Mai 2001 - Préparation
de la traversee de l' Atlantique nord
Le skipper est anxieux. Son remède: plannifier !
L' itineraire
Voulant courroner notre navigation
outre Alantique par Puerto Rico, la Republique Dominicaine et les Bahamas, je
devais faire la route du retour a partir de la Floride. L' itineraire est moins
couru que les Antilles - Bermudes, mais me parait beaucoup plus interessant
et varie. Nous partirons de Fort Pierce (sous Cap Canaveral), remonterons au
nord, pour toucher des vents d' ouest. De 28 degres de latitude, il nous faudra
remonter jusqu' au 40 eme parallele avant d' abattre vers l' est. Nous resterons
sur le 40 eme, afin d' utiliser les depressions Atlantiques pour nous porter
jusqu' au nord des Acores, ou nous ferons cap sur le port de Lajes dans l' ile
de Flores, la plus occidentale de l' Archipel des Acores. Environ 2800 miles.
Pres d' une fois et demi la traversee par les Alizes.
Cette traversee retour a peu de chose a voir avec la Transat des Alizes :
- Les vents seront moins reguliers,
en force comme en direction. Nous aurons de la petole, des coups de vent, et
je l' espere pas de tempete. En raison des depressions et des fronts froids
qui se succedent, ces vents tourneront rapidement autour de Boisbarbu, qui devra
naviguer a toutes les allures.
- La meteo, nous reservera plus de surprises, de la pluie, du brouillard.
- Les bulletins meteo de RFI, ne couvriront pas notre parcours entre la Floride
(80 deg West) et la zone Ridge (45 deg West). Nous tenterons d' interpreter
les cartes meteo fax, afin d' optimiser notre itineraire en fonction des trains
de depressions.
- La temperature sera plus basse. pensez qu' a la longitude 60W, nous traverserons
la zone limite de derive des icebergs en Juin dans l' Atlantique nord. Oui,
c' est surprenant a la latitude de Philadelphie ou de Lisbonne, mais c' est
pourtant vrai. Patrick se renseigne a ce sujet. Il a deja de bonnes indications
dans le Pilot Chart.
- La presence du Gulf Stream sur la moitie du parcours, sera un avantage car
il court parfois a 3 noeuds, mais peut etre aussi un dangereux piege: par vent
contre courant, il souleve des mers impossibles.
- L' equipage sera moins confirme que Jacques D. et Yves H. De plus Evelyne
ne sera malheureusement plus a bord, puisqu' elle a choisi de m' attendre aux
Acores, qu' elle aura joint en avion, afin de ne pas revivre les nuits d' angoisse
qu' elle a connu dans les Alizes. Elle a pourtant acquis une perception et un
feeling tres fins des comportements de Boisbarbu. Toutefois, Patrick ayant passe
3 sejours a bord de Boisbarbu, le connaît bien.
- Nous serons mieux approvisionnes en eau, au depart de la Floride, que nous
ne l' etions en partant du Cap Vert.
- Une avarie detectee en Floride pourra plus facilement se reparer.
- Le risque de collision avec un growler (possible vers le 50eme degre West),
ou avec un container, qui sont plus courant dans l' Atlantique nord.
- La presence d' autres navires, rassurante en cas d' abandon de Boisbarbu,
mais exigeant plus d' attention dans les veilles.
- Nous aurons un moteur en etat de marche, et un etai en bonne sante, mais d'
autres avaries nous surprendront certainement durant cette traversee.
L' equipage
Des le debut du projet, Gerard, Patrick
et Yves se sont de suite "inscrits" pour cette traversee. Ils etaient
tres interesses pour participer a notre periple, dans une partie "sportive".
Ils etaient egalement volontaires pour m' aider a ramener Boisbarbu afin de
pouvoir boucler le voyage. Leur proposition ne m'a pas etonne car je les connais
pour etre des amis fideles, sur qui j' ai toujours pu compter. Ils n' ont pas
tous une grande experience de voile, mais ce sont des costauds, tenaces et endurants.
Patrick a une longue histoire de voile, Yves est un excellent equipier et a
deja traverse l' Atlantique dans les annees 70. Gerard a fait de nombreux raids
en planche a voile (Tour de Corse, Archipel des Dalmates). Ils sont de solides
montagnards, et ont l' habitude d' affronter le mauvais temps, le froid, la
faim, la fatigue. Et puis, ce sont mes meilleurs amis, et je sais qu' en toute
circonstance, le groupe fera corps. L' entraide et la solidarite seront maitres
a bord, meme si le fort caractere de chacun laisse presager de belles engueulades.
