots pour décrire Bréhat et ses dizaines d'îlots. Un labyrinthe de canaux entre les cailloux. Des canaux à géométrie variable suivant les heures et coefficients de marées. Un monde visible qui vit à découvert au dessus du niveau de l'eau, et l'autre sournois, traître, acéré, qui se cache sous le flot et accepte parfois de se dévoiler au jusant. Les labyrinthes de Bréhat hantent les marins qui savent bien que cet écueil caché sous un mètre d'eau n'aura pas de pitié pour leur coque fragile. Au lever du jour, une brume légère coule dans ces forêts granitiques donnant des formes fantomatiques à ce mystérieux troupeau déchiqueté. Comment vous décrire ce merveilleux mouillage de la Corderie, ou Boisbarbu s'est introduit avec précaution entre les perches rouges à bâbord en laissant les vertes à tribord. Le bas des perches dégouline d'algues qui sentent la marée basse. Une raison de plus de se méfier pour ne pas talonner. Le courant ruisselle dans les artères de Bréhat et dévie notre course. Nous avançons en crabe. Comment décrire ce cormoran, noir guetteur sur son rocher, qui nous observe comme des intrus, ou tous ces plans de roches qui s'échelonnent dans des dégradés de gris bleu. J'avais souvent rêvé de faire du rase cailloux dans ces couloirs étroits et tortueux. C'est aujourd'hui, et nous sommes bien aidés par le petit temps et par la navigation électronique qui situe précisément notre bateau sur la carte au 1/10000 ème .

Après le dîner, nous partons amarrer à un ponton métallique, isolé au large du port de Loguivy de la Mer. Les pêcheurs viennent y faire un stop à basse mer, quand la marée les empêche de rentrer au port, pour trier et ranger leurs poissons pour qu'ils soient prêts pour la Criée et le marché. Le petit ponton est recouvert de carcasses de crustacés, de restes d'algues et de poissons. Ca sent fort la pêche. Vers 1h du matin, Sylvie arrivant d'une traite de Grenoble en voiture, nous appelle du quai. Le village est depuis longtemps endormi. Sylvie embarque sur notre petite annexe avec ses bagages. La transition vers l'univers marin est profonde.

Mercredi 7 Juillet : Lézardrieux et la rivière Tréguier

Cette rivière au sud de Loguivy, nous rappelle les rivières anglaises. Gare aux hauts fonds, utiliser le courant de flot et amarrage sur un ponton de Lézardrieux qui a tout le charme d'une petite ville bretonne. L'après midi, nous croisons le Belem, toujours imposant avec ses 3 mats que son capitaine en Mai 1902, avait su sauver à temps de la nuée ardente qui avait calciné et coulé tous les autres navires mouillés en baie de St Pierre de Martinique, lors de l'éruption de la montagne Pelée. En réalité, c'est purement le hasard qui a joué en faveur du Belem arrivant du Havre, et avait du aller mouiller ailleurs alors qu'un autre navire: Le Tamaya lui avait piqué la place à quai en dépit des protestations du capitaine du Belem, Julien Chauvelon. Depuis, ce 3 mats barque fait la fièrté de Brest.

Jeudi 8 Juillet : de Tréguier à Port Blanc

Tréguier est décidément très belle, avec sa vieille cathédrale et ses maisons à colombage, dont celle d'Ernest Renan. Ce philosophe semble si intéressant que je me plonge rapidement dans l'un de ses bouquins.

Une après midi sous spi nous amène à Port Blanc alors que la patrouille de France nous fait une démonstration de voltige en formation, avec les fumigènes tricolores. La baie est splendide entre les îlots de Chevrette, Levrette, et île aux femmes ! Ca ne s'invente pas.

Vendredi 9 Juillet : Roscoff

Le vieux port de Roscoff n'est accessible qu'à pleine mer plus ou moins 1 heure. A basse mer, le port découvre de 5 mètres ! Cette estrade rocheuse s'étend à 500m devant l'entrée du port. Le mouillage est donc impossible et il faut rester dans le chenal séparant L'île de Batz de Roscoff. Nous avons rarement eut à mouiller aussi loin, et le transfert en annexe est plutôt chaotique et gourmant en carburant. Je pars avec un bidon de réserve, au cas ou.

