Angleterre sud

Après un aller retour éclair en train à Besançon pour un week-end familial : la communion de mon filleul Paul, nous retrouvons Boisbarbu. Il est reposé, cordages détendus et lascifs.

Juste le temps d'accueillir nos équipiers Anne et Gérard avec un apéritif bigorneaux, une visite au fameux aquarium Océanopolis, et Hop ! nous quittons ce port du Château, devenu familier, pour emprunter le goulet de Brest à la sortie de la Rade. Ce jour là, la Jeanne d'Arc arrive à Brest pour un week-end festif, dernière parade après 46 ans de bons et loyaux services à la marine française.

Le manque de vent nous nous encourage à mouiller à l'anse Berthaume, juste avant la Pointe St Mathieu. Une bonne manière d'amariner nos équipiers.

Le chenal du Four, célèbre passage ou l'on passe l'abbaye de St Mathieu, le Conquet et l'Aber Ildut sur tribord, en devinant dans la brume les îles de Méniguet, Molène et Ouessant sur bâbord. Quelques bords avec un courant de flot très favorable portent Boisbarbu à l'Aber Wrac'h que nous découvrons avec enchantement. Longues balades côtières devant les paysages se multipliant au fil des heures de la marée, ou nous rencontrons le frère du Père Jaouen, et apercevons sa petite maison face à la mer. Cet homme a consacré toute sa vie et son énergie à redonner goût à la vie à des jeunes en difficulté sur son fameux voilier Le Bel Espoir. Agé de 88 ans, il est en mer aux Antilles !

La chance nous promet au travers du bulletin météo, un vent de sud-ouest puis sud pour l'après midi et la nuit. Une occasion à ne pas manquer pour monter vers la pointe ouest de l'Angleterre. Les quarts prennent leur place à bord dans un Boisbarbu encore tout désorganisé par l'arrivée de nos équipiers. Les choses prennent leur place au fil des jours, là ou chacun saura les retrouver, même la nuit. Ce long bord d'une centaine de milles qui nous met la France dans le sillage, commence au près à la sortie de l'Aber, puis au travers et enfin au grand largue au fur et à mesure que le vent adonne et forcit (jusqu'à 35 nœuds) et que la mer gonfle, de belle, agitée à forte. Les prises de ris et réductions de génois se succèdent pendant la nuit, dans la brume qui devient crachin puis pluie battante. Le système AIS nous aide à traverser le rail des cargos en toute quiètude.

Notre vitesse trop rapide pour atterrir à la lumière du jour doit être réduite. Nous amenons la grand voile pour terminer sous une minuscule voile d'avant seule, qui nous propulse pourtant à 8,5 nœuds aidés par le courant favorable.

Les îles convoitées sortent péniblement de la brume à 6 h du matin glauque et détrempé, devant mes yeux embués de pluie bien que camouflés par le haut col et la capuche de ma veste de quart. Je réveille mon équipage pour « profiter » de ces instants et surtout pour se répartir le travail à l'approche de ces côtes qui se cachent derrière d'imposantes vagues déferlantes. Nous avons choisi d'embouquer la passe sud des îles Scilly, mais celle-ci est ce matin balayée par la mer qui vient s'y fracasser en de haut geysers entre les rochers. Laisser les bouées cardinales sur bâbord, en laissant de l'eau entre nous et la cote sur tribord pour limiter les effets du ressac et les risques de se faire dépaler vers les écueils menaçants. Evelyne, à la table à carte, me communique des informations précises et tellement précieuses, avec le relais de Anne debout dans la descente.

Il y a toujours une appréhension, d'ailleurs justifiée, d'aborder une côte inconnue de soi, battue par une mer démontée, et assombrie par un temps de chien après la fatigue d'une nuit de quart.

Nous tournons l'ile de St Mary, sur une mer maintenant plus calme, pour nous amarrer sous la pluie à un corps mort de la baie de St Mary Pool. Il est 8h et une bonne sieste nous fera le plus grand bien. C'était sans compter sur le capitaine du port qui vient taper avec insistance sur la coque pour nous accueillir.

Les îles Sorlingues, plus connues sous le nom d'îles Scilly est un archipel de 150 îles et îlots dont 5 sont encore habitées offrant au voyageur des paysages sauvages à couper le souffle. Si on y rajoute les couleurs toujours changeantes du ciel et de la mer, les éclairages multiples, les bouleversements de la topographie au fil de l'horloge des marées, nous sommes les spectateurs de sans doute le plus imposant et le plus merveilleux paysage marin que je connaisse. C'est à la fois le granit des îles Madalena, les alignements d'îlots des Kornati, la concentration d'écueils de Bréhat, les formes mégalithiques des îles Vierges, le sable blanc et les eaux turquoises des Caraïbes, les fleurs des Açores, les plantes de Monaco. De quoi combler le visiteur contemplatif, qui est ici peu nombreux, presque uniquement britannique, respectueux de la nature et de l'éthique de cet endroit préservé.