Bref, un equipage de solides amis.
Le planning
Voici le planning que j' ai prevu.
Mais la date d' arrivee est bien sur tres aleatoire. Comme tout planning, il
subira de nombreuses modifications. Il est la pour que nos familles nous imaginent
dans ce grand bleu, et pour nous, pour comparer notre realite a nos desirs.
Je prevois 20 jours de traversee. Le depart est prevu pour le 3 Juin, mais nous
attendrons la bonne fenetre meteo qui nous fournisse un temps favorable pour
la premiere semaine, ou il faut sortir du Gulf Stream, avant le passage de notre
premier front froid.
Waypoints Latitude Nord Longitude Ouest
Jours
1 Fort Pierce (Depart de Floride) 27% 28' 80% 18' 0
2 large de Jacksonville (Floride nord) 30% 79% 1
3 large de Cap Fear 34% 75% 4
4 large de l' embouchure du Potomac 37 70 6
5 large d' Atlantic City (Delaware) 39 65 8
6 latitude de Philadelphie (New Jersey) 40 60 10
7 zone de possibles icebergs 40 50 13
8 longitude du Groenland 40 40 16
9 longitude entre Groenland et Islande 40 32 19
10 latitude du nord de Lisbonne 39% 23' 31% 10' 20
Ce planning a ete modelise par le logiciel Passage Planner (de Digital Wave), enfonction des statistiques de vent et de courants au mois de Juin (les Pilot Charts), ainsi que des caracteristiques de Boisbarbu.
La preparation de Boisbarbu
Boisbarbu etant en excellent etat, et ayant ete menage et regulierement entretenu
pendant ces dernieres semaines, sa preparation sera minimum. Les points suivants
sont toutefois a couvrir avant le depart :
- Inspection complete du greement (haubans, pataras, etai, barres de fleche,
)
- Reglage de l' enrouleur de genois et du pataras
- Mise en place de l' etai largable
- Raccourcissement des drisses et filins presentant des signes d' usure
- Verification des feux de navigation et de tous les instruments
- Verification du mecanisme de barre et du pilote
- Carenage de la coque et de l' helice
- Pleins d' eau potable, de fuel, et de gaz
- Avitaillement en nourriture
- Calage et fixation des bouteilles de gaz
- Revision moteur, vidange et changement des filtres
- Mouillage enleve de la baille a mouillage
- Verification des fermetures de portes d' equipets
- Blocage des coffres du cockpitt
- Essais du fax meteo
- Etancheite des aerateurs de panneaux
- Preparation des sacs etanches de survie
- Verification des equipements de securite
- Pliage de l' annexe, du moteur hors-bord, et du bimini
La preparation de l' equipage
L' equipage est super motive. Je
comprends par leurs messages que leur preparation psychologique est intense.
Ils se plongent dans les numeros speciaux de Voiles et Voiliers et se sont reunis
plusieurs fois, avec l' aide d' Yves Habauzit qui a pu leur apporter toute son
experience de la traversee par les Alizes.
A distance, j'ai encourage mes equipiers, a reviser leurs notions de voile et
en particulier les points suivants:
- Les allures du bateau, par rapport
au vent (pres serre, pres bon plein, petit largue, travers, largue, grand largue,
vent arriere)
- Le reglage des voiles a chacune de ces allures
- La maniere de barrer a ces allures
- Les avantages et inconvenients de ces allures
- Le virement de bord
- L' empannage
- La prise de ris
- La cape
- La fuite
- Les navires de nuit : reconnaissance, direction, route de collision.
- L' utilisation de l' energie et de l' eau douce
- Les nuds : de chaise, en huit, plat, tour mort et demi clefs, cabestan
- Le vocabulaire. Voici une liste de tous les noms avec lesquels l' equipage
doit etre familier : babord, tribord, etrave, poupe, jupe, safran, quille, pont,
cockpitt, etai, pataras, hauban, galhauban, genois, foc de route, tourmentin,
drisse, ecoute, bosse de ris, drosse d' enrouleur, hale bas, balancine, chute,
guindant, bordure, chariot d' ecoute, cadene, chaumard, bome, tangon, balcon,
filiere, chandelier, border, etarquer, choquer, loffer, abattre, adonner, refuser,
cap vrai, cap magnetique, vit de mulet, coulisseau, manille, manillon, mousqueton.