La ville est riche en maisons de granit, aux portes et fenêtres très décorées de sculptures du XVII ème siècle. Nous n'aurons pas le temps d'aller visiter les jardins aux plantes exotiques. Nous reconnaissons l'hôtel des Arcades ou nous avions dormi et dégusté un somptueux plat de fruits de mer, dans les années 90 lors de notre tour de Bretagne à vélo.

Alors que nous sommes en train de dîner un risotto aux noix de pétoncles, la vedette de la Douanes aborde Boisbarbu. Les douaniers, sans monter à bord, m'interrogent sur nos identités, notre provenance, le but de notre voyage, notre cargaison et sur la conformité de notre matériel de sécurité. Ils semblent me faire confiance et ne viennent pas vérifier eux-mêmes. Que je trouve désuète leur question : « Transportez vous des stupéfiants ? des armes ? ». Ils observent mes réactions. Mais un douanier, même psychologue, pourrait il déjouer la dissimulation d'un trafiquant ? L'interrogatoire se déroule sur un ton ferme, sans complaisance, avec professionnalisme. J'entends qu'ils décident de « me ficher », bien que ne comprenne pas ce que cela signifie. Le voilier qu'ils ont visité avant Boisbarbu, a eu moins de chance : ils l'ont visité et sommairement fouillé.

Samedi 10 Juillet : l'Aber Wrac'h

Bon vent de sud ouest qui nous pousse à la voile dans le chenal entourée d'enrochements. Une boucle est bouclée : celle que nous avions commencé le 28 Mai avec Anne et Gérard, pour traverser vers les Scilly. Ce soir, Sylvie et Richard nous régalent de crêpes au sarrasin avant d'écrire leurs impressions dans le traditionnel Livre d'Or de Boisbarbu et de boucler leurs bagages pour un départ au bus demain matin de bonne heure.

Lundi 12 Juillet : Ouessant

« Qui voit Ouessant, voit son sang ! ». Ce dicton breton, les récits de naufrages sur Ouessant, ma vieille carte de l'îile entourée d'épaves, le regret de papa de ne pas avoir vu Ouessant, ont entretenu en moi le profond désir d'un jour aborder cette île mythique à bord de mon fidèle compagnon Boisbarbu. En dépit des instructions nautiques réservées et peu encourageantes, je suis bien décidé à tenter le coup. Pas d'avis de coup de vent en cours, juste une rotation du vent au secteur sud ouest prévue pour l'après midi et la nuit. Le mouillage de Lampaul serait donc intenable, mais en scrutant la carte, je vois cette baie du Stiff, ou l'on doit pouvoir s'abriter tout au fond, au mouillage de Port Liboudou, bien abrité des vents de sud ouest.

Ce matin, Christine et Martine arrivent de Ploum. en voiture pour embarquer. Novices en navigation, je les précipite dans le bain, car l'heure de la marée et surtout du courant de jusant n'attendent pas pour quitter le port de l'Aber Wrac'h. A peine équipées de cirés et de harnais (il pleut dru et la visibilité est médiocre) nos deux passagères font connaissance avec les courants du Four qui nous aident à franchir rapidement les 25 milles pour atteindre Ouessant. L'estomac de Christine ne supportera pas ce chaos lancinant. Après 2 passages du seau bleu, et avant le passage de la balise rouge, Chris plonge dans une douce torpeur pourtant bien arrosée par le crachin matinal.

Men Korn puis Gouent Meur surgissent de la brume alors qu'on en est très proches. La baie du Stiff est là, droit devant. Prise de coffre pour un mouillage rouleur, qui va amariner Christine.

Mardi 13 Juillet : Le Fromveur

La mer et le vent sont plus sportifs aujourd'hui. Avec un vent et courant portant, nous glissons le long des îles qui prolongent Ouessant vers la pointe St Mathieu : Bannec, Balanec, Molène, Quemenes et Béniguet. Confiant dans la vitesse et le cap du bateau, je confie la barre à Martine puis à Christine pour qu'elles se fassent la main. Attentif aux progrès de mes barreuses, je délaisse la table à carte, un peu trop, jusqu'à ce qu'Evelyne remarque qu'une barre de courant puis des brisants se rapprochent. Sur l'écran de l'ordinateur, l'icône du bateau tournoie sur lui-même en dérivant vers le sud-ouest. Impossible de lutter contre ce courant avec la seule force de nos voiles.

