Boisbarbu a mangé son pain blanc

Mardi 9 Août 2005

Boisbarbu a fait du sud, puis de l'est. Tout ça le vent dans le dos. Facile, avec ce Meltem puissant, souvent 25 à 30 nœuds, qui souffle dans le bon sens. Naviguer au portant, quel pieds, et quelle sécurité, malgré la mer bien formée. Le mois d'Août sera consacré à tout remonter : de Antalya à Bodrum. 1000 milles. Le prés, c'est 2 fois la distance et 3 fois le temps, la coque qui tape dans les vagues, les embruns dans la figure, la voilure réduite, l'inconfort qui empêche de bouquiner ou même de se brosser les dents, la crainte de voir son gréement s'écrouler. Alors on va se la jouer cool, en profitant des fenêtres météo, en partant tôt le matin pour éviter les surventes de l'après midi, en se ménageant de bons repos dans les mouillages les plus beaux qu'on a repérés à la descente, ou en déviant la route au large vers quelques îles grecques.

On a eu des paysages magnifiques, sous les falaises de la baie de Gocek, entre les îlots de la baie de Kekova, sous les hautes montagnes parfois enneigées de la baie d'Antalya.

Les paysages sont ici très sauvages et ont été très peu défigurés par la présence humaine. On mouille souvent sous de hautes falaises de roches déchiquetées, dans des calanques ou fjords encaissés.

Chance : on a pu faire partager cela à des copains : Gérard et Yvonne, Christine, puis Jean-Louis.

Nous souffrons de la chaleur, même la nuit. La température du carré ne descend plus en dessous de 35° et chaque nuit, nous changeons de couchette à la recherche du moindre souffle. Nous commençons par la cabine avant, qui devient intenable en se réchauffant encore de notre présence. Alors on migre vers le carré ou sur les bancs du cockpit.

A quelques pas des mouillages, nous pouvons visiter d'antiques villes gréco-romaines qui donnaient sur des ports astucieusement abrités. Se perdre au lever du soleil parmi ces colonnes, temples, théâtre, agoras, est un petit plaisir, alors que les touristes accédant en bus ne sont pas encore arrivés.

Les marinas nous surprennent par leurs équipements luxueux, leur organisation et le sens du service de leur personnel. Que ce soit à Kusadasi, Bodrum, Marmaris, Kas, Finike, Kemer, ou Antalya, on est pris en charge à notre arrivée dans le bassin du port par un puissant Zodiac qui nous pilote vers un emplacement libre et se charge de nos amarres et de la pendille. Les bornes de quai sont équipées d'eau et électricité bien sur, mais aussi souvent de prises Télé et téléphone. Nous n'avons pas besoin d'essayer 3 prises de courant avant de trouver celle qui marche (comme c'est souvent le cas en France). Au bureau de la marina, l'accueil est chaleureux, parfois avec une boisson, et de nombreux services nous sont proposés (Internet, Laverie, transports,…). L'eau des marinas est propre, transparente. On s'y baigne. Et pour cause : les WCs et douches sont luxueux, ouverts 24h sur 24 et continuellement entretenus dans un parfait état de propreté. Non, ce n'est pas un rêve, mais la réalité des marinas turques. Je ne connais pas l'équivalent dans nos marinas françaises.

Les bains turcs. Oui, on a essayé ça aussi. C'est comme la navigation au prés : Avant on est curieux de connaître. Pendant, on souffre sous les coups répétés que vous assène le soit disant masseur, et on se demande vraiment ce qu'on fait là. Après, on est lessivés, parfumés à la rose et on s'endort paisiblement. Pas besoin de se faire bercer.

Boisbarbu à Marmaris, avec son étai amarré au quai, pour réparer l'enrouleur du génois cassé : Une difficulté était de tenir l'étai en tension tout en démontant le tambour et tube d'enrouleur, sans que le reste des tubes dégringole. Une intervention délicate qui nous a pris 4h de bricolage, finalement couronnée de succès.

Y a-t-il un pilote dans Boisbarbu ? Non, par pour l'instant : toujours en panne, ce qui nous laisse présager des heures de barre pour les semaines qui viennent. J'ai travaillé avec l'entreprise qui fait les pilotes, puis celle qui fabrique les pompes hydrauliques. J'ai peut être trouvé la panne, mais pas les pièces de rechange : des charbons de moteur électrique.

