Minorque

Le projet est simple: découvrir Minorque en détails. Nous l'avions raté en Octobre 2000, puis négligé en 2001 au retour de notre année sabbatique. Septembre devrait être une excellente période, puisque la plupart des touristes auront repris le chemin du travail et déserté les criques de Minorque.

Samedi 31 Aout: Départ de Port St Louis, non sans une certaine émotion. La digue menant à la mer, ou courait Samuel avec Pierre sur le dos, se débattant contre les moustiques en Octobre 2000, nous rappelle notre grand départ. On envoie les voiles, Près bon plein. Ca file à 7,3N.

Au coucher du soleil, on croise le grand multicoque Orange, avec Bruno Peyron seul à bord, qui remonte au nord-est. Nous apprendrons plus tard qu'il démâtera pendant le coup de vent de la nuit. Le vent forci à 35 puis 40 N alors que la mer se forme. Evelyne dort, je reste à la barre tard dans la nuit. Les 2èmes et 3èmes ris sont pris. On est à 150° du vent, tribord amure. Le bateau surf et file à 9N, toujours au-dessus de 8N. Des surfs à 12 ou 13 N. Je suis toujours en équilibre très instable entre les départs au lof probables et l'empannage destructeur. Le frein de bome joue une fois son rôle salvateur. Aucun empannage, mais de nombreux départs au lof tant les vagues sont puissantes, hautes de plus de 5 m et rapprochées. Elles sont par séries de 5 ou 6 et pas seulement de 3 comme on en a l'habitude. Le travail à la barre est difficile. Il demande beaucoup de réactivité et de grands mouvements. Ce Golfe du Lion est redoutable et nous rappelle douloureusement cette nuit d'Octobre 2000 ou Laurent a eu son accident. Après 10 heures de barre, mes réflexes s'émoussent. Dans les étoiles, je décèle la présence d'Olivier, disparu cet été.

Au lever du soleil, tant attendu, on amène la grand-voile et mettons le pilote sous génois seul. Je peux dormir une heure. Le vent se calme, on aperçoit Minorque. Quel bonheur, quelle fatigue. L'entrée dans la baie de Fornells est impressionnante. Les rouleaux de la mer déchainée s'y engouffrent en nous y poussant de manière irrémédiable. Aussitôt la barre passée, tout se calme, plus de mer, plus de bruit. Juste la perspective langoureuse d'un sommeil mérité. Nous mouillons dans la Cala de Bufereta, en baie de Fornells. 208 milles parcourus en 30h.

Lundi 2 Septembre: Réveil, seuls au mouillage, après 11 h d'un sommeil de plomb. Matinée hyper cool dans cette étendue protégée qui nous rappelle les trous à cyclone, bordés de mangrove, de la côte sud de Grenade. La forte houle nord du large forme un ressac chaotique à l'entrée de la passe de Fornells. Visite du village, propret. Quel bonheur que de reprendre les habitudes du bord. Nous avons le sentiment que l'année à Grenoble ne fut qu'une brève parenthèse au milieu de notre vie de navigation maintenant retrouvée. Cette année sabbatique nous a profondément marqués. Les réflexes marins reprennent leur place.

Mardi 3 Septembre: J'envoie le spi asymétrique sur mon nouveau bout dehors, fabriqué en carbone grâce à l'aide et au savoir-faire de mon ami Jean-Claude. Nous trouvons un abri dans la Cala Algayarens ou nous avions mouillé en 1999 avec Marc, Raymond et Christian, en convoyant le bateau de Lorient à Marseille. Nous captons clairement Monaco Radio, sur cette côte nord de Minorque.

Mercredi 4 Septembre: La nuit était illuminée par des orages au nord, dans le Lion. Belle navigation vers l'ouest, voiles en ciseaux, génois tangoné. Pourquoi n'a-t-on pas plus utilisé cette allure aux Antilles. Le tangonage est si simple. Nous amarrons dans l'anse Busquets à l'entrée de Ciudadella. Aidé pour l'amarre à terre par un suisse, un tdm avec petits enfants sur un Trismus 37, du nom de Stellina. Un ressac continuel agite cette rade, rendant dangereuse l'approche en annexe qui peut exploser au contact des rochers acérés. La visite de Ciudadella nous rappelle notre passage de l'an dernier. Mais une ville est surtout belle la première fois qu'on la visite et quand on s'en souvient.