Des leur premier jour a bord, je completerai
leur formation sur:
- La vie a bord
- L' utilisation, mode d' emploi du bateau
- L' entretien
- La Securite,
- L' evacuation dans la survie,
- Le Pilote automatique,
- La Navigation,
- Le GPS,
- Le Radar,
- La VHF,
- La BLU,
- La meteo
- Le point
- Les quarts
avec de nombreux exercices pratiques
sur :
- Les allures
- Prises de ris
- Regles de barre
- Foc de route et etai largable
- Empannage
Ils se sont repartis les taches concernant l' avitaillement en nourriture (indispensable au moral des troupes), la pharmacie, les trajets en avion, les visas (c' est pas de la tarte de rentrer aux USA sans billet de retour), l' equipement personnel,
A titre indicatif, voici la liste d' equipements personnels de chacun:
- Un sac de voyage souple et leger.
- Maillot de bain
- Quelques t-shirts
- Une chemise legere a manche longue (sous le soleil, on se fait bruler les
bras)
- Short
- Des fourrures polaires : l' ideal etant un collant et un haut en capilene
ou Odlo leger, que l' on recouvre d' une ou deux couches de fourrures polaires.
Un pantalon polaire peut etre utile. Eviter le djin (mouille le premier jour,
et plus jamais sec jusqu' aux Acores)
- Creme solaire,
- Lunette de soleil
- affaires de toilettes (savon douche/shampoing liquide : le seul qui lave a
l' eau de mer, serviette),
- rasoir mecanique
- mousse a raser
- medicament contre le mal de mer (Nous avons deja du MerCalm),
- medicaments personnels,
- pommade anti-moustique, si vous craignez ces bestioles
- Cire (veste de quart et pantalon). Je peux vous en preter, mais de pietre
qualite. Alors si vous pouvez en emprunter sur Grenoble.
- Sac etanche : en cas d' evacuation rapide du bateau, il faut avoir prepare
ses affaires perso indispensables dans un sac etanche. J' en ai pour les affaires
du bateau. Vous pouvez peut etre prendre un ou 2 sacs etanches pour vous 3.
- Equipement de securite : j' ai tout ce qui faut a bord : gilets, harnais,
lampes eclats, cialumes. Meme une balise de detresse (ca tranquilise l' esprit).
- lampe frontale avec une ampoule de rechange et plusieurs piles neuves (on
ne trouve pas de pile 4,5 v aux US). On se sert de la lampe frontale pendant
les quarts, et pour vivre/lire a l' interieur. L' eclairage interieur est allume
avec parcimonie pour laisser l' energie aux instruments.
- des chaussures ne craignant pas l' eau, pas de semelle noire qui laissent
des traces sur le pont : le mieux c' est les docksides, ou des tennis avec des
semelles BLANCHES. Reservees au bateau. Prendre d' autres chaussures pour voyager
et aller a terre.
- Des chaussettes, dont une paire un peu chaude.
- Un bonnet
- Des bottes : si vous en avez, oui. Sinon, ca ne me semble pas utile d' en
acheter expres.
- Un sac de couchage ne craignant pas trop l' humidite. J' ai colmate toutes
les fuites, mais d' autres peuent apparaitre pendant la traversee.
- Une taie d' oreiller.
- Votre passeport, valide encore 3 mois.
- Permis de conduire pour la voiture de loc en Floride
- Carte bancaire internationale
- Un bouquin. On lit peu en traversee. Et puis il y a une belle bibliotheque
de bord, plutot orientee mer et montagne.
- Appareil photo si vous voulez garder un souvenir (j' en ai pas, mais j' aurai
la camera d' Evelyne).
Bon, je crois que tout est pret. Il ne
nous reste plus qu' a larguer l' amarre, hisser la voile, border l' ecoute...
Souhaitez nous "Bon vent !".
A bientot, aux Acores.
Gerard
Juin 2001 - L Atlantique
a laissé passer Boisbarbu
Partis de Fort Pierce (Floride) le Dimanche 3 Juin a 7h du matin, Boisbarbu
a mouillé dans le port de Lajes (ile Flores, la plus occidentale des
Açores) le Samedi 23 Juin à 5 h du matin, après une navigation
de 2800 miles (soit 5200 km). Le temps a été clement et les conditions
météos relativement favorables: des vents modérés
et portant, devenant frais les derniers jours (force 6 à 7). Apres une
longue remontée au large des côtes americaines, jusquà
la latitude de New York, nous avons mis cap à l est, traversé
les zones froides de lAtlantique et atteint les Açores sans grandes
difficultés. Léquipage est heureux et en bonne forme. La
bouteille de Champagne est vidée. Boisbarbu se porte bien, Merci !