Le moteur est nécessaire pour appuyer les voiles et faire cap à l'est. Boisbarbu, tendu entre ces forces contradictoires finit par progresser en crabe à 1 nœud, dans la bonne direction. C'est le jus du Fromveur, ce terrible courant redouté des marins du Finistère, qui nous entraînait sur les cailloux d'Ar Brelimou. Plus bas, devant l'île de Quemenes, nous empruntons la passe du Laz pour sortir de ce rase cailloux et rejoindre le chenal de la Helle ou nous sommes entraînés par un rapide courant de jusant. La cartographie électronique nous a été d'un grand secours dans ces passages ou tant de navires sont aujourd'hui réduits à l'état d'épaves. Le vent de force 6 conjugué à l'action du courant nous font défiler la pointe de Kermorvan et le Conquet devant les yeux. Christine et Martine nous décrivent chacune des plages qu'elles connaissent parfaitement depuis la côte. Sans avoir à prendre le goulet de Brest, nous passons la pointe du Toulinguet pour arriver dans le port de Camaret. Le port est plein à craquer, et nous trouvons une place à couple d'Albatros, un Feeling 326 rencontré à l'Aber Wrach.

Soirée nationale et festive au son des cornemuses, bombardes puis feux d'artifice.

Mercredi 14 Juillet : Camaret

La porte du Raz de Sein est fermée par un coup de vent de sud ouest et une marée à grand coefficient 102. Aucun marin ne prendra la mer pour remonter au près et affronter les barres et les marmites générées par la forte mer contre de fort courants. On en profite pour une grande balade aux falaises de Pen Hir, au à pics les plus spectaculaires de Bretagne, dramatisés par la mer bouillonnante sous les coups de butoir d'une mer forte. Nous avons aussi la chance retrouver par hasard Yves et Sylvie que nous avions connu l'été dernier à Horta (Açores), des natifs de Camaret, puis Pascal et Nathalie rencontrés l'an dernier à Ploumeguer. Petits déjeuners et apéros entretiennent l'amitié. Avec Christèle et Frédéric, le jeune couple d'Albatros, nous refaisons le monde, rêvons d'Ecosse et d'Islande et de pays marins sortis de notre imaginaire. L'arc de nos désirs est tendu par la corde de la même passion: la mer et ses bateaux. Qu'il est doux et rassurant de voir ces jeunes engloutir leurs congés et économie dans la navigation et puisant leurs rêves au delà de l'horizon.

Ce soir, sur les pontons du bassin Vauban, les cirés jaunes ou rouges vont bon train, fourrant une amarre pour qu'elle ne rague pas dans son chaumard, raboutant une garde d'un noeud d'écoute, ajustant un pare battage, s'inquiétant des mouvements de va et vient des bateaux et pontons, promulguant de bons conseils pour masquer leurs inquiétudes. Le vent souffle, la mer, du haut de son fort coefficient s'amuse avec le port. C'est le branle bas de combat qui augure d'une nuit agitée et incertaine.

Jeudi et vendredi  :

Même sanction du vent et de la marée. Météo France annonce sur France Inter 100km/h de vent sur la pointe Bretagne, ce qui est sans doute un peu exagéré, mais le vent est fort. Personne ne quitte le port. En soirée, au gré des grains, le vent pousse sa plainte à 42 noeuds soutenus, entassant les voiliers sur les quais. Les pare battages qui n'éclatent pas, couinent sur le gel coat, les coques grincent de leurs membrures. L'occasion rêvée pour nous d'aller parcourir le GR du Cap de la Chèvre, doux matelas d'aiguilles de pin et de terre de bruyère, qui sillonne d'une calanque à une autre, à l'ombre de grands pins, dans une ambiance très méditerranéenne.

