Décembre 2000 - Vive la traversée !
Yves Habauzit raconte


Bonjour à tous,

Gérard et Evelyne m'ont confié la "lourde" responsabilité de vous raconter notre aventure transatlantique du Cap Vert à la Martinique. Je vais donc essayer de vous faire vivre les évènements (qui n'ont pas manqué comme vous allez le voir…) tels qu'ils me restent présents en mémoire aujourd'hui.

J'irai peut-être un peu trop dans les détails parfois, mais je suis sûr que cela va intéresser Les marins qui sont toujours à l'affût d'une nouvelle expérience.

Vites dans le bain
Evelyne, Jacques et moi sommes accueillis à l'Aéroport de Sale ( une des îles les plus importantes du Cap Vert) par Gérard tout bronzé et heureux de nous retrouver (Eh Oui, sa compagne et équipière de toujours le rejoignait enfin !).



Nous sommes très vite mis dans l'ambiance, (style "Tintin et les trafiquants d'armes") car abandonnés par le taxi (à cause de l'état de la piste) sur une plage rocailleuse à la fin de la journée, avec Autour… Rien ! Pardon, sauf "Boisbarbu"qui mouillait à 30 mn de marche ( finalement nous avons déplacé le bateau plutôt que les bagages) et un vieux pêcheur en "guenille" Grammes (pour une fois le mot est juste) soul à 12,5 g qui essayait de nous faire comprendre par des gestes qu'il aimerait bien échanger son lambeau de tee-shirt contre les notre en bien meilleur état.

Après lui avoir fait comprendre que nous partions pour traverser l'Atlantique et que donc nous avions besoin de notre tee-shirt, il était finalement assez sympathique, et nous aida avec son fils à négocier les transferts à l'annexe dans la houle et les cailloux. En résumé, nous étions déjà à fond dans l'aventure.

Après avoir déposé l'équipage précédent le lendemain dans un petit village près de L'aéroport, décision est prise d'aller visiter les îles plus au Sud, avant le grand saut ! Bon vent portant, super paysages et surfs, et surtout Gérard qui s'éclate comme un fou à réussir des arrivées de nuit dans des mouillages inconnus, difficiles et encombrés, grâce à son nouveau jouet magique : le radar ! Sans sortir de la table à carte, il nous disait les obstacles, caps et distance au "mètre" près… Pas très "Glénant", mais il très pratique ! Apres 2 jours de Nav, nous voila à Praia, la capitale du Cap Vert.

Chut ! Petit bruit...

Re arrivée de nuit et mouillage au radar.
Le lendemain, décision de se rapprocher de la plage pour faciliter les transferts en ville. Manœuvre au moteur sans problème, sauf un petit bruit discret mais nouveau décelé par Gérard depuis le cockpit, mais après vérification par moi-même, pas de problème apparent visuel côté moteur.

Après la manœuvre, une forte odeur de fils électrique brûlé et de la fumée dans le compartiment moteur nous étonnent ( le mot est peut-être un peu faible). Nous devions le comprendre que plus tard : nous avions flingué le démarreur (le lanceur était resté bloqué en position avance, d'où ce "petit bruit". Il ne l'a pas supporté) Autant vous dire tout de suite que nous ne devions plus nous resservir du moteur avant l'arrivée en Martinique pour l'entrée au port !

Nous avons donc passé une semaine à Praia, à apprendre toutes les subtilités des démarreurs, avec (quand même !) quelques visites en ville super sympas et dépaysantes (c'est l'Afrique !). Inutile de vous dire que la pièce défectueuse était évidement introuvable. Par-contre, les garagiste locaux (habiles et compétents !), arrivaient à le réparer, mais la réparation ne tenait à chaque fois que 1 ou 2 démarrages. (soudures collées, par manque de fer à souder assez puissants). Décision est néanmoins prise (à l'unanimité) de le faire réparer une dernière fois, de le monter, de ne pas l'essayer, et d'espérer qu'il démarrera en cas de besoin !

Bonne intuition, Gégé !

Le jour du départ, Gérard décide d'aller vérifier en tête de mat que tout va bien (bien qu'il l'ai déjà fait une semaine auparavant aux Baléares) : on ne part pas comme ça pour 2200 miles quand même ( 4 fois la France ! à 12 km / h de moyenne) ! Bien lui en pris ! Il constate que 1ou 2 brins de l'étai avant, sont légèrement "bombés". Rien de très impressionnant, mais pas rassurant du tout à la veille d'une transat !



Sachant que, de toute façon, il est impossible de réparer un étai au Cap Vert et le bateau (par chance) ayant un étai largable allant jusqu'en tête de mat, nous décidons de partir en mettant à poste définitivement l'étai largable (pour soulager l'étai principal, et être là, au cas ou il casserait, ce dont nous doutions fortement : c'est quand même fait pour tenir tout ça, non ?), de ne naviguer qu'au foc de route (et génois par très petit temps) pour ne pas forcer dessus.

L'évènement

Quelle bonne idée tu as eu Gérard d'aller jeter un coup d'œil en tête de mat ! Et quelle bonne idée de mettre l'étai largable à poste ! Pourquoi ? Mais oui ! Vous vous en doutiez déjà : l'étai avant à cassé de nuit en plein milieu de l'Atlantique ! Je vous confirme : c'est Nickel pour l'ambiance ! On ne le dira jamais assez : avec Mennetrier, c'est comme à la Samaritaine, "il se passe toujours quelque chose !"