Le temps
Très chaud (35 degres et 28 degres pour la mer) la première semaine
avec des vents faibles. Chaque soir, dénormes cumulonimbus se développaient
et généraient des orages violents actifs très tard dans
la nuit. Nous mettions toute notre ingéniosité pour éviter
ces bombes électriques. Pommade solaire obligatoire pour léquipage.
On va même jusquà mettre Boisbarbu en panne pour se baigner
dans cette grande piscine de 5000 m de profondeur. Les quarts de nuit se prenaient
en maillot de bain. 8 jours de "pétole". La "petole"
est le type de temps qui rends le marin de mauvaise humeur: peu ou pas de vent,
une mer dhuile ou de la houle qui roule le bateau et fait taper le gréement
et les voiles, le loch qui avance peu, un ciel bleu ou laiteux dans une chaleur
moite. Oui, nous étions prêts à tout dans cet itinéraire
nord de l Atlantique, mais pas à ce lac. Quel drôle dAtlantique
!
Plus froid (16 à 20 degrés et 19 degrés pour la mer) la
deuxième semaine avec des vents modérés mais vifs venant
du Groenland. Un coup de vent à 35 N. Ciel maussade, grisatre. Pour les
quarts, 2 fourrures polaires, la veste de quart et la capuche étaient
bienvenus. Lair devient froid comme lacier et Boisbarbu, dur comme
une lame trempée, senfile dans la vague sans jamais être
repoussé.
Radoucissement la troisième semaine (23 degrés et 21 degrés
pour la mer) à lapproche des Açores. Les vents réguliers
de nord-ouest, de 15 à 25 Noeuds, avec une nuit à 30 N et une
mer forte. Nous profitons avec volupté de ces moments privilégiés
que sont les longs surfs dans la grande houle de lAtlantique, en particulier
la nuit au milieu de cet océan de "diamants" que sont les planctons
phosphorescents. Létrave soulève des gerbes lumineuses qui
éclairent le génois. La mer est peuplée de moutons lumineux.
Des moments qui nont pas de prix, et dont on se souviendra longtemps,
plus tard, dans la grisaille grenobloise (ndlr : faudrait pas en rajouter, il
fait très beau l'été à Grenoble !).
Le Gulf Stream
Quel faux ami ! Nous comptions beaucoup sur lui pour accélérer
notre course, puisque notre parcours suivait le cours de ce fameux courant.
En realité, nous avons découvert quil forme de nombreux
méandres et que des contre courants violents sont fréquents. Nous
avons souvent été victimes de ces contre courants imprévisibles,
qui nous freinaient de 0,5 a 3 Noeuds. Sur lensemble de la traversée,
nous estimons que son effet global fut à peu pres neutre, et plutôt
lobjet de frustrations.
Les manoeuvres
Beaucoup plus variées que la transat des Alizés, par ses changements
de temps et de régime de vent, cette traversée nous impose de
nombreuses manoeuvres. Principalement des prises de ris, empannages, tangonage
du génois, manoeuvres de spi tangonné ou asymétrique. Nous
avons en effet passé plusieurs longues journées à jouer
avec les spis flamboyant à lavant de Boisbarbu. Du beau spectacle
sur le bleu de locéan.
La faune
La première semaine, nous pêchions. Mais sans succès. Alors
on a rangé les lignes de traine pour ne plus les ressortir.
Une rencontre avec une belle baleine qui a attiré notre attention de
son souffle puissant, puis nous a ravi de quelques beaux effets de queue à
une centaine de mètres de Boisbarbu.
Des dauphins : par troupeaux 3 ou 4 fois dans la traversée. Comme dhabitude,
ces animaux dotés dune étrange intelligence semblent vouloir
lier contact avec nous.
Puis nous croisons quelques grosses tortues qui font de la natation en plein
océan. Etrange...
Des oiseaux marrons avec un collier blanc et une marque blanche sur la queue
nous ont suivi tout au long de la traversée. Dune envergure de
70 cm, leur vol fin et élégant nous ravit. Nous n avons
pas su leur mettre un nom.