Samedi 17 Juillet :

Pour être à 16h10 au passage du Raz de Sein, il faut quitter le port de Camaret à midi, si le vent est comme la météo l'a prévu, si les courants sont conformes aux cartes du Shom, si je ne me suis pas trompé dans mes calculs, plusieurs fois griffonnés dans le livre de bord. On aura toujours la possibilité de freiner le bateau si nous marchons trop vite. Eh bien non, le vent est plus faible que prévu et nous pousse à peine à 5 nœuds. Alors on règle les voiles tip top, pour se présenter pile à l'heure dans le Raz de Sein. Près du phare de la Vieille, le Raz déferle en longs tapis d'écume peu engageants. La houle résiduelle du coup de vent lève contre le courant une mer hachée. Je m'écarte vers le centre du Raz ou la mer est plus calme. Ca passe… et c'est beau. Dans la baie d'Audierne, le courant est désespérément contre et ce n'est que passé 19h qu'on peut mouiller dans la baie de Ste Evette, avant le port d'Audierne.

Dimanche 18 Juillet :

Depuis quelques semaines, j'ai l'impression que Boisbarbu est freiné. Il ne court pas à sa vitesse habituelle, loin s'en faut. Il lui manque 0,6 à 0,8 nœuds, comme retenu en arrière par une force invisible, sous voile, comme au moteur. Probablement un paquet d'algues coincés dans le safran. Pour en avoir le cœur net, arrivé dans le lagon de Glénan par une passe ouest, je me décide à plonger pour inspecter la coque. Evelyne me voit remonter l'air dépité, écoeuré. La coque est pleine de barbe, une fine barbe verte de 1 à 2 cm qui s'agrippe à la coque, à la quille, au safran en un fin duvet. C'est vraiment ça qui nous freine. Ou a-t-on pu attraper cette saleté ? Dans les rivières saumâtres de la côte anglaise ? Je n'y comprends rien, mais il n'y a plus grand-chose que je puisse faire cette année pour traiter cette maladie honteuse.

Lundi 19 Juillet :

Fier de notre improvisation d'hier dans un passage non documenté de l'archipel de Glénan, nous décidons d'en ressortir par une passe improvisée au nord est. La précision et la comparaison de nos cartes de plusieurs sources, et l'aide du GPS et du logiciel de navigation nous permettent des fantaisies qu'on ne pourrait pas s'offrir avec les anciennes méthodes de relèvement et d'alignement. Comme quoi la technologie peut apporter aussi ses petits plaisirs.

A l'embouchure de la rivière Aven, nous prenons un coffre pour y laisser Boisbarbu pendant qu'en quelques coups d'auto stop nous allons visiter la petite ville de Pont Aven, en amont d'une rivière impossible à remonter avec notre tirant d'eau. Pont Aven est splendide, fleurie à souhait, riche de ses 14 moulins à eau et des ses nombreuses galeries de peinture que nous prenons plaisir à visiter. Le soir, les imposants vieux gréements de l'Etoile de Molène et de l'Etoile Polaire viennent mouiller à côté de Boisbarbu.

Mardi 20 Juillet :

Ciel gris et brumeux. Le vent à peine perceptible suffit à animer le spi tangonné pour pousser lentement Boisbarbu vers Lorient, qui passe joyeusement devant son ancien mouillage de Port Louis ou nous étions venus le déloger en septembre 1999 pour le convoyer sur Gibraltar puis Marseille. 2 vélos empruntés à la Capitainerie de Kernevel, et nous voilà partis dans les rocades routières de Lorient pour aller visiter le centre ville sous un petit crachin. Lorient, franchement, on n'a pas craqué !

Mercredi 21 Juillet :

Le ciel est clair, le vent d'ouest sort de sa léthargie. Cap sur l'île de Groix pour un mouillage déjeuner dans l'anse de sables rouges, puis un long bord vers Belle Ile ou nous prenons un coffre à Port Belloc, devant le port de Sauzon. Que ce petit village est charmant, tout en couleurs, avec son port intérieur qui assèche devant quelques bars et crêperies colorées de rose, vert, bleu. C'est d'ailleurs Chez Carole, que nous tombons par hasard sur Christèle et Frédéric que nous avons connus à Camaret. Retrouvailles un verre à la main et histoires de mer.