Jeudi 5 Septembre: Après une savante manœuvre sur les aussières à terre, nous quittons Ciudadella toutes voiles dehors, au près vers le sud, pour contourner le cap Dartuixt au sud-ouest de Minorque. Nous abattons vent arrière le long de la côte sud et mouillons par 5m dans la Cala Turqueta.

Vendredi 6 Septembre: Le vent du nord a refroidi l'atmosphère. Ce matin, pour la 1ère fois, je trouve de la rosée sur le pont. Nous plongeons vers les grottes ouest de la Cala. De nombreux poissons. En annexe, nous découvrons les calanques Macarella et Macarelleta, splendides. Le sentier pédestre panoramique rejoint la plage naturiste de Macarelleta. Evelyne qui rejoint Boisbarbu à la nage, réussi un rétablissement sur la jupe arrière, car l'échelle de bain n'avait pas été mise à l'eau.

Samedi 7 Septembre: Mouillage à la cala Mitjana, superbe avec ses 2 plages sans constructions. Nous partons en annexe légèrement dégonflée, sur une mer calme. A 10m de la plage, un rouleau imprévu nous prends par le travers et nous retourne alors que le moteur hors-bord tourne encore. On est sous l'eau, la sécurité du moteur, accrochée à mon poignet s'arrache du contact. Mais le cylindre moteur est sans doute déjà plein d'eau. Mon téléphone Nokia aussi. Retour immédiat à bord pour réparations. Démontage complet du moteur et du téléphone. Rinçage à l'eau douce, WD40, séchage, remontage et essais. Hourrah ! Ca marche. Le téléphone, lui, est grillé.

Nous partons pour la Cala Delgada, pour un mouillage inconfortable, rouleur. On en attrape mal au cœur. Vite au lit. La nuit est longue dans ce roulis rythmique incessant.

Dimanche 8 Septembre: Partis de cette cale après la météo de 9h03, nous essayons la cala Trebalujer, mais sans succès. Il faut nous rendre à l'évidence que toutes les calanques de la côte sud sont balayées par les vagues, donc impraticables au mouillage. Nous filons donc sud-est, au près bon plein, à plus de 7N, vers la pointe est-sud-est de Minorque. On course un autre voilier, ainsi qu'un Feeling 1090 suisse. Boisbarbu prends largement la supériorité J Je le sens bien sous la main, et la vitesse se construit, pour finalement creuser l'écart. Nous mouillons au nord de l'ile d'Aire, par 5m, dans une crique très abritée du vent de sud, sous le phare d'Aire. On se croirait dans un mouillage des Antilles, ou plutôt des Bahamas J . Je relis d'une traite Le Petit Prince. Violente émotion come lors de ma 1 ère lecture, à 16 ans. Et puis je pense beaucoup au petit Olivier, sur son étoile. La nuit, on ne regarde plus le ciel de la même manière. A la relecture du livre de bord "Le Retour", le souvenir de notre grande aventure nous submerge.
L'île est déserte, mais peuplée de milliers de lézards noirs et de quelques "animaux à grandes oreilles".

Lundi 9 Septembre: Baignade dans les rocailles de cette petite baie. La chaine et l'orin sont entrelacés dans les rochers déchiquetés. Difficile de quitter le mouillage quand le vent d'ouest se lève. On assiste à une démonstration de 6 avions de la patrouille d'Espagne. De multiples loopings et figures. Nous mouillons dans la Cala Coves. Splendeur de Minorque. Très encaissée, elle se sépare en 2 bras entourés de troglodytes, pour certains habités par des vacanciers baba cool. Mouillage avec embossage sur un rocher, dans le bras est. Nous sommes le seul voilier devant cette plage de nudistes. Quelle liberté que d'être ici. Le vent tombé avec la nuit, les bruits des vagues, du clapot, prennent une dimension différente.