St Mary Island  : Le crachin, la brume, et un méchant clapot dans le port nous accueillent. Il est difficile de débarquer en annexe et nous passerons même une demi heure à remonter l'annexe dans le portique, tant les mouvements violents de la jupe arrière rendent la manœuvre dangereuse.

Le lendemain, sous un « grizzle » (crachin) persistant, nous quittons St Mary Pool pour le mouillage de Watermill Cove au nord est de St Mary. Mon idée pour ce mouillage s'avère désastreuse tant il est peu protégé et rouleur.

St Martins Island  : du mouillage de Tean Sound, nous tombons immédiatement sous le charme de cette île, de ses 3 minuscules villages, sa boulangerie aux chaussons au crabe, les criques ou l'on récolte les bigorneaux pour l'apéro du soir, ses côtes sauvages exposées aux tempêtes de nord ouest, ses petites étales de fleurs, légumes, et mêmes œuvres d'art ou le promeneur se sert de ce qui lui fait plaisir et laisse son argent dans un pot à lait ou un dans la fente d'un couvercle de pot de confiture. Une telle confiance jamais trahie nous épate.

Tean Island  : Gérard et moi débarquons en annexe sur cette petite île déserte ou niche des colonies de goélands et d'huîtriers pies. A notre approche de leurs zones de nidations, les oiseaux piaillent pour sonner l'alerte et se rassembler, puis poussent des cris agressifs pour nous décourager. La phase suivante des goélands est de tourner en ronds de plus en plus serrés proches au dessus de nos têtes, ou pour les huîtriers pies, de charger les uns derrière les autres en poussant leurs cris stridents. Conscients de les déranger et de représenter une menace pour leur progéniture, nous rebroussons chemin. Nous découvrons alors de nombreux nids plats, construits au sol, ou reposent trois œufs gris verts mouchetés de marron. Ils seront couvés pendant 25 jours avant que les petits ne partent aussitôt gambader avec leurs parents. On nous avait pourtant autorisés l'accès à cette île, alors qu'il serait plus raisonnable de l'interdire d'Avril à Juillet (période de ponte et de nidation).

Tresco Island  : île proprête aux allées bordées de fleurs et plantes exotique. Visite des jardins botaniques riches de variétés étonnantes d'Australie, Chili, Mexique, Japon, Tenzanie, … et du musée des figures de proue des nombreux vaisseaux qui se sont échoués sur les dangereux récifs des îles Sorlingues. L'île est peuplée de faisans marrons pour les femelles et multicolores pour le males qui ne se privent pas de pavoiser. Tresco semble être dédiée au tourisme de luxe par quelques résidences de standing. Mais ce sont les sentiers de la côte nord qui nous ont subjugués, pour les paysages dantesques des vagues qui s'écrasent sur les récifs et projettent leurs embruns à plusieurs dizaines de mètres de haut.

Bryher Island  : La petite île de Bryer est beaucoup plus authentique, calme et rurale. La plupart de ses criques sont si accidentées qu'elles interdisent le mouillage. Mais nous avons trouvé un solide ancrage dans New Grimsby Sound.

Samson Island  : Nous nous introduisons à pleine mer dans un écrin réputé dangereux d'accès. Mais juste une heure, le temps de débarquer et de parcourir cette petite île devenue déserte. Seules quelques ruines de maisons et des Tumulus (monuments funéraires) témoignent d'anciennes présences humaines. L'île est maintenant peuplée de goélands et d'huitriers pies.

St Agnès Island  : Qu'il est beau ce mouillage de The Cove, avec ses eaux turquoises, et son isthme de sable blanc qui relie à basse mer l'île de St Agnès à celle de Gugh. Parcourir St Agnès nous ravit. L'ambiance paisible et rurale, la petite étale de plantes en libre service, l'affichette sur la porte d'une petite maison signalant qu'ici on vends des crabes, le terrain de camping avec une vue imprenable sur les West Rocks (alignements d'écueils comme un bouclier devant l'Atlantique). Nous terminons cette dernière soirée aux îles Scilly par une visite arrosée au pub, abondamment décoré de souvenirs et symboles marins.

Bishop Rock  : Avant de quitter définitivement cet archipel, je tiens à tourner le phare de Bishop Rock, mythique par son histoire. Reconstruit 3 fois pour enfin résister aux attaques de l'océan, il a longtemps été le point d'arrivée des voiliers courant pour un record de l'Atlantique.

