Le Journal de Bord de BOISBARBU

6 Juin 2008

L’Italie du sud : Les Pouilles, la Calabre, et la Sicile


Samedi 17 Mai

Après le débarquement d’Hubert et Solange, nous attendons 13h. La brise de sud-ouest vient de se lever ; il est temps de relever le mouillage. 15 milles de navigation au près nous amène sur l’île d’Othoni, la plus à l’ouest des îles ionienne, excellente coupure avant la traversée vers l’Italie.

Dimanche 18 Mai

Aujourd’hui, la météo est formelle, nous pouvons compter sur le vent. Evelyne est toute excitée par la traversée, un brin anxieuse peut-être, elle est sur pieds à 6h. Sous spi tangonné, nous voyons l’île d’Othoni s’éloigner rapidement dans le sillage. Le vent force 5 est avec nous. Quelle chance, après 3 semaines de calmes. L’atmosphère est humide et brumeuse. Le vent de sud-est tient sa promesse et nous pousse jusqu’à Santa Maria de Leuca, à l’extrême sud du talon de la botte italienne. Les falaises alentour provoquent un important ressac. Nous affalons les voiles dans le port ou nous sommes chaleureusement accueillis. Ah, ces italiens, comme ils sont sympas, et que les femmes sont belles !
Le village de Sta Maria est étrange : pas un commerce, des rues trop calmes uniquement bordées de maisons monumentales et vides de l’époque mussolinienne. C’est dimanche soir ; les locaux des villages avoisinant viennent se promener sur le front de mer, élégamment endimanchés Nous sommes en Italie : retardons nos montres d’une heure.
Nous aimons pourtant bien ce petit endroit de Santa Maria, pour y être passé 4 fois (l'an dernier avec Patrick et Maryvonne, sur "Détermination"), ou nous connaissons un restau original tenu par un ancien marin qui a un chien savant capable de prouesses mathématiques. Nous faisons connaissance avec un excellent vin local, mélange de Negroamare et de Malvasia (les cépages du sud), avant de sombrer lourdement sur nos couchettes.

Lundi 19 Mai

On quitte le port de Sta Maria sous un vent de force 5. Les 2 voiles sont établies dans le port, à l’abri des grosses vagues et du ressac qui vont nous secouer. Le vent est portant est à 20 N. On file 7,6N. La mer se creuse. Le vent arrière nous permet d’établir le génois tangonné en ciseaux. A 3 mille de Gallipoli, le vent forcit à 25, puis 30 nœuds. Quelques tours vite pris dans le génois, je choisis de maintenir la grand voile haute (nous sommes vent arrière). La bôme retenue par le hale-bas plie sous l’effort. Nous filons 8,4N pour embouquer la passe entre Gallipoli et l’île San Andrea. On lofe derrière le bastion de la vieille ville de Gallipoli, presqu’île retenue au continent par un isthme étroit. La grand voile est affalée dans les bourrasques et une bonne préparation nous permet un amarrage propre et calme, cul au quai, sous 2 solides pendilles. Le ciel est gris et orageux. Ouf, on est fourbu.
Visite de la vieille ville de Gallipoli. On est sous le charme de ce labyrinthe de ruelles, maisons exigues et encaissées, décors baroques et surréalistes. Loin de la route habituelle des voiliers, on nous l’avait conseillé, c’est un coup de cœur pour nous.

Mardi 20 Mai

Le Scirocco et sa pluie on couvert le pont de Boisbarbu de taches brunes. On prend le train pour aller visiter à 60km, la ville de Lecce, ville principale du sud des Pouilles. Je m'introduis dans le poste du conducteur. Lecce est une vieille ville entourée de remparts, aux ruelles étroites et aux multiples églises baroques. Très belle et vieille cité qui vaut le détour

 

 

 

 