Mardi 10 Septembre: Ce mouillage est une merveille. Nous sommes isolés de la liaison VHF: pas de météo. Le Sun Fast 32i venu mouiller à côté de nous, a été poussé par le vent et n'est plus qu'à 1m de la coque de Boisbarbu. Il se libère de son aussière à terre, que je vais lui rechercher en annexe. Les grottes sont peuplées de milliers de poissons. 4 voiliers viennent mouiller. J'aide un ketch catalan à porter une amarre à terre. Plusieurs bateaux explorent le mouillage et repartent, jugeant l'endroit trop délicat. Des falaises je mitraille Boisbarbu sous tous les angles. Ah, qu'il est beau notre bateau ! Un vieux gréement suédois Astrid Finne, tout accastiller de bois, exécute une belle manœuvre d'amarrage. Mais il est sur mon orin. De nuit, un voilier italien Adelante, mené par un jeune couple, arrive pour un amarrage délicat. Je vais les aider à l'amarre à terre. Ils sont étonnés et confus de mon aide. Nous nous faisons la réflexion que beaucoup de gens manquent de simplicité et d'humilité pour se faire aider. Peut-être avons-nous appris cela dans notre périple, avec l'éloignement qui suscitait l'entraide et la solidarité entre plaisanciers.

Mercredi 11 Septembre: Comme d'habitude, nous sommes les premiers levés. Astrid Finne part. Les italiens de Adelante dorment encore. Je vais embosser leur aussière sur le rocher, avant un savant jeu de prusik pour libérer ma chaine. Après un bord sous spi, nous mouillons dans la Cala Trabalujer. L'anse est ouverte et sablonneuse. En annexe, nous partons explorer la petite rivière au nord-ouest, au milieu des marécages et des roseaux. Nous sommes dans un autre monde: rivière amazonienne, comme Indiana Jonse. Des petits poissons sautent devant l'annexe, puis des gros se cachent sous le vesson flottant. Des centaines de libellules copulent, un héron est à la recherche de sa proie, des poules d'eau, canards, un hibou, … Les roseaux se resserrent et ralentissent notre progression à la pagaie. Le silence, le calme, tranchent avec l'agitation de la mer. Puis une belle plongée sur les rochers ouest: de nombreux beaux poissons. Le ketch d'hier arrive au mouillage. Comme chaque soir: diner dans le cockpit. Pas encore pris un repas dans le carré. Quel plaisir que de profiter du grand air, des étoiles, et de la lune qui grossit jours après jours.

Jeudi 12 Septembre: Pas de vent pour rejoindre la Cala Canutells: charmant petit port aux barques de pêcheurs. Belle plongée dans les rochers. Toujours au moteur, nous reprenons la mer en longeant les falaises truffées de grandes grottes, avant d'entrer dans la Cala Binibeca en tournant bien la pointe des Ponts. Le village pour touristes est assez quelconque. Tiens, il tonne, l'orage arrive.

Vendredi 13 Septembre: Après une nuit calme, l'orage arrive sur Binibeca. Les éclairs se rapprochent. Violentes rafales. Je débranche toutes les antennes, et coupe le panneau électrique. Boisbarbu fait un 360° sur son ancre. L'orage n'est pas passé loin. Une navigation tranquille nous mène à la passe nord de l'ile de Colom ou nous mouillons dans l'anse la plus au sud-est: Santa Playa. Promenade sur l'ile où il y a un puits, un jardin, une ancienne maison. Le vent du nord se lève et nous devons déguerpir pour Mahon. On repasse la ponte Espéro vers le sud et empannons pour rentrer dans la passe de Mahon, pour embouquer l'étroite Cala Teuleura. Evelyne dit sentir la continuité avec notre voyage sabbatique et de réduire le temps passé à Grenoble.

Samedi 14 Septembre: Un beau ketch britannique vient mouiller sur bâbord: Moeranga. Après une bonne douche, nous quittons le mouillage, pour visiter la rade de Mahon dans toutes ses criques de la côte sud. Passons le canal du Lazaret et rentrons dans les Calas Pedrera, Fonts, Corps, Figuera, puis dans le port de plaisance. Plein d'eau, puis amarrage à l'ilot Clementina (ponton flottant, à l'est de l'îlot Pinta). Visite de Mahon et courses au supermarché sous le cloitre de l'église.

Dimanche 15 Septembre: Nous attendons Renaud et Renée avec impatience. Ils arrivent sur le pont supérieur de l'énorme ferry Murillo, en provenance de Palma. Je vais les chercher en annexe. Une heure plus tard, ils sont à bord, fatigués, car ils n'ont pas dormi de la nuit. Nous quittons Mahon pour mouiller dans la calanque de Coves avec 2 amarres à terre que Renaud va porter à la nage, pendant qu'Evelyne fait filer la chaine. Renaud ne manque pas d'installer une ligne de pêche pour la nuit.