Les Scilly, c'est fini… Dans le sillage de nos mémoires, va s'effacer l'image découverte de ces îles. Déjà l'on sent que le souvenir qu'on en aura ne sera pas fidèle avec ce qu'on y a vécu. Le souvenir a la vertu d'embellir les couleurs du ciels, la hauteur des vagues, la taille des crustacés et le nombre des oiseaux. Aussitôt parti on a déjà l'envie d'y revenir, tout en sachant qu'une deuxième visite aura perdu la magie que nous a offerte la première. Une île n'est si belle que lorsqu'on la découvre, et lorsqu'on s'en souvient.

Retour sur le « continent » par un faible vent d'ouest. « Continent » n'est pas vraiment le mot juste concernant cette grande île : l'Angleterre. Mais on ne peut s'empêcher de penser que l'Angleterre est partie du continent européen, même si quelques marques de comportements insulaires font la réputation de nos amis anglais.

Passé les falaises de Land's End (Finistère de l'Angleterre) nous entrons dans le port de Newlyn, grand port de pêche ou sont tolérés quelques bateaux de plaisance : les « Sailing Yachts ». L'accueil du maître de port est chaleureux. Sous un épais crachin, nous rendons visite à l'un des nombreux pubs de cette petite ville. La bière coule sur le bar, les hommes saouls chantent et braillent, les femmes débraillées et aguicheuses rigolent autour du billard et devant les toilettes. Etourdis par ces ambiances, nous rentrons encapuchonnés sur les pavés mouillés qui conduisent à notre bateau.

Dimanche 6 Juin: journée de soleil et de répit pour visiter le Saint Mikael Mount (réplique de notre Mt St Michel) et faire les grands nettoyages et maintenance de Boisbarbu entre 2 équipages.

Lundi 7 Juin: Nos nouveaux équipiers, Renaud et Renée, nous accompagnent sous une pluie battante pour déjeuner au Fisherman Mission, version anglaise de l'Abri du Marin, ou les pêcheurs viennent se réconforter, manger et boire (mais pas d'alcool ici), discuter, jouer aux cartes, consulter leur courrier, prendre la météo et des nouvelles de leurs collègues. Le rôle social de cette maison est primordial.

Mardi 8 Juin: le soleil revenu, une étape de 35 milles nous mène à la rivière Helford. Boisbarbu slalome entre les bateaux au mouillage pour prendre un coffre pour visiter le petit village d'Helford, son école de voile et son petit Yacht Club. Nos pas dans la campagne verdoyante nous mènent jusqu'à FrenchMan Creek, une affluence asséchée à basse mer de la rivière, qui a inspiré un célèbre roman de Daphné du Maurier.

Mercredi 9 Juin : Le vent du large nous oblige à tirer quelques bords contre le courant pour sortir de l'embouchure, et doubler un vieux voilier gréé en côtre. Ses lignes élégantes, ses voiles rouge Cowes, l'image de son barreur, ne sont pas sans évoquer la silhouette de Pen Duick. Après quelques heures de mer, nous découvrons l'estuaire de la rivière Fal que nous remontons sur quelques milles en contournant les bancs de sables. Les ports se succèdent sur les 2 rives, à l'abri d'un méandre ou derrière un bosquet. Nous revenons prendre un coffre devant Falmouth. L'amarre à mousqueton est facilement frappée sur le gros anneau de la bouée. Renaud la double avec une amarre en rappel. En confiance, nous partons en annexe vers le ponton du Yacht Club. Sur le quai, une plaque en cuivre commémore l'arrivée du célèbre Globe Challenge, ou Robin Knox Johnson marque une victoire de cette première course autour du monde en solitaire et sans escale, alors que Bernard Moitessier, pourtant en tête, abandonnait la course pour continuer vers la Polynésie à la découverte de lui-même.

Jeudi 10 Juin : un coup de vent de NE est annoncé. Nous nous abritons dans l'anse de St Just et partons pour la journée dans une longue balade à pied vers St Mawes, charmant mouillage sur l'estuaire de la Fal.

Vendredi 11 Juin : Passage du cap Dodman Point ou le vent et les courants se renforcent. Notre pilote automatique débraye de fatigue et semble vouloir rester inactif. Nous entrons dans la rivière suivante pour prendre un coffre devant le village de Fowey. Le pittoresque de ce village nous touche. 4 voiliers taillés pour la course attirent l'attention par quelques circling dans le port, avant passer ensemble une ligne de départ imaginaire, en hissant leurs spis multicolores pour sortir de la rivière dans un soleil rasant. Impressionnant. Dans la soirée, Susan, arrive en train du Devon, pour passer quelques jours avec nous sur Boisbarbu. Ce soir, Renaud reste à terre pour assister au match de foot France-Uruguay dans un pub animé de Fowey.

