Le Journal de Bord de BOISBARBU

L'Espagne en Afrique

Adios Barcelona ! A la sortie du grand port de commerce ou se cotoient super-tankers, énormes paquebots, yachts de luxe, cuirassiers militaires, nous mettons le cap au 220 vers les îles Columbrettes, à 120 milles au sud ouest.

Au petit matin, des masses sombres rompent la monotonie de l'horizon. Des pitons volcaniques déchirent la brume. L'air est imbibé d'humidité, nos esprits englués dans le sommeil. Boisbarbu s'introduit discrètement dans le centre d'un cratère, un anneau basaltique qui se ferme en ¾ de cercle comme un croissant déchiqueté. On y est accueilli par les couaillements de milliers d'oiseaux. Nous sommes dans les îles Columbrettes, minuscule archipel volcanique au large des Baléares. Elles ne sont même pas signalées sur toutes les cartes. L'eau cristalline abrite des centaines de gros barracudas que nous voyons défiler en procession le long de la coque.

Cet endroit paradisiaque prend la pluie, puis se transforme en un mouillage très rouleur qui vient à bout de nos nerfs vers 1h du matin. Nous fuyons ce lieu idyllique avec la lune pour seul témoin, cap 155 en direction d'Ibiza à 70 milles.

Depuis ma navigation sur Dolce Vita dans l'océan Indien cet hiver, j'ai très envie de faire le pain du bord. Comme m'a dit Vincent : « pour réussir ton pain, sois Feng Chui ». J'ai essayé, ça marche !

 

 

 

 

 

 

Dans la soirée, nous posons notre ancre toute neuve sur le sable fin de l'anse d'Espalmadore, entre Ibiza et Formentera. Mouillage bien connu pour ses airs de paysage des Caraïbes : palmiers, long isthme de sable bas, barrière de coraux écumant de rouleaux rageurs, nous protégeant des vagues du large. La vedette de la douane s'approche lentement et s'applique à la fouille méthodique de 2 voiliers voisins, pendant 2 heures. Nous sommes passés entre les gouttes, avant une nuit d'un sommeil lourd et réparateur.

Le matin suivant, cap au 225, vers la cote africaine, du moins nous le croyons, jusqu'à ce que les vents capricieux et tourbillonnants eurent raison de notre volonté et nous incitent à relâcher à Cartagena, sur la côte espagnole.

Ces lignes ne sont ni des calligraphies d'une mosquée arabe, ni les lignes créatives du peintre Miro, mais juste les traces de Boisbarbu en cette nuit du 12 au 13 Mai sur la route de l'Afrique. Une route qui traverse pendant 20 heures, un régiment d'orages. Des vents tournoyants du sud est, qui passent à l'ouest, puis à l'est, et même au nord ouest, et cela de nombreuses fois, en se rythmant de rafales et de molles désespérantes. Un vrai pot au noir. Le vent a décidé de jouer à cache cache avec Boisbarbu. A rendre fou l'homme de quart. Nous passons une nuit épouvantable d'où nous sortons Evelyne et moi, fatigués, les yeux bouffis par le sommeil, dans cette brumasse ou même la pluie venue d'Afrique a salit le pont et nos cirés de son sable brun. Pour exemple, cette antenne (le détecteur de radars) après la pluie et aprés nettoyage.

Cartagena nous offre son abri, une douche bien méritée pour nous comme pour Boisbarbu qui en a bien besoin. Nous aimons cette ville a l'architecture si riche. Elle nous avait déjà marquée en Octobre 2000 lors de notre départ en année sabbatique. Nous déambulons, ivres du mal de terre (ce mal de terre qui donne cette allure si particulière aux marins, dont on ne sait jamais si ils vont au bar ou si ils en sortent) dans ces rues étroites et grignotons au hasard des bars à tapas, en sirotant un excellent vin de muscat espagnol.

Bien nous en a pris, car on ne sait pas encore ce qui nous attend pour l'étape suivante : la traversée de la mer d'Alboran. Le coup de vent des derniers jours, venant de Gibraltar, ne s'est pas terminé comme prévu. La mer est restée trop forte pour notre petit Boisbarbu. Ce vent de près et cette mer nous attendent dans les 180 milles de cette étapes vers l'Afrique. Ils ne nous ménagent pas. On se « prend une branlée » comme disent les marins. Pourtant quelques images heureuses, comme ce dauphin que je vois sauter en haut d'une vague déjà à 3 mètres au dessus du pont, ou ces grands globicéphales qui cheminent majestueusement parmi les grandes vagues.

