Boisbarbu au sud-ouest de la Turquie
Lundi 11 juillet 2005
Voilà bientôt 45 jours que Boisbarbu est à nouveau en mer, dont 20 jours de traversées en équipage, une semaine en solitaire et 2 semaines avec Evelyne.
Le rythme de la mer est pris. On ne peut déjà plus parler de vacances, mais d'un mode de vie différent, celui de la mer. Un mode de vie qui nous imprègne de jour en jour au rythme des quarts, des mouillages enchanteurs, des manœuvres cent fois répétées, des arrivées dans les ports, des couchers de soleil, de l'adrénaline du gros temps ou des rochers trop proches,…
Oui, le rythme est pris, pour Evelyne aussi, qui a rapidement retrouvé ses marques, ses appuis, ses gestes machinaux, pour hisser la grand voile, border le génois, barrer à la vague, mijoter la tambouille à la gite, porter l'amarre à terre, plonger dans l'eau chaude d'une anse ensoleillée, et se laisser bercer par le doux clapot du mouillage.
Ma semaine seul avec Boisbarbu a été une belle expérience. Expérience de navigation, de manœuvres, d'attention et d'anticipation, mais aussi une expérience de solitude et de réflexion. Seul sur un bateau : l'ambiance est de suite différente, aussitôt sorti du port ou je laisse mes 3 copains de la traversée. Il y a tout à faire, mais surtout anticiper, comme dans une partie d'échec ou il faut penser plusieurs coups à l'avance, si on ne veut pas se retrouver dans une situation inextricable, par exemple face à un récifs toutes voiles dehors, ou avec un vent qui est monté si fort qu'on arrive même plus à affaler, ou mille situations qui ne sont pas répertoriées dans le manuel mais qui vous arrive de toute façon, au moment ou vous vous y attendez le moins. Et puis surtout, ce souci constant de ne pas passer par-dessus bord, sous le regard des rares goélands qui seraient alors les seuls témoins de ce fait divers. De Kusadasi, je suis monté vers le nord. Le Meltem soufflait fort cette semaine là : 25-30 N avec rafales à 43 N ! J'en ai donc profité pour travailler et répéter de nombreuses manœuvres qu'il m'intéresse de maîtriser. Tout se passe bien tant que je suis au large, même par vent fort. Ca se complique quand on approche la terre, et en particulier pour les manœuvres de port en solo, par un vent de travers qui vous déporte sur des obstacles ou vous n'auriez pas prévu d'aller.
Evelyne à bord : tout redevient si simple et si doux. Elle connaît tellement bien Boisbarbu qu'elle ressent toutes ses réactions jusqu'au bout de ses doigts de pieds. Nous nous complétons bien et les manœuvres sont parfaitement orchestrées, sans pour autant avoir besoin d'aucun mot. Un simple regard suffit pour décider d'une manœuvre à mener, et la suite en découle naturellement. Bon, il y a bien un coup de gueule de temps en temps, quand il m'arrive d'oublier que mon équipière est aussi mon épouse.
De Kusadasi, le long de la cote Carienne, hyper bétonnée sous forme de villages de vacances trop voyants. Le peu de villages que nous ayons pu visiter sont sans caractère, et décevant par rapport aux villages Croates où nous étions en 2004. Puis, nous avons fait du sud, vers Bodrum : ville superbe, tournée vers la mer, très touristique, que nous prenons le temps de visiter et goûter. L'escale se passe en visites, courses, bricolage, laverie, nettoyage du bateau.
Bodrum est aussi le centre d'architecture et de charpenterie pour la construction des caïques : magnifiques goélettes ou ketchs en bois verni, qui sillonnent les golfes avec des groupes de touristes pour quelques jours. De nombreuses formules de location existent. Tous ceux qui l'ont pratiqué en sont enchantés.
Au sud de Bodrum, nous nous enfonçons dans le golfe de Gokova, ciselé comme une feuille de fougère sur 300 km de cotes. Ces cotes là sont désertes, sauvages et entourées de hautes montagnes abruptes. Aucune construction ne vient dépareiller l'environnement rocheux et boisé. C'est superbe, et nous nous étonnons de ne rencontrer que très peu de voiliers dans de si beaux sites, tout au plus un ou deux voiliers par jour.
La plupart de nos nuits au mouillage se font seules. Nous apprécions le calme de cette solitude comme un privilège rare.
Ici, Tea Time …
On l'appelle la cote Carienne. Bien ventée, toujours par ce fameux Meltem, qui a tout de même la délicatesse de s'apaiser un peu la nuit. Nos journées sont de très belles heures de navigation, avec un bateau qui aime surfer sur les vagues. Un peu plus dur quand on revient vers l'ouest, au près contre ce Meltem de force 6-7. Les mouillages sont tous de type « cocotier ». Vu les grandes profondeurs des cotes très acores, nous mouillons notre ancre par 10 ou 15 m d'eau et culons vers la cote pour y porter 2 amarres que nous nouons solidement autour d'un rocher ou d'un arbre. Je suis à la chaîne de mouillage, Evelyne à la barre, puis à l'approche du rivage, je remplace Evelyne à la barre, qui plonge de la jupe arrière avec l'amarre entre les dents pour aller faire son nœud de chaise autour d'un arbre. Une fois Boisbarbu stabilisé, je me charge de la deuxième amarre, en utilisant l'annexe. Ah, si j'avais mieux appris à nager à l'école !...
Les avaries de la semaine (il en faut bien quelques unes pour nous tenir l'esprit en éveil) :
Mi juillet s'ouvre devant l'étrave avec d'autres golfes, d'autres clairs de lune, d'autres imprévus, chaque jour qui nous est donné.
Bons baisers de Turquie,
Evelyne et Gérard.