Samedi 12 Juin : Sur notre route, le minuscule port de Polperro. Il m'a été fortement recommandé par Jacques qui semblait en conserver un souvenir ému. Arrêt improbable puisque très mal abrité. Le tout petit port de pêcheur qui a très peu d'eau, découvre dés la mi marée. Mais ce vent du nord est une véritable aubaine pour nous : aucune vague devant Polperro. Occasion unique de s'amarrer sur l'une des 2 bouées à l'extérieur du petit port. Si le vent tourne, Boisbarbu risque de culer sur les rochers. Même pas un mètre de marge. A visiter Polperro, on est conquis par ce petit bijou dans son écrin de falaises. L'après midi sera à la hauteur : quelques heures de navigation sous spi tangonné avec un vent qui évolue de 12 à 20 N tout en refusant au cours des heures. Boisbarbu avance puissamment à 8 N en frisant le départ au lof. Susan, précise à la barre, a gardé les sensations du dériveur. Comme je redoute d'entrer dés ce soir dans la ville de Plymouth (je n'aime pas les grandes villes), nous jetons l'ancre dans la baie de CawSand, sur fond de sable. Les quelques pubs de ce petit village sont animés par les passionnés du match Angleterre-USA. Renaud prend le risque de supporter l'équipe USA.

Dimanche 13 Juin : Evelyne a les yeux rouges en voyant s'éloigner Renaud et Renée sur le quai. Ces 2 là nous ont rejoints depuis onze ans dans les destinations les plus variées. Des liens plus forts se sont tissés à bord, comme les accessoires que Renée nous confectionnent au crochet: un filet pour les fruits et légumes, puis un filet pour stocker les chaussures de quai, dans le portique arrière. Renée s'est aussi affairée à tricoter des vêtements de poupée pour Anais, la poupée de notre petite Jeanne.

Avec Susan comme équipière, nous quittons la baie de Plymouth avec un troupeau de dauphin. Un voilier anglais, pourtant au moteur, mais absorbé dans l'observation de ces mammifères rieurs, manquent de rentrer en collision avec Boisbarbu sous voiles. Le génois complètement déroulé nous cachait ces anglais imprudents.

Un long bord au grand largue sous les falaises sauvage du Devon, nous mène au mouillage de StareHole, en attente de la pleine mer pour passer la barre d'entrée de la rivière Salcombe. C'est une prise de coffre « musclée » avec 2,5 N de courant et un fort vent inverse, qu'Evelyne et Susan négocient avec brio. La longue rue de Salcombe, aux petits magasins parfois « chicos » nous mène au Yacht Club, belle bâtisse en brique qui domine la rivière, et d'où sont dirigées les régates de dériveurs et de yoles.

Lundi 14 Juin : Un petit retour vers l'ouest pour aller cueillir nos copines Martine et Monique à Plymouth, nous fait passer par la Yealm River, protégée par des falaises et une barre de sable qu'il faut contourner avec précaution. Pour ces itinéraires imposés et ne laissant pas place à l'erreur, j'utilise un vieux GPS portable au poste de barre. Il est chargé des waypoints de la route à suivre et m'indiquent continuellement le cap à suivre, mon cap à corriger, la dérive, et l'écart de route. Ce Garmin 12XL que j'avais acheté dans les années 90 aux US était un modèle d'ingéniosité et de simplicité, et continue à faire référence parmi les chanceux qui en possèdent un. La rivière Yealm, étroite et envahie par un concerto de verdures des chênes et marronniers abritent de nombreux bateaux locaux. Il est difficile de trouver une bouée libre pour visiter le village résidentiel et très calme de Newton Ferrers.

Mardi 15 Juin : Un gros sous marin noir passe devant l'étrave de Boisbarbu dans la rade de Plymouth. Je profite de cette escale dans la marina de Queens Anne's Battery pour démonter le calculateur du pilote automatique, résolument en panne, et l'envoyer à NKE en Bretagne. Susan qui doit retourner à son travail des jardins nous quitte avec émotion, alors que Martine et Momo montent à bord. Le soir même nous retournons dans la Yealm River pour faire découvrir à nos amies cet endroit bucolique.

Mercredi 16 Juin : Sous ce ciel bleu qui commence à nous étonner (nous sommes en Angleterre, tout de même !), Martine la courageuse se baigne devant la rivière Avon, au mouillage de l'ilot Murray, relié à la côte par un bel isthme sabloneux. Brrrr ! Le soir, nous retrouvons la rivière Salcombe ou nous amarrons Boisbarbu à couple d'un voilier anglais sur un coffre.