Dautres oiseaux, venus de Terre Neuve, plus petits et noirs nous ont rendu
visite pendant les 3 journées froides du milieu de la traversée.
Moins planeurs mais plus vivaces que les marrons.
Les rencontres
Un cargo par jour pendant la première semaine, puis plus rien, à
lexception dun voilier qui semble remonter sur le Groenland. Jessaye
détablir un contact radio ... pas de réponse.
A Flores, on retrouve un Joshua qui sest fait secoué dans le coup
de vent de la dernière semaine et qui nous donne des nouvelles de Winnie
Pooh et de Madouan (dautres bateaux devenus amis). On rencontre aussi
cet Edel 6 qui a dematé à quelques jours de larrivée.
Les avaries
Pas davarie majeure, ce qui ma semblé être
du repos par rapport à la transat des Alizés. Juste une panne
électrique avec la batterie principale qui sest mise en court circuit,
ce qui a limité lutilisation du pilote automatique et des feux
de navigation, sans parler du frigo qui est resté éteint les deux
dernières semaines (Bonjour lodeur des fromages !). La centrale
de navigation refusait parfois de mesurer le vent réel. Un equipet de
la cabine avant a explosé sous le choc dune vague. La jupe du genois
sest dechirée sur une manille de l étai largable.
La grand voile se troue par ragage dune bosse de ris. La capote de descente
sest decousue sous le poids de la mer. La barre se devissait et prenait
du jeu. Bref, que des petites avaries courantes dans ce genre de navigation.
La cantine
Excellente, dune gastronomie hors pair. Yves et Gerard A. ont rivalisé
de talents pour nous concocter des repas de qualité : nourriture bio,
nombreuses épices.... Un vrai régal ! Une ou deux bouteilles de
vin californien sont venues célébrer les passages aux principaux
méridiens de ce parcours. Tous nos repas se sont tenus dans le cockpitt,
en dépit dun temps maussade : ciré et harnais obligatoires
avant de prendre la fourchette. Et à chaque coup de rouli, ce foutu bol
qui se renverse sur le caillebotis.
Les occupations du bord
En dehors des quarts, des repas, de la vaisselle et des manoeuvres, léquipage
a eu du temps pour lire de nombreux bouquins de la bibliothèque du bord
et écrire ses carnets de bord. De belles pages décriture
dont nous retrouverons, je lespère, quelques extraits sur ce site
Web. De longues discussions ou nous refaisions le monde ou préparions
des projets de futurs voyages (Hoggar, Nepal, Equateur, Groenland...).
La route et le planning
En dépit des conseils nombreux de navigateurs rencontrés dans
les Caraibes de rallier les Açores en coupant directement par les Bermudes
(ce que font la plupart), jai voulu tenter cette route du 40ème
parallèle nord, pour laquelle les Pilot Charts montrent des vents généralement
portant. Et puis ça nous a evité de traverser la tristement célèbre
mer des Sargasses, avec ses pétoles, ses vents contraires et ses immenses
algues flottantes. Le planning prévisionnel a été étonnement
tenu. Notre progression sur les 10 waypoints (points de passage) étaient
comme des bornes sur notre route. Nous prenions du retard pendant la 1ère
semaine (jusqu à 30 h de retard), que nous avons comblé
dans la dernière partie du parcours. Nous avons été surpris
et ravis de voir que sur une traversée de 20 jours, nous arrivions à
terme avec seulement 10 heures décart par rapport au planning.
Il est amusant de voir que la seule présence dun planning communique
naturellement son rythme à léquipage. Une bonne leçon
pratique pour le chef de projet que jai été. Par tous les
temps, nous avons essayé doptimiser la vitesse en réglant
les voiles au mieux, tout en gardant une grande marge de securité concernant
la taille de la voilure, pour limiter les efforts dans le gréement. Toute
une affaire de compromis que nous avons bien réussis.
Mon objectif était de convoyer Boisbarbu vers les Açores sans
casse. Nous y sommes parvenus.
A bientot sous dautres ... longitudes.
Gerard
La traversée de l'Atlantique nord: un récit de Gérard Auchère:
Voila deux jours seulement, nous quittions notre quotidien en Dauphine. Mis, dans notre esprit, le temps nest pas lineaire.
Le depaysement de lAmerique avec ses grands espaces et la nonchalance debonnaire des habitants de Fort Pierce, semblent l'etirer.