Mercredi 21 Mai

6h : 83% d’humidité. Vent de sud et forte houle résiduelle. Les 57 milles pour traverser le golfe de Tarente sont avalés aux 2/3 à la voile, puis au moteur quand la pétole s’installe. Un moment propice à la lecture : Evelyne est plongée dans « Le Plan B » de Lester Brown, et moi dans « Les découvreurs » de Daniel Boorstin. Ne pas oublier de lever la tête de temps en temps pour scruter l’horizon. Nous sommes seuls sur l’eau. Il y a je ne sais quoi dans l’air de tristounet. Paysage de désolation. Heureusement, un groupe de jeunes dauphins s’amuse devant l’étrave. De nombreux sauts. L’un d’eux, plus déluré nous offre des pirouettes, en rigolant. Tous nous regardent en souriant, à la manière des moines tibétains. Evelyne et moi sommes penchés sur le balcon avant, comme des enfants devant le feu.
A Ciro Marina, on s’entasse entre bateaux de pêche et de voyage, à couple d’un vieux quai. Marina neuve, déjà vieille, jamais terminée, en désordre, cassée, gratuite, sans eau ni électricité.

Jeudi 22 Mai

A 13h, quand le thermique se lève, nous larguons les amarres. Boisbarbu file à 7,2N au près bon plein. On se régale tout de même plus à la voile qu’avec le bruit du bourin. Entrée à la voile dans le port de Crotone sous un vent de 20N.
Boisbarbu est le seul voilier amarré à la longue jetée de 2km du nouveau port étrangement immense de Crotone, avec quelques carcasses de cargos abandonnés, à l’état d’épave. Ce port est sinistre. Quelques pêcheurs à la ligne, comme dans tous les ports du monde.
La vieille ville de Crotone ainsi que son château, sont délabrés et lugubres. La ville nouvelle, animée, commerçante, sale, manque d’intérêt. Bref, ça ne vaut pas le détour.

 

Vendredi 23 Mai

Grande lessive confiée à une laverie de Crotone. Le linge mouillé, rapporté à bord, est pendu dans Boisbarbu et tente de sécher. Image surréaliste d’un séchage à la gite, en navigation.
L’étape de 20 milles au près, nous mène à un mouillage rouleur à l’est du golfe de Squillace. L’annexe est rapidement descendue à l’eau, chargée d’une ancre pour un mouillage arrière que je porte le plus loin possible afin d’orienter Boisbarbu face aux vagues et éviter le mouillage rouleur. Nous avons mis au point cette manœuvre l’an dernier, et elle s’exécute maintenant rapidement.

 

 

Samedi 24 Mai

Etape de 50 milles par pétole. Toute au moteur, ou presque (une heure de spi). Quand le moteur tourne, le capitaine est de mauvaise humeur : « un voilier, c’est fait pour avancer à la voile », et puis au prix de la pétole à 135$ le baril, mieux vaut se boire une bonne bière. Heureusement, 3 dauphins d’un gris cendré viennent nous distraire sous le balcon avant. Nous arrivons enfin en vue du port de Rocella Ionica. Nous contournons largement ce maudit banc de sable, comme d’habitude depuis des années. Une vieille épave jetée à la côte nous rappelle la vigilance. Nous sommes vite amarrés au catway, avec l’aide des nombreux plaisanciers qui fréquentent l’endroit.
Nous aimons cet endroit, il a quelque chose de magique d’indéfinissable. Sans doute la raison pour laquelle c’est le rendez vous de nombreux bateaux de voyage. Nous resterons 3 jours, à discuter avec les copains de toute part, refaire le monde, dépanner un tel de sa BLU en panne, renseigner celui-ci sur les formalités en Grèce, débattre de la meilleure ancre ou de l’appât miracle qui attrape tous les thons. Bref, les discussions de ponton.

Dimanche 25 Mai

Grand rangement et bricolage dans le bateau. On se résout à recoller ce vaigrage de la cabine avant, pour que nos futurs équipiers ait un espace de vie agréable. Recroquevillé dans la pointe du bateau, de la colle néoprène plein les doigts, ou qui me coule sur la poitrine, les poumons imprégnés des solvants de néoprène ; un moment à passer qui durera jusqu’au soir. L’apéro sera mérité, mais Boisbarbu n’étant pas présentable, on ira le boire chez le voisin.