Jeudi 17 Juin : Sur notre route un peu chaotique vers la rivière Dart, Monique prend un méchant mal de mer. Elle n'ouvrira l'œil qu'arrivée au mouillage de Dittisham, tout au fond de la rivière. C'est ici qu'Agatha Christie habitait, dans une belle maison que l'on peut encore visiter.

Vendredi 18 Juin : Nous redescendons la rivière Dart pour nous amarrer à un ponton flottant. Visite de la ville aux vieilles bâtisses déformées par les siècles et l'église du 13 ème siècle. Le plus vieux restaurant de la ville, aux sol et plafond bancals, nous offre les délices d'un Devon Cream Tea. Hmmm, Evelyne en révait.

Notre manœuvre délicate pour sortir du ponton ou nous sommes enserrés entre les bateaux, se passe plutôt bien, jusqu'au moment ou je repasse en marche avant dans la rivière, et sent que l'hélice est prise dans un cordage. Je cours à l'avant pour jeter l'ancre qui dérape sur le fond, et nous voilà dérapés par le courant, désemparés. Les bateaux d'à côté volent à notre secours, l'un avec son annexe pour empêcher Boisbarbu d'heurter la menaçante pointe du ponton. On nous aide à amarrer à couple d'un bateau. John, un homme qui vit sur la rivière et la connaît bien, nous conseille intelligemment et assure la sécurité pendant que je plonge dans cette eau à 11° pour démêler le fatras de cordage dans l'hélice. Après une dizaine de plongées, la grosse partie du sac de nœuds est retirée, mais il reste 3 tours sur l'arbre moteur, coincés par la chaise d'arbre. Fatigué par le froid et les apnées successives, je rentre me réchauffer sous les conseils de John et de nos amies, qui passent une heure à me réchauffer en me couvrant de couvertures et me faisant boire des bols d'eau chaude. Un copain de John, plongeur, plus jeune que moi et muni d'une combinaison étanche, vient terminer le travail, au couteau. Remerciements chaleureux, bières, récompense digne de ce coup de main, pour nous rendre à l'évidence que l'heure est trop tardive pour prendre la mer ce soir.

Nous terminerons la soirée dans le chaleureux Yacht Club de Dartmouth (300 membres). Nos amies sont étonnées et enchantées par l'accueil convivial des membres du Yacht Club. On nous présente le Président et le Commodore avec qui on passe une partie de l'apéritif local (bière et cidre) qu'ils nous offrent. Nous envions aux anglais ces ambiances sociales et conviviales des clubs, pubs et autres lieux de rencontre particulièrement populaires le vendredi soir. Martine écrit avec soin ses impressions dans le Livre d'Or de Boisbarbu, comme le font chacun de nos équipiers depuis 1999. La relecture de ces pages nous apporte toujours du baume au coeur par les expressions d'amitié dont nous témoignent leurs sensibles auteurs.

Samedi 19 Juin : Après avoir quitté Martine et Monique qui rallieront Portsmouth en taxi, bus et train, nous prenons la mer par petit temps et ciel bleu dans un ressac qui nous amène à Brixham, ou les pêcheurs organisent une course de Trawlers (bateaux de pêche). Une vingtaine de chalutiers portant grand pavois, participent à cette course folle, avec les familles à bords, avant de terminer la journée dans la bière et les chants de marins saoulés par l'alcool.

Dimanche 20 Juin : Le spi léger nous porte jusqu'à l'entrée de la rivière Teign, devant un labyrinthe de hauts fonds qui découvrent à basse mer, et sur lesquels il faut passer au mieux. Malgré l'heure de pleine mer, un courant nous pousse dans la passe. Entre les instructions nautiques du Reeds, la carte marine, et le balisage latéral, les bancs sont à des emplacements différents. Il me faut choisir, improviser à vue, devant ces données contradictoires. Bien qu'au point mort, Boisbarbu file à 4 N dans l'étroiture de la passe. Le sondeur indique 20 cm sous la quille. Ouf ! c'est passé ! J'ai du passé un peu trop au milieu alors que la gauche aurait été peut être meilleure. L'après midi je vais découvrir le relief sous marin qui se révèle à basse mer, pendant que la petite ville est en fête au son d'un festival de musique folk. Tout ce folklore issu de la musique irlandaise et remis en valeur par Woodie Guthrie et Tom Paxton, puis par Bob Dylan dans les années 60, m'enchante.

Le ciel du Devon est magnifiquement bleu et fait ressortir les falaises rouges de la côte sauvage. Le beau temps est annoncé pour toute la semaine. Nos amis et familles de France, nous informent de la vague de pluie et de mauvais temps qui submerge la France depuis quelques semaines et a même causé une vingtaine de décès dans le sud. Décidément, c'était vraiment l'année à naviguer en Angleterre.