Jeudi 22 Juillet :

La nuit a été très agitée, en dépit du peu de vent. La légère houle a suffit pour nous rendre le mouillage inconfortable et rouleur. Boisbarbu nous invente de nouveaux sons que nous essayons de déceler, d'identifier et de neutraliser les uns après les autres. Notre cabine arrière devenant insupportable, nous migrons dans la cabine avant déjà plus confortable au roulis. C'était sans compter le Boum Boum du corps mort qui tape sur l'étrave, le Glong de l'ancre qui se balade dans le davier, le Ploc de la passerelle en bois qui tape sur un chandelier, le Dzing de l'étai largable qui se prends pour une corde de guitare et le Splash des vagues qui rebondissent sous la coque. Au petit matin, les traits tirés, nous nous échappons en annexe de ce tintamarre pour enfourcher 2 vélos et rouler quelques heures sur les sentiers côtiers de Belle Ile. Un vrai bonheur.

Dans l'après midi, nous quittons à regret Sauzon, en se promettant de revenir la semaine prochaine avec Lorette et sa famille. Cap sur La Trinité sur Mer en évitant soigneusement les écueils de la Teignouse. L'entrée sous voile, à bonne allure dans le chenal de La Trinité, est un grand moment de voile. La Trinité, c'est en France la Mecque de la voile. On y côtoie de beaux bateaux de course, tels que IDEC, Sodebo, l'Hydroptère, et autres spécimens de prototypes aux performances incomparables.

La Trinité est une « grande » ville, et je sens la fin de notre saison de navigation qui approche, discrètement mais inexorablement. J'aimerais ne pas quitter les petits coins de paradis des Glénan et de Sauzon. Mais il « faut bien » rentrer. On nous attend à la maison. Et nous avons la satisfaction d'avoir réalisé le projet et de pouvoir bientôt retrouver nos familles et amis qui nous manquent un peu à nous aussi.

Gens de grande partance,
Paladins de l'errance,
En mal de transhumance,
Qui rêvez d'horizons,
D'alizés, de moussons.

Gens de grande partance,
Nomades de naissance,
Oiseaux de mer volages,
Assoiffés de voyages.

Gens de grande partance,
Pèlerins d'oubliance,
Qui pendez vos tracas,
Aux vergues de vos mats.
Sachez qu'on vous attend,
Ne nous oubliez pas.

Yves la Prairie (poète camarètois).

Il est temps de penser à la mise à sec de Boisbarbu et à son hivernage, prendre des contacts avec un port à sec sur la Vilaine, pour éviter de redescendre sur Rochefort, courrir les shipchandlers à la recherche de pièces détachées rares, et relire la liste des petites avaries du bord pour prévoir l'approvisionnement et un planning de réparation. - déchirure de la grand voile, - paire de jumelles neuves déjà cassées, - pilote automatique défaillant, - jeu dans la barre à roue, - jeu dans la jaumière de safran, - antenne BLU cassée, - fissure dans la chaise d'arbre d'hélice, - gazinière détériorée par le sel, - déchirures dans le lazy bag, - points durs dans l'enrouleur de génois, - banc de cockpit qui se déglingue, - Disjoncteur de la pompe de cale cassé, - Ventilateur de cale grillé, et une foule de petites choses à ajuster ou réparer.

Et pourtant il nous reste une semaine de grand bonheur, puisque nous accueillons à bord dès dimanche, Lorette, Laurent, Louis et Jeanne pour une semaine familiale de navigation en baie de Quiberon et golfe du Morbihan. Nous les attendons avec impatience au Crouesty, pour avitailler et préparer Boisbarbu au cocooning de notre petite famille.

Débutons la semaine par la visite du Golfe et la rencontre d'une bonne bande d'amis qui sont réunis sur une petite île du golfe: Berder. Pour les rejoindre, 2 mésaventures nous attendent.