Hier, Samedi, veille du grand depart, le briefing de Gerard, notre Captain, etait dense, lauditoir attentif.
Retour dune guinguette sur le port, Yves nous gratifiait dun poulet basquaise delice.
Dimanche 3 juin, 7 heures du matin
Ciel bleu, Mer calme,maree haute.
Nous larguons les amarres. Le soleil levant et la mer reposee nous prennent dans leurs bras.Cest bon, cest doux comme un envol.
Les gens de Fort Pierce, pecheurs au gros, se rueent joyeusement vers leur activite favorite et nous escortent ainsi dans le chenal de sortie de la baie avec, au passage, des signes de sympathie.
Jeudi 7 juin
Tout le monde est bien amarine. Pas de nausees depuis le depart.
Nous aimerions que le vent se leve afin, que lOcean sorte de sa torpeur, engage le dialogue.
Nous experimentons differentes allures et changeons notre cap a la recherche dun courant favorableet dans le respect de la route tracee.
Notre route chemine au dessus dune falaise sosu marine de plusieurs milliers de metres qui marque la limite du plateau continental setendant a environ cent miles du Cap Hateras situe au sud de New York . En milieu dapres midi, le vent se leve ; 18,20,22 Noeuds, par tribord , puis forcit, Nous filons maintenant a 7 noeuds au grand largue. La Mer se forme,
28, 30 noeuds. Nous avons le sentiment dentrer dans le vif du sujet.
Vendredi 8 juin
A la tombee du jour, des foyers orageux se forment a tribord puis a babord. Le ciel sobscurcit et sillumine a intervalles de plus en plus rapproches a tribord avant. Nous remontons au nord pour contourner cette zone chargee de menaces mais un autre foyer se developpe a babord. Nous poursuivons notre route qui ressemble a une souriciere. Des eclairs zebrent le ciel et le tonnerre gronde. Nous comptons les secondes pour evaluer les distances nous separant de la foudre. Une lumiere aveuglante nous enveloppe soudain et jai limpression que la foudre est tombee tout pres. Mais nous nentendons pas le fracas du tonerre.
A trois reprises, la mer sembrasse ainsi. En fait, la lumiere des eclairs se propage a la surface de lOcean par effet de miroir. Le danger est moins proche que nos ne limaginions.
Samedi 9 juin
Nous sommes pris dans un vaste anticyclonequi sest approprie latlantique nord et a repousse les depressions qui avaient quelques pretentions.
Les quelques sautes de vent qui nous permettent de progresser proviennent de phenomenes locaux sans ampleur.
De jour en jour, nous decouvrons comment respire latlantique qui semble nous apprivoiser et auquel nous ne pouvons quetre reconnaissants des lecons de choses quil nous prodigue.
18 h 40 Le Soleil declinant inonde le cokpitt dune lumiere doree. Gerard a pris sa guitare. Patrick barre. Yves prepare le repas. Tout est bien.
Mardi 12 juin
Dans une traversee comme celle-ci -2800 miles il faut menager sa monture , ne rien casser, ne jamais forcer. La force du vent qui pousse sur 70 m2 de voiles est considerable et exerce des forces extremes sur le mat, les haubans, les etaiset pataras qui le maintiennent a la verticale, le vis de mulet qui fixe la bome soutenant la grand voile.
Naviguer est un loisir, un jeu a la limite, surtout pas un amusement.
Lesmanoeuvres doivent etre precises et toujours precedees dune reflexion qui en garantisse le bon deroulement.
Se presser lentement, cestle leitmotiv de Gerard.
Dans le meme esprit, nous reduisons la voilure avant que le vent ne forcisse a la limite de saturation des voiles. La nuit, nous soutoilons.
Je suis impressionne par la maitrise que demontre Gerard en toutes circonstances. Non seulememt il connait parfaitement son bateau sur lequel il a tant travaille pour lameliorer mais il le sent, comme il sent , alors quil se repose dans sa cabine,que lhomme de quart est en difficulte et lui donne des instructions pour redresser. Il sait si le bateau part au lof ou a labattee sans voir les voiles.
A aucun moment je nai senti une hesitation et le profane que je suis se sens en totale securite.
De toute evidence, je ne me serais pas lance dans cette traversee avec quelquun dautre. Ma confiance est totale et je sais pourquoi.