Lundi 21 Juin: Jour de l'été et anniversaire de mariage. Ce sera pour nous Restau, dans le petit port de Lyme Regis, trop petit pour Boisbarbu qui restera seul au mouillage à danser bord sur bord. Lyme Regis est connu pour ses plages et falaises riches en fossiles. Meme les lampadaires publics ont la forme d'un escargot. Ce petit village du Dorset nous plait. Après un diner bien arrosé d'un Sauvignon blanc du Chili, j'entreprends d'aller porter un mouillage secondaire à la poupe de Boisbarbu pour le maintenir perpendiculaire à la houle et rendre le mouillage confortable. J'ai presque le mal de mer, dans ma petite annexe, balloté par la houle du large. Le sommeil sera lourd.

Mardi 22 Juin: Nous longeons la longue plage de Chesil Beach. 40 km de sable uniformément jaune. Pour la première fois nous naviguons en maillot de bain. La Riviera anglaise porte bien son nom. Mais les côtes ici, n'ont rien à envier à notre Côte d'Uzur. La côte ici, n'est pas envahie ni enlaidie par les habitations. Les villages sont rares et discrets, s'intégrant bien dans le paysage. La nature a été généreuse. Aux falaises sauvages et sombres de Cornouaille, succèdent les falaises rouges du Devon, puis les plages et falaises calcaires du Dorset, avant d'arriver aux falaises de craie du Hampshire, le tout baignant dans toute une palette de verdures, soulignée par des fleurs multicolores.

Au passage du cap Portland, nous sommes surpris par un courant rapide (4,5 N) qui nous porte vers l'est comme dans un torrent de montagne. La mer que le petit temps avait pourtant épargné, se transforme ici en véritable marmite bouillonnante ou Boisbarbu perd ses repères. Puis c'est l'entrée dans l'immense bassin du port de Portland (4 km de diamètre) qui se prépare à devenir site olympique pour les épreuves de voile de London 2012 ! Spectacle garanti.

Mercredi 23 Juin: Un premier stop à Weymouth, ou nous mouillons devant le port de commerce pour visiter cette petite station balnéaire construite autour de sa grande baie de sable clair. Puis un mouillage dans la minuscule anse Lulworth Cove, en arc de cercle refermée par 2 barrières de récifs, surmontée par des gradins calcaires. Enfin l'arrivée à Studland Bay défendue par de longues falaises de craie, découpées en tranches de séracs. Au passage du cap Chapman, mêmes frisson qu'hier dans les courants et les marmites auxquelles nous commençons à nous habituer.

Nos impressions de cette côte sud de l'Angleterre: Splendide, à conseiller, et si c'était à refaire, nous reviendrions, c'est sur. Tout d'abord pour ces paysages calmes et apaisants, ou les villages sont rares et la nature préservée. Puis par les vents doux et réguliers que nous avons connus en ce mois de Juin. Rien à voir avec les coups de tabac surprises qu'on peut rencontrer en Méditérranée en été. Ici, point de Mistral, ni de Bora, ni de Meltem. Le mouvement des marées rend la côte vivante et attrayante, en modifiant constamment les paysages. Nous avons aussi apprécié les anglais de cette côte, toujours accueillants, calmes, souriants, courtois, voire chaleureux. Nous sommes très étonnés de ne voir que des voiliers britanniques. Très très peu de français ou d'hollandais. Pas vu un seul allemand, ni belge, ni norvégien. Et pourtant, quelle belle navigation pour des amoureux de la mer. Les voiliers anglais sont différents des français. Boisbarbu fait figure de grande unité sur cette côte ou les voiliers sont souvent longs de 9m, rarement plus de 10,50m. Ces voiliers qu'on nomme ici au féminin sont souvent plus anciens aux formes élégantes et élancées. Ah, ces anglais, qui roulent du mauvais côté de la route, mangent sur le dos de la fourchette dans de petites maisons vieillottes et charmantes, de vrais marins qui adorent la mer et les bateaux !

Vendredi 25 Juin: Quel marin n'a jamais rêvé de naviguer un jour dans le Solent, détroit long de 25 milles qui isole l'île de Wight de l'Angleterre, de passer les Needles, spectaculaires aiguilles de craie à la proue de l'île de Wight, d'aller taquiner les raz par vent contre courant qui se forment à l'ouest des Shingles, redoutables hauts fonds ou les épaves sont foison, pour enfin s'amarrer tranquillement à un ponton du petit port de Cowes, et aller flâner devant la vitrine de Beken, le célèbre photographe de marine, avant de boire une bière au Royal Yacht Squadron.
J'en avais rêvé, Boisbarbu l'a fait ! Une semaine de plaisir dans le Solent.