Le jour de rentrer dans le Golfe du Morbihan, les enfants sont impatients, l'heure est mal choisie. On est à contre courant car le Golfe se vide de son eau de marée au travers du goulet de Port Navalo. Nous passons difficilement la pointe du Mouton et le Faucheur, mais avec le vent qui pousse et toutes voiles dehors on rentre au forcing à la vitesse de l'escargot. Les choses se gâtent devant le Grand Mouton ou Boisbarbu se met à tourner en rond, incapable de gagner du terrain contre le courant. A la demande d'Evelyne, je me résouds à démarrer le moteur pour renforcer la puissance des voiles. Grrrr ! Mais devant l'îlot des Tisserands, le courant est si fort que même avec les voiles, un vent de 25 N et le moteur à fond, Boisbarbu se fait balader d'un bord sur l'autre, à proximité des cailloux, sans gagner un pouce de terrain. Nous renonçons et au moment de faire demi tour, nous constatons que la vitesse du courant contre est proche de 8 N ! Après un mouillage calme de 2 heures à juste 3 encablures de là, nous repassons au même endroit dans des conditions parfaitement sereines cette fois.

Nos copains sont là, en famille, sur la plage de Berder. Sympathiques retrouvailles. Boisbarbu est « solidement » amarré à un corps mort. Julien, Thierry et Bertrand souhaitent monter à bord pour visiter Boisbarbu qu'ils ne connaissent depuis 10 ans qu'en virtuel, au travers de ce site. Nous voici embarqués dans l'annexe qui enfourne, un peu trop chargée à son goût. Mais bon, ça passe… Alors que me compagnons me posent 1000 questions autour de la table à carte du bateau, Bertrand s'exclame : « Mais on a bougé ! ». Nous sautons sur le pont pour constater qu'effectivement, Boisbarbu s'est détaché de son mouillage et dérive en s'éloignant de l'île. Grâce aux compétences et l'agilité de mes amis, il nous faut peu de temps pour le ramener à son point d'attache, mais tout de même, nous n'aurions pas été là !... Qu'y a-t-il pu se passer ? Nous concluons qu'un baigneur a pu en se tenant au corps mort, ouvrir par mégarde le mousqueton d'amarrage. Conclusion : toujours doubler l'amarre à un corps mort. Comme quoi, ce qui est de plus improbable peut arriver et on en apprend tous les jours.

Nous sortons de cette semaine, paisibles et pleinement heureux, avec la larme à l'oeil en regardant s'éloigner la 307 vers la suite de leurs vacances. Qui nous protège pour nous avoir offert une semaine si réussie ? l'affection et la tendresse des enfants, une météo sur mesure (vent force 3 à 4, et soleil tous les jours), une navigation complète avec le Golfe du Morbihan, les iles d'Oedic, Houat, Belle île, et de belles balades à pieds entrecoupées de baignades. Jeanne et Louis se sont de suite adaptés à la vie du bateau. Leur impatience de mettre les voiles masquait leur légère appréhension au départ de cette semaine tant attendue. Lorette retrouvait sa place favorite dans le balcon avant, pendant que Laurent, souvent à la barre, me secondait efficacement. Je laisse les sourires et les commentaires gourmants de Lorette vous en parler.

Nous sommes comblés, et c'est avec un doux baume au coeur que nous emmenons Boisbarbu pour sa dernière étape vers la Vilaine, avec tout un programme de rangement, nettoyage et hivernage. L'écluse d'Arzal est une nouvelle expérience pour Boisbarbu et impressionnante pour Evelyne. La Roche Bernard nous ravie par sa vieille cité et ses artisans de tradition et de qualité. Puis sortie de l'eau sur un tracteur dans un petit chantier à sec qui nous réserve un accueil sympathique pour nos derniers jours sur Boisbarbu.

Cette saison 2010 nous a beaucoup plu. Très satisfaits d'avoir su accomplir le programme prévu, dans des paysages qui nous ont séduits, autant en Bretagne qu'en Angleterre, des contacts agréables et courtois avec les habitants (serait ce leur culture celte !) qui sont pour la plupart de grands amateurs de bateau ("amateur", comme celui qui aime). Et le tout accompagné et entouré par de très bons amis et petite famille que nous espèrons bien accueillir à nouveau l'an prochain.

Alors vous autres qui n'avez pas encore été de ces voyages boisbarbuesques, si le coeur vous en dit et que le mal de coeur ne vous fait pas peur, n'hésitez pas à nous rejoindre.

Amicalement et fraternellement,
Evelyne et Gérard.

 

 

 

 

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