Sinon, on s'est retrouvé avec 20 litres de gasoil dans les fonds du bateau. Odeur entêtante et beaucoup de travail pour le nettoyage des fonds et des coffres. Nous avons retrouvé le responsable: un bris de verre qui a percé un bidon de gasoil. A lire en annexe: "Les facéties du petit Duralex".

La construction d'une goélette de 25 m dans le jardin du futur capitaine, au service des touristes. Ces goélettes sont très nombreuses dans les régions les plus touristiques. Loin de nous importuner, elles embellissent même le paysage.

Construites en méthode traditionnelle, elles sont l'œuvre de maîtres charpentiers. On tombe sous le charme de leurs formes harmonieuses.

La Turquie est un pays qui nous étonne. Très loin de ce qu'on imagine généralement de ce pays. Nous découvrons un pays très moderne, très occidental, et dans un progrès fulgurant. La révolution que Mustapha Kémal (AtaTürk : le père des turcs) y a mené vers 1920, a radicalement transformé ce pays pour le tourner vers un avenir prometteur. La femme turque a eu le droit de vote 10 ans avant la française. On rencontre moins de chador en Turquie qu'à Grenoble D'ailleurs, le voile est interdit non seulement à l'école, mais également à l'université comme dans les administrations. Outre leur gentillesse, leur sens du service, leur sourire, les turcs sont de redoutables commerçants et d'excellents entrepreneurs. L'essor du pays est impressionnant et rapide. Je le compare à l'Espagne des années 80. Eh oui, la Turquie avance très vite. Prends garde, vieille Europe, ne t'endors pas sur tes lauriers, qui deviennent les ombres de ton histoire ! Ayant eu la chance de participer à un projet avec une grande compagnie turque de téléphonie mobile en 1999, j'avais déjà été impressionné par l'organisation et le professionnalisme des équipes et de la gestion du projet. La nouvelle monnaie turque, sortie en 2004, ressemble étrangement à l'Euro…

Les attentats, malheureusement: vous en avez entendu parler, d'ailleurs ils contribuent à quelques désistements de touristes pour la Turquie, ce que cherchent les kurdes. Curieusement, nous étions à Kusadasi 2 jours avant l'explosion du minibus, au supermarché de Marmaris 20 mn après la bombe, et à Antalya 2 mn après l'explosion du camion poubelle. Pour les turcs, la vie continue, comme pour les britanniques du temps de l'IRA, pour les espagnols avec les basques, ou pour les corses avec leurs nationalistes. Nous écoutons de temps en temps les nouvelles sur RFI, après le bulletin marine d'Arielle Cassim (toujours fidèle au poste depuis notre transat de 2000), pour constater comme dit JF Deniau que « plus ça change et plus c'est la même chose »..

A nouveau à deux à bord, nous rencontrons facilement d'autres bateaux, dont les couples deviennent rapidement amis. Des moments intenses, comme si on s'était toujours connus. Et bonjour le Raki. Au premier, on partage ses expériences de voileux, au deuxième, on se raconte ses souvenirs, les yeux embués, et au troisième Raki, on élabore des projets délirants.

 

 

 

 

Bons baisers de Turquie,
Evelyne et Gérard.

 

 

Annexe: Les facéties du petit Duralex

Acte I

Il était une fois, dans un voilier skippé par son propriétaire maniaque, un équipier bien intentionné qui se proposa pour faire la vaisselle. « C’est gentil » pensa le skipper. Par un petit geste de maladresse, l’équipier sympa cassa un verre. « Je ne vais tout de même pas l’engueuler, alors qu’il fait la vaisselle » se dit le skipper. L’équipier confus s’excusa et ramassa soigneusement les morceaux de verre, grands et petits, étalés sur le sol, pour ne pas risquer que des pieds nus ne viennent s’y couper. Il jeta les débris dans la poubelle, pour clore ce petit incident. La journée continua paisiblement son cours, sous un soleil brûlant et au gré d’un vent volage.