Lundi 16 Septembre: Ce matin, il fait frais, et très humide. Renaud pêche une petit Sarre. Balade au nord de la calanque et cueillette d'un brin d'olivier ! Mal de dos persistant: je recommence le Feldène. Sous spi asymétrique, nous croisons un grand clipper 5 mats: Star Clippers battant pavillon bleu et blanc et un lion rouge ? Mouillage dans la Cala Mitjana par un temps gris. Le français piquassiette de l'autre jour essaie de nous taper quelques euros. Etrange personnage, imprévisible.

Mardi 17 Septembre: Après une mauvaise nuit (mouillage rouleur), nous quittons cet endroit à 6h du matin. Une escale à Ciudadella nous reposera. Renaud pêche à la traine, Renée et Evelyne à la lecture, et moi au réglage du génois tangonné. Mouillage dans la Cala Morell, au pied d'un joli village de belles villas. Renée restée seule à bord, a ressenti l'heureuse sensation d'être seule sur le bateau :)

Mercredi 18 Septembre: Après un nettoyage du pont à l'eau limpide de ce petit port, nous quittons le mouillage à la voile. Le temps de s'éloigner des falaises qui rendent cette brise matinale capricieuse, et nous voici au près, bien réglé. Boisbarbu est équilibré et garde sa direction, à la surprise de l'équipage, et à leur inquiétude pendant que j'écris ces lignes. Quelques virements de bord d'entrainement au près serré pour approcher la Cala Pregonda, défendue par un ilot et des récifs. Nous contournons et mouillons au milieu d'un petit cirque de récifs rouges. Splendide. Plongée sur des bancs de saupes (rayés de jaune), girelles (petits perroquets bleus), sarres (plats et brillants), aublades (collier noir sur la queue), rouget (gris, sur le sable, à moustaches). Quelle chance de faire ce dernier mouillage dans ce superbe décor. Nous rangeons l'annexe, briefons Renaud et Renée sur la sécurité pour la traversée et préparons le bateau. Départ prévu demain à 5h du matin. Coucher de soleil sur ce dernier mouillage de vacances qui furent fort belles, seuls, comme avec les copains. C'est avec regret que nous quittons ces lieux, et surtout ce rythme de vie. Adios Minorca !

Jeudi 19 Septembre: Renaud nous réveille. Nous quittons le mouillage au travers des récifs, sous les étoiles. Nuit noire et cap au nord. Au lever du jour, on croise un dauphin, mais c'est la pétole. Vers midi, un objet flottant nous intrigue. Il est bardé de polystyrène et surmonté d'un arbuste, comme pour être repérable. Renaud voudrait l'ouvrir par curiosité. Nous pensons que c'est un colis de drogue, largué par des trafiquants. Il est peut-être équipé d'une balise, ou d'un explosif ? Alors à regret, nous le laissons à l'eau. Quelques heures de spi en fin de journée, pour nous distraire et nous donner espoir de naviguer. Renée prends un bain dans la grande bleue. La nuit très humide se déroule sur une mer d'huile, au son abrutissant du moteur.

Vendredi 20 Septembre: Les quarts de nuit se terminent. Tout le monde sur le pont vers 7h30. Alternances de soleil et de brumes. Le ciel est laiteux, plombé. Evelyne et Renée se baignent dans cette mer d'huile. La ligne de traine armée d'un beau rapala acheté en Floride, reste bredouille. Dans l'après-midi, un hélico de la gendarmerie nous survole à 15m sol. Il lit le nom du bateau et nous fait signe de la main. Vers 18h, on peut envoyer le spi propulsé par un dernier thermique, jusqu'au banc de la Gracieuse, à l'entrée du golfe de Fos. On arrive de nuit au bassin des Tellines et nous amarrons à couple d'un catamaran suisse. Tout est calme, sauf les moustiques de Port St Louis, toujours fidèles au poste.

Samedi 21 Septembre: Journée de nettoyage et rangement. Sortie de l'eau. Nous quittons Port St Louis dans la soirée pour aller diner chez Jean-François et Christiane dans le Lubéron.

 

 

 

 

 

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