Lundi 18 juin
La nuit nous a offert un ciel constelle. Toutes les etoiles etaient au rendez-vous pour tenter de donner a lOcean des reflets dargent et faire oublier labsence de la Lune, soleil de la nuit.
Cest un peu du froid siderale de ces astres lointains qui semblait tomber sur Boisbarbu et son gardien, enveloppe dans ses vetements les plus chauds et etanches.
La mer ,avec son pouls regulier, le vent avec son souffle constant, semblaient prendre soin de Boisbarbu qui ne pense qua une chose, naviguer.
Mardi 19 juin, 4 heures du matin
Dans laube naissante, le soleil se fera attendre lontemps, diffusant deja une clarte hesitante au ciel changeant.
Boisbarbu semble partager lOcean en deux moities.
A babord, il sest pare de la lumiere bleutee dun bout de ciel dechirant les nuages.
A tribord,les flots restent insensibles a cette difraction . Sombres, ils semblent appartenir encore a la nuit.
Le contraste est saisissant. Dans ses couleurs comme dans ses reliefs lOcean semble disposer dune palette infinie.
Un aileron fend lecume a babord.
Les dauphins , les dauphins sont de retour.Ils sont venus en grand nombre, plusieurs dizaines, et nous font une fete comme jamais depuis le depart. Gerard engage le dialogue comme avecde vieux copains. Il les interpelle. Je croisquils nous entendent, nous comprennent. Serions nous de la meme essence ?
Je file a lavant du bateau et je leur parle a mon tour. Ils me rejoignent. Ils sont la, tout pres, un metre a peine nous separe. Leur corps est harmonie, combinaison de courbes, depuis leur nez arrondi, leur oeil malicieux,leur aileron et leur queue tailles pour la course et la danse, leur corps puissant et souple a la fois.
Leau transparente, filtre bleu-vert, nous rapproche de leur intimite faite de jeux et nous livre le saisissant ballet de leurs corps parfaits, bruns pour le ciel, blanc pour la mer, comme liberes de lapesanteur,se jouant de letrave du bateau, la narguant, capables daccelerations siderantes au gre de leur fantaisie.
Vendredi 22 juin
Je goute au delice de ce jour naissant. La nuit se retire a tatons dun ciel pale, limpide, ourle de cirrus gris qui setirent au dessus de lhorizon.
Venus se mire sur lOcean comme une petite lune et poursuit son ascension.Elle resiste a lassaut du jour quand les etoiles lointaines palissent puis sevaporent.
Mars, la rouge, retranchee dans louest encore sombre sincline vers lhorizon et sevanouit.
Il est des matins clairs ou tout semble plus leger, moins grave, qui liberent linsomniaque des demons de la nuit, lui rendent paix et sommeil, ou les blessures de lame semblent apaisees, gueries pour un temps.
Ce matin semble flaner, setirer dans lespace et le temps comme une armistice .
Le Soleil prend possession du ciel,irradiant lhorizon , sen degageant avec legerete pour donner a Boisbarbu les ombres qui lui manquaient.
Samedi 23 juin
4 heures du matin. Je prends la barre. Gerard est a mes cotes pour ce dernier quart. Des nuages epais retiennent la nuit.Les lueursde FLORES sont maintenant visibles babord avant.
8 miles environ nous en separent.
La visibilite reduite occulte le relief de lIle et les lumieres de FLORES, obliques, en suspension sur locean, se dessinent comme un grand navire en naufrage dont la proue serait a moitie
Yves et Patrick nous ont rejoins et chacun apporte sa note dhumour dans une atmosphere un peu lugubre.
Lanticyclone des Acores sera la principale cible de nos sarcasmes.
Arrivee au mouillagedans la petite anse de LAJES, dominee par des falaises de basalte sombres et abruptes. Beaucoup de mats au mouillage. Apres avoir roule le genois,affale la grand voile, nous nous frayons un chemin parmi les nombreux voiliers ancres et trouvons a grand peine un espace pour jeter lancre sous le crachin.
Congratulations, embrassades.
Nous nous retrouvons dans le carre.
Silence, Boisbarbu est immobile.
Le chant de la mer sest tu.
LAtlantique nous a fait un cadeau a sa mesure, immense, superbe.
Boisbarbu, la mer, le ciel, les copains Merci . Champagne .
LAJES ,Ilede FLORES (ACORES) 6heures 3O
Distance parcourue 2838 miles (5256km)
503 heures de plaisir et damitie.
Gerard Auchere