 

Lundi 26 Mai

La météo nous promet un bon vent pour demain. Alors ce sera notre créneau pour s’échapper de ce port sympathique dans lequel on aimerait rester pour continuer à échanger avec tous ces marins du voyage. Mais si le vent est là, il ne faut pas le rater. D’autant que l’étape sera longue pour atteindre la Sicile, et peut réserver des surprises en passant sous le détroit de Messine. Ce soir, dans l’intimité du carré de Boisbarbu, nous réunissons pour un apéritif se terminant fort tard Guy et Renata de « Horus » (un Halberrg-Rassy 352 récemment acquis pour leur retraite), François de « Lady Samira » (un Ovni 38 multicolore kitch), ce suisse original qui a perdu la mémoire lors d’un accident de moto, et François de « Mama-bé » qu’il ne se sent pas capable de remonter seul à Martigues et cherche désespérément un équipier. Les vapeurs d’Ouzo ont fait leur effet.

Mardi 27 Mai

Le «grand jour » : dés 6h, dans un port encore endormi, Boisbarbu quitte son catway sans bruit, furtivement, comme un chat, sous les gestes coordonnés d’Evelyne et moi, qui n’avons plus besoin de parler pour synchroniser la manœuvre. Tout au plus quelques échanges de regard silencieux pour ne pas rompre le sommeil de nos amis de ponton.
Vers le cap Spartivento, ou le vent a l’habitude de s’amplifier à l’approche du détroit de Messine, nous évitons 2 paquets sur l’eau. Des paquets suspects, soigneusement emballés, munis d’un minuscule feu à éclats. Probablement une partie de cargaison de drogue larguée d’un avion et pas encore récupérée par des une vedette rapide de la mafia. Fabulation, direz vous. Non, nous en avons eu des descriptions dans les magazines ou à la télé. Evelyne établi une communication avec la Guardia Costiera et leur signale la position exacte de ces colis. La conversation s’arrêtera lorsque les gardes cotes nous demandent notre destination et le nom du bateau. On ne sait jamais… Pas envie de se retrouver par le fond avec des chaussettes en béton.
Ce n’est que vers 19h30 que nous terminons cette étape de 70 milles poussés par un vent bien en dessous de nos attentes. Les 5 dernières heures contempler le cratère fumant et grondant de l’Etna qui se rapproche entre le spi et l’étraveet pourtant à 3350m d'altitude.. Mouillage très rouleur sous les reliefs abruptes de Taormina, sur la côte est de la Sicile.

Mercredi 28 Mai

Quittons vite cet endroit sinistre et inconfortable pour mouiller dans le port de Naxos Giardini, alors que les pontons malmenés par la houle demandent 40€/jour sans même proposer un service de douche. Journée randonnée à pieds pour rejoindre Taormina puis Castelmole. Quand nous revenons vers 17h, Renaud et Renée nous attendent sur le quai. Apéro et dîner à bord.

 

 

 

 

 

 

 

Jeudi 29 Mai

Pendant que Renaud et Renée partent gravir l’Etna (3340m), je préfère rester de quart, la météo ayant annoncé orages et coup de vent force 8. Après midi avitaillement.

A nous la Sicile. A muninni !

 

Vendredi 30 et Samedi 31 Mai

La météo est très calme pour les prochains jours. Tôt le matin, nous laissons Boisbarbu à son mouillage, en ayant pris toutes les précautions d'usage, et embarquons dans la voiture de Renaud et Renée qui ont la gentillesse de nous faire visiter la Sicile. La côte nord avec Cefalu, Palerme puis la tournée de temples grecs à Segeste, Selinonte et Agrigente.

Retour tard dans la nuit sur Boisbarbu qui roule généreusement d'un bord sur l'autre. Il faudra installer un mouillage arrière vers 1h du matin, pour trouver le sommeil.

Dimanche 1 Juin

Un grand yacht à trois mats vient mouiller. Tiens, c'est le « Ponant », de retour de mer Rouge. Lui qui a défrayé la chronique lors de son détournement par des pirates au large de la Somalie, fin Mars.

La pétole qui nous colle à la peau depuis des jours englue le paysage marin et fait ronronner les 27 chevaux du Yanmar de Boisbarbu. A Acitrezza, les gardes cotes nous délogent du mouillage et nous conduisent au quai sale du port d'un village sale, bruyant, animé par le tourisme local, et de peu d'intérêt.