Nous parlons de Maud Fontenoy, ou de Dee Caffari, qui ont chacune couru en solitaire le tour du monde à l'envers, contre vents et courants, par les 3 caps, dans les mers du sud, sur d'énormes monocoques. Bravo les filles ! Mais comment ont-elles fait ?! L'effort nous parait surhumain, nous qui avons déjà les nerfs usés par quelques jours de navigation au près, à planter des pieux avec la coque.

Chaque fois que le bateau tombe de plusieurs mètres dans l'eau, dans une explosion assourdissante, avec son gréement qui encaisse le choc brutal, le nœud que nous avons au ventre se serre, nous fait mal, comme si on recevait un coup de marteau sur les doigts. Le supplice de la mer a commencé. Il se renouvelle toutes les 5 minutes, inlassablement, sans pitié pour le supplicié qui tremble, s'agenouille, courbe l'échine sous les coups de butoirs. Petit à petit le moral s'érode, inexorablement. « Qu'est ce qu'on fout là » ? 30 heures sans dormir, mais le sommeil ne veut plus venir. Les nerfs nous tiennent jusqu'au port ou sera le grand relâchement, la délivrance.

Melilla, nous voilà.

Melilla ou nous passons plusieurs jours, pour nous reposer, panser les plaies de Boisbarbu (surtout beaucoup d'eau embarquée), et soigner le brusque lumbago du capitaine qui doit garder la couchette ou on lui administre des cocktails d'antalgiques - anti inflammatoires - myo décontractants…

Boisbarbu se porte bien. Les navigations dures du Languedoc puis de la mer d'Alboran (c'est ainsi qu'on appelle la mer entre l'Espagne et le Maroc) ont eu l'avantage de mettre à l'épreuve le matériel neuf (gréement, voiles, rail de mat) et de le tester avec succès.

Melilla est une belle ville espagnole enclavée sur la côte marocaine, à une cinquantaine de kms de la frontière algérienne. Nous goûtons aux charmes de cette cité très calme. Les Mercedès et 4x4 roulent lentement et s'arrêtent pour laisser passer les piétons traverser de larges artères. Monuments, immeubles et maisons sont l'œuvre de l'architecte Enrique Nieto, disciple du célèbre Gaudi. Tendance très arts nouveaux, souvent kitsch. Les communautés chrétiennes, musulmanes, mais aussi juives et hindoues cohabitent en bonne intelligence. Et comme à Barcelone ou Carthagène, nous trouvons la population fort sympathique et prête à rendre service.

Nous quittons Melilla avec Rolf et Karin, venus de Hamburg, et naviguons de concert avec leur Delher 39. Boisbarbu se mesure à lui. Grâce à nos voiles neuves, nous lui tenons dragée haute. 24 heures de navigation paisible, vent au portant par un temps « de demoiselles » nous conduisent à Ceuta, enclave espagnole sur la côte marocaine, juste au sud du célèbre rocher de Gibraltar. Nous méritions cette belle et douce traversée pour clore les 1000 milles depuis Port St Louis du Rhône. Le temps reste frais et humide: nous n'avons pas quitté les fourrures polaires. Ce n'est plus la Turquie ou nous avions à cette date déjà de sérieux coups de soleil sur le derrière. Mais des dizaines de marsouins, dauphins, globicéphales viennent plusieurs fois festoyer autour de Boisbarbu. Nous ne nous lassons pas de ce spectacle.

 

 

 

La magnifique situation géographique de Ceuta, sur cette presqu'île, cache une ville bruyante, sale et peu organisée. Bref, c'est pas jojo !

 

 

9 années durant, Boisbarbu a sillonné la Méditerranée, en abordant 15 pays de Suez à Gibraltar, dans le sillage de St Paul, sur les traces d'une civilisation fondatrice.

C'était fantastique.

Aujourd'hui, la porte de l'Atlantique s'ouvre !

 

 

 

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