Acte II

Deux jours plus tard, le sac poubelle plein fut entreposé dans le grand coffre tribord du cockpit en attendant de pouvoir le jeter aux ordures dans le prochain port.
C’est alors qu’apparaît notre personnage : le petit Duralex. Comme ses frères et sœurs d’infortune, débris et éclats,le petit Duralex n’est grand que de 5 millimètres, a une forme indéfinissable, mais est très fier de ses arêtes affûtées et tranchantes. Issu du bord supérieur du verre, le petit Duralex, bien que fragile, est un peu orgueilleux et pas peu fier d’avoir pu être embrassé goulûment par les lèvres des meilleurs équipiers et des plus belles équipières à l’heure du traditionnel T-Punch ou autre Pastis. Le petit Duralex était bien décidé à ne pas rester immobile dans cette puanteur de poubelle après 3 jours de mer en pleine chaleur. « Je ne vais tout de même pas rester planter là, au milieu de ces détritus de tomates, concombres, noyaux d’olives et autres matières dégradantes. Ca sent trop mauvais. Cette nuit, c’est décidé, je me fais la belle ! ». Copieusement aidé par le tangage, les coups de roulis, les vibrations de la coque, notre petit Duralex se fraie un chemin vers le fond du sac poubelle, au milieu des odeurs de putréfaction. Mais il était prêt à tous les sacrifices puisque au bout de ce calvaire, il aurait la liberté. De ses arêtes affûtées, il tranche sans difficulté la fine paroi plastique de sa prison et découvre l’immense coffre tribord du cockpit de Boisbarbu. Apres avoir visité quelques endroits insolites de ce coffre, il se décide à aller se cacher en lieu sur, pour ne pas attirer le regard félin du skipper et propriétaire maniaque, qui à coup sur, l’enverrait rejoindre ses frères et sœurs pour une exode définitive vers les grandes poubelles du prochain port. Le petit Duralex se décida enfin pour un endroit très calme, bien abrité, sur une plage de polyester bien propre et plate, sous un grand container de polyéthylène bleu.

Acte III

Un mois plus tard, et mille milles plus à l’est, sous une chaleur suffocante, l’air à l’intérieur de Boisbarbu était devenu irrespirable. Que ce soit dans le carré, les cabines, les toilettes, tout s’était imprégné d’une odeur forte et entêtante qui donnait le malaise. Inquiet, le skipper chercha partout l’origine de cette infection peut être même dangereuse. C’est en soulevant les planchers, qu’il vit les fonds remplis d’un liquide jaunâtre, gras et à l’odeur de pétrole. Vite, la pompe de cale pour rejeter à la mer ce liquide nauséabond. Mais plus il pompait, plus le liquide affluait de manière inquiétante. C’était du fuel, dont on se sert pour alimenter le moteur de Boisbarbu. Un jerrican de 20 litres, en polyéthylène bleu, au fond du coffre tribord du cockpit s’était délesté de son contenu, par une petite fente de rien du tout. Sous cette fente dormait paisiblement … le petit Duralex.
Le skipper et son épouse ont donc passé une journée à vider le bateau et ses coffres pour nettoyer les fonds et tous les objets qui avaient été infectés par le fuel. L’odeur est difficile à éradiquer. Les 2 spinakers sont tachés par le fuel et sentent meme après avoir été utilisés au vent.
L’équipier bien intentionné ne connaîtra pas la conséquence lointaine de l’incident.

Morale

Sur un bateau, il faut tout anticiper. La moindre négligence peut prendre des proportions désastreuses, pouvant mener jusqu’au naufrage pur et simple, par un enchaînement de circonstances qui s’accumulent au moment ou on s’y attends le moins.
Cette histoire, vous ne l’entendrez pas racontée par les skippers qui ont l’habitude de louer des voiliers, ni par ceux qui naviguent sur le voilier d’un club ou d’une association, car il faut vivre des mois sur un bateau pour faire la corrélation entre une avarie « inexplicable » et les causes aussi anodines soient elles.
Si vous ne voulez jamais connaître de petits Duralex, alors ne devenez jamais propriétaire d’un bateau. Vous deviendriez aussi, avec le temps, au fil des expériences, un skipper maniaque et pénible avec ses équipiers.

 

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