 

 

Lundi 2 Juin

Dans le petit port d'Ognina ou nous comptons faire escale pour le déjeuner, un petit chalutier veut couper la route de Boisbarbu. Je bats machine arrière mais nous nous rapprochons dangereusement pour mon balcon avant. Plus j'accélère en arrière, et plus nous prenons de la vitesse en avant, nous précipitant sous l'étrave en ferraille du chalutier. Heureusement, le pêcheur réussi à nous éviter, tout en nous injuriant. Ouf ! Boisbarbu a perdu sa marche arrière. Le câble de commande de l'inverseur est cassé net. Evelyne doit rester dans la gate moteur pour actionner manuellement l'inverseur. C'est pas top. Heureusement la nuit porte conseil, et je parviens à bricoler une commande provisoire accessible du poste de barre.

 

 

 

 

Mardi 3 Juin

A midi, visite du village de Brucoli aux maisons remarquablement décorées de paysages marins par un peintre figuratif de Augusta. Eole se réveille et nous apporte les satisfactions de glisser sans bruit sur la mer, suffisamment lentement pour que nous embouquions de nuit l'entrée de Syracuse. Boisbarbu va se poser calmement au fond de la baie parmi quelques bateaux de voyage.

 

 

 

 

Mercredi 4 Juin

A nous Syracuse ! Avec les accords de la chanson d'Henri Salvador en tête, nous partons à la découverte de la vieille ville, de son marché et ses étales de poissons richement assorties, de ses rues tortueuses ornées de façades décorées cachant de belles cours intérieures. Nous aimons Syracuse et y sommes bien accueillis par ses habitants aimables et souriants. De retour sur Boisbarbu, nous faisons connaissance avec un jeune couple de Porrentruy (Suisse) accompagnés de leurs 2 jeunes enfants, qui bouclent 3 ans de tour du monde, sur un petit voilier jaune qui lui en est à son 4 ème tour du monde. Etonnant !

 

 

Jeudi 5 Juin

Difficile de se lasser de la vieille ville de Syracuse. Alors on en reprend une piqûre de rappel avant de quitter cette baie célèbre pour mettre le cap vers la pointe la plus au sud de la Sicile : le cap de Porto Palo. Le temps est gris, la mer formée et le vent de Sud-ouest nous impose le ciré et nous fait tirer des bords au près. Sous les grains, le vent forcit à 6. 2 ris sont pris dans la grand voile. Ce sont nos premiers ris cette année, depuis le départ de Préveza. La mer se réveillerait elle en ce début Juin ? 7 heures de mer et de pêche bredouille nous amènent à Porto Palo où nous préférons nous cacher au mouillage plutôt que de rentrer dans le petit port mal abrité de cette mer.

Vendredi 6 Juin

Relâche à Porto Palo, avant de traverser vers Malte, impatients. Mais on n'entreprend pas une traversée un vendredi. Le port s'avère inadapté à accueillir un voilier. Une centaine de bateaux de pêche ainsi que des bateaux tunisiens saisis lors d'un passage de clandestins s'entassent sur les quais et sur les corps morts.

L'eau maintenant à 20° est tout juste confortable pour le bain.

Arivederchi Italia !

Evelyne et Gérard.

 

PS.: Samedi 7 Juin

Dernière nouvelle: partis d'Italie à 5h15 du matin, nous mouillons dans le Blue Lagoon de l'île Gozo de Malte, après une traversée de 62NM en un bord de près tribord amure, par un vent d'ouest de force 6 propulsant Boisbarbu de 6 à 7 N, par une mer agitée à forte. Une impression de puissance et sérénité dans cette traversée d'anthologie. Nous avons croisé de nombreux cargos, porte containers, supertankers, sur leur route de Suez-Gibraltar. Renaud en a profité pour pêcher un magnifique baracuda de 70cm pendant que Renée est nous confectionne assiduement un filet au crochet pour suspendre fruits et légumes dans le carré. Blue Lagoon est un mouillage idyllique ou la couleur turquoise de l'eau contraste avec l'univers bleu profond de la traversée.

 

 

 

retour en haut de page