Approcher le Solent nous intimide, par toute la littérature, articles ou légendes que nous avons pu lire au sujet de cette Mecque du yachting. La veille, dans notre mouillage de Swanage, nous préparons soigneusement cette navigation pour qu'elle se déroule le mieux possible : arriver à l'entrée sud-ouest du Solent juste au moment ou les courants seront favorables tout en étant dans le sens du vent afin d'éviter les raz trop violents. Nous examinons la table des marées à Portsmouth dans le Reeds (la bible de navigation en Angleterre), puis dans le logiciel de navigation ainsi que dans WxTide32, un logiciel de prévision des marées. Dubitatif devant ces 3 sources donnant des informations assez différentes, je fais le choix pour celles du Reeds. Reste à calculer les heures et hauteurs au port secondaire de Yarmouth. Pas si facile par ces temps de forts coefficients (Springs en anglais), car la marée présente la particularité de 2 pleines mers pour une basse mer, avec un temps de jusant beaucoup plus court que le flot. Les cartes de courants me permettent de calculer la direction et la force du courant pour chaque heure de marée. Maintenant, prenons des hypothèses : si nous quittons Swanage à 12h, avec un courant de jusant qui sera donc à déduire de notre vitesse surface, à quelle heure arriveront nous à l'entrée du Solent ? A cette heure là, la renverse aura-t-elle eut lieu et quel sera le courant qui nous portera et accélérera dans le Solent ? Je me concentre à faire un tableau des courants, une courbe de marée, avec la précision d'un horloger suisse. C'est décidé, l'heure du départ est fixée à 11h et nous arriverons à l'entrée du Solent à 14h30. Au besoin, nous ajusterons la voilure pour ralentir et tenir notre planning.


Aussitôt sortis de la baie de Swanage, une jolie brise de sud ouest s'établit. Aucune hésitation, nous tangonnons le spi léger. Un très beau bord de spi avec la falaise blanche de l'île de Wight qui grossit sous la toile légère bleue et rouge frissonnant au vent. Je décide d'amener le spi à quelques milles du Solent alors que le vent forcit. L'effet venturi de l'île de Wight peut réserver des surprises. Restons donc prudent et continuons vent arrière avec un ris dans la grand voile et le génois entièrement déroulé. Dans le raz des Shingles, les chocs sur le safran rendent l'exercice de barre délicat et instable.
14h30 : à l'heure pile calculée, nous nous présentons à l'entrée du Solent, matérialisée par la bouée latérale bâbord « Shingles ». Ce n'est pas pour rien que je suis originaire de la capitale de l'horlogerie, non mais  J  ! Mais surprise ! Alors que nos voiles sont en ciseaux et que le speedo indique 5,4 Nœuds, la grosse bouée d'acier rouge reste immobile à 15m sur notre bâbord. En fait le courant de face s'oppose tellement à notre progression que nous grattons du terrain avec difficulté.
Je me suis complètement planté dans mes calculs. Ca me rappelle cet album de Tintin (et le trésor de Rackam le Rouge, je crois) ou le capitaine Hadock, en plein océan, sort de sa cabine après plusieurs heures de savants calculs en s'écriant « Messieurs, je suis formel, nous sommes exactement sur la place St Pierre de Rome » !
Je range donc mon amour propre dans la poche de mon ciré, pour admettre que nous sommes dans un courant de jusant de 4N et que nous avons tout le loisir de multiplier les prises de vues sur les éclatantes Needles que nous grappillons très lentement sur tribord.
Une heure plus tard, le courant de jusant est encore de 2,5N et nous arrivons au ralenti devant le port de Yarmouth, ou nous amarrons sans difficulté à un coffre.
A notre debriefing devant une bonne bière, je trouve la raison de mon erreur de calcul, et nous regretterons aussi de ne pas avoir porté le spi jusqu'au bout car le vent l'aurait tout à fait permis. Ca aurait eut de la gueule pour passer les Needles. Une autre fois peut-être, mais quand on ne connaît pas …

Yarmouth est un joli petit port, encore tranquille, entouré de son petit village pittoresque. De là, nous louons 2 VTTs pour parcourir l'île par les crêtes de douces collines ou nous croisons troupeaux de vaches, moutons, et golfeurs. Dans le port, une vingtaine de voiliers identiques de 40 pieds, affûtent leurs armes avant d'aller se mesurer sur l'eau. L'ambiance est concentrée bien que multicolore.

Un autre jour, c'est la Newton River que l'on embouque à pleine mer par sa passe étroite, pour ancrer dans une petite crique creusée sur une rive de cette petite rivière. A basse mer, tout découvre autour de nous et laisse la place aux oiseaux de toutes sortes qui viennent se régaler des fruits de la mer restés collés aux rochers, ou enfouis dans la vase.

Ensuite c'est Cowes, la mythique. Les chantiers navals succèdent aux Yacht Clubs tout au long de la rivière, bordée de marinas et de pontons flottants. La faune des yachties est ici. Cowes est à la voile ce que Chamonix est à l'alpinisme. Les régatiers se baladent sur les quais et dans les rues. Ce week end, pas moins d'une douzaine de régates étaient organisées dans le Solent. Pour tous les types de voiliers, du vieux gréement aux puissantes bêtes de course tout carbone, en passant par les Class J, les Dragons, ou les dériveurs de toutes sortes, ou même les bateaux de plaisance de tous âges. Régater dans le Solent nécessite d'être excellent marin, certes, mais surtout de parfaitement connaître l'endroit, afin de jouer et de profiter pleinement des moindres courants ou contre courants qui se déplacent et se déforment à chaque heure de la marée, sans jamais se renouveler de jours en jours, car très sensibles aux coefficients de marée et aux forces du vent, offrant une multitude de configurations, d'arrangements et bien souvent d'imprévus. En semaine, les régates sont courues en soirée, après le boulot. C'est vraiment impressionnant de voir la concentration de régatiers de tous niveaux dans ce Solent.

A Lymington, vieille ville très jolie, nous amarrons au quai de la ville, pour y retrouver nos amis John et Sue qui nous emmènent découvrir le parc national des forêts du Hampshire en VTT, dans des forêts de pins, de chênes et autres essences d'arbres millénaires. Splendide et reposant.

Puis la rivière Hamble, que nous remontons vent arrière, avec le courant de flot, entre les nombreuses marinas, séparées par des lignes discontinues de pontons flottants sur des kilomètres jusqu'à Swanwick. Des milliers et des milliers de voiliers au repos, dressent des forets de mats.

Et enfin la Beaulieu River et ses méandres entourés de marécages, que l'on remonte avec précaution entre les perches rouges à bâbord et les vertes à tribord, ou les voiliers vieux gréements dandinent paisiblement au mouillage, nous emmène jusqu'à Bucklers Hard, chantier naval historique des bateaux de la flotte à Nelson, ou nous amarrons Boisbarbu à un ponton détaché du rivage. De là, une heure de marche à pied le long de la rivière jusqu'au charmant village de Beaulieu (on prononce Bioulie !) ou on peut y admirer 300 voitures de collection, une très vieille abbaye cistercienne entourée de vieux cottages aux toits de chaume.

Pour se rendre d'un site à un autre dans le Solent, il est essentiel de tenir compte de la marée et de ses puissants courants. Malheur à celui qui les sous estimerait. Ca nous est arrivé une fois ou deux. Ce sont alors plusieurs heures qui se perdent en d'interminables bords ou après une heure de navigation on revient presque exactement à son point de départ, sans avoir progresser vers son objectif. Ce qui m'a le plus étonné, c'est que le courant prends très vite sa force maximum (généralement 3 à 5N), dés la première heure de marée, juste après la renverse. Naviguer dans ces courants donne la curieuse sensation de danser la valse sur un tapis roulant de l'aéroport de Roissy. Pas d'appui certain, des repères fuyants, une impression de tourni.

Naviguer dans le Solent et visiter les rivières et ports qui le bordent est vraiment une expérience unique, inoubliable, ou on est plongé dans le sérail de la voile. On y voit tous les types de bateaux, anciens ou modernes, barrés par des amoureux de la voile (ici, ils sont très très nombreux),du plus jeune au plus âgé. Nous avons rencontré un homme de 91 ans, skipper de son trimaran qu'il avait construit lui-même dans les années 70. Connaître cette Mecque de la voile me parait être une valeur incontournable dans l'expérience d'un voileux, un élargissement de notre esprit de marin, une vitrine sur les milliers de bateaux de tous genres.. Nous sommes vraiment heureux d'avoir pu venir ici, et déjà avons du mal de sortir de ce rêve gonflé par la brise du Solent.

De retour à Lymington, Boisbarbu, amarré à couple sur 5 rangées au quai de la vieille ville, devant le pub Ship Inn, accueille John et Sue pour un dîner à bord, comme Evelyne sait les mitonner, puis attends son nouvel équipier, Richard, pour mettre cap au sud ouest, dans une traversée de la Manche qui devrait nous mener en Bretagne nord.

« Ecrire est une navigation sur la terre ferme.
La page blanche est une voile qu'on hisse.
Les mots un sillage qui s'efface »
Christophe Colomb.

 

 

Amicalement à tous,
Evelyne et Gérard.

 

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