Donc, démontage de nuit de l'étai avec son enrouleur et mise à plat sur le bord du bateau. Tout cela par force 6/7 de nuit, 3 ris pris rapidement, pour soulager le bateau. Le lendemain nous frappons tout ce qui est "frappable" entre la tête de mat et l'avant du bateau (drisses, spi et génois) pour tenir le mat le plus efficacement possible. Et nous voila reparti pour 1000 miles, moteur interdit, 3 ris, foc de route, étai largable à l'avant, étai et enrouleur sur le bord tribord du bateau débordant de 2 mètres des 2 côtés. En priant que l'étai sera COSTAUD ! Et surtout pas de vent forts contraires.



Je dois avouer que durant les 2 ou 3 jours qui suivirent, l'équipage était un peu soucieux et pensif, mais finalement ça tenait! Donc le moral remonta rapidement au beau fixe, heureux de faire une Transat pas comme les autres, à "l'ancienne". Merci Gégé, on savait qu'on Serait pas déçu !

J'ai oublie de vous dire que jusqu'à la casse de l'étai, nous nous sommes régalés, à naviguer, barrer, observer et comprendre les mouvements des astres, observer des étoiles que l'on ne voit pas sous nos latitudes, se mettre au rythme de la vie hauturière ,etc. Le pied, quoi !

Enfin une prise !

Tout ceci couronné par la prise d'une superbe dorade (personne ne croyait à bord à l'efficacité des traînes) à 7 nœuds, et juste à l'heure du souper ! Très bon.

Seule petite ombre au tableau : la mise à mort à coup de manivelle de winch et couteau qui a un peu duré (pas d'assassins pros à bord), et revêtu l'arrière de Boisbarbu d'une magnifique couleur rouge vermeil ! Ca nous a un peu remué les tripes, mais tellement bon que fermement décidés à recommencer le lendemain ! La dorade s'est vengée, l'étai cassait 3 heures plus tard. Nous décidâmes de ne plus repêcher….

Tout allait donc pour le mieux. Nous avions décidé de changer notre destination pour l'île la plus proche, qui nous permettait une meilleure allure, et une plus grande capacité à réparer le gréement : la Martinique. Mais soudain survinrent les 1er grains. Au fait, j'oubliais de vous dire que nous avions entre 20 et 30 noeuds de vent moyen régulier. Les 3 ris et le foc de route ne nous handicapaient finalement que très peu ! Merci L'alizé! A cela, ajoutez une grosse houle de fond, plus la mer du vent par dessus qui rajoute 1 à 3 m de creux : décor super ! Du tout terrain sur de larges collines !

Petit cours de grains

Je reviens à mes grains. Deux sortes de grain: le grain noir et le grain blanc (Sel et poivre ?).

Le grain noir : sorte de petit "démon" tout noir perché sur le ciel, de la taille d'un gros cumulonimbus, accompagné de traits penchés juste dessous (la pluie). Très joli ! Il mène sa petite route vagabonde, poussé comme nous par les alizés, sauf qu'il va beaucoup plus vite, donc impossible (surtout quand on ne peut pas facilement changer d'allure dans notre cas) de l'éviter si le hasard l'a mis sur votre route ! C'est un peu comme le flipper ! On ne sait jamais trop la force du vent et la direction qu'il va y avoir dessous. Vu notre gréement "top niveau", l'ambiance super fun n'en fut que renforcée à chaque fois que l'un d'entre eux faisait route de "collision", ce qui arrivait 2 ou 3 fois par jour et encore plus fréquemment la nuit (c'est tellement plus sympa…). Donc petit retour d'inquiétude dans les pensées de l'équipage. Mais finalement, après les 5 ou 6 1ers grains, les vents ne semblaient jamais dépasser 8 ou 9 nœuds et surtout toujours dans la bonne direction, alors on a fait comme d'hab. On a trouve ça super sympa (un grain noir dure 30mn max ).

Le grain blanc, lui , est plus vicieux : ciel gris /blanc et uniforme, en fait une gigantesque barre de cumulus. Plus fort en vent, mais moins en pluie que les grains noirs. Mais surtout beaucoup plus long et dans la durée (3 ou 4 heures de baston : ambiance coup de mistral, la mer en plus).

Terre
Et finalement, heureux, comblés et ravis d'avoir su gérer toute cette aventure, nous vîmes se pointer la silhouette de la Martinique dans l'étrave au bout de 17 jours de navigation.

La surprise de devoir de nouveaux faire attention au rochers et aux fonds (c'est quand même plus cool le large), une arrivée et mouillage à la voile à la tombée de la nuit sur une des plus belles plages de la Martinique, la joie (nous devons aussi l'avouer un peu je pense : le soulagement) et le bonheur d'avoir réalisé cette aventure pleine de rebondissements ! 2200 miles, tout à la voile (départ et arrivée compris !) Je peux vous dire que La 1ère gorgée de bière après le mouillage en Martinique n'avait pas le même goût que d'habitude !

Le lendemain, suspens : le moteur va t-il démarrer pour l'entrée au port ? Aurions nous pu finalement compter sur lui pendant ces 17 jours ? Contact… clef…… : teuf teuf teuf ! Ca marche ! Bravo les garagiste cap verdiens ! Nous pouvons donc nous faufiler sans souci dans les alignements qui nous mènent au port de Marin au Sud de la Martinique.

Réparations et bons gueuletons
De là, pour varier les plaisirs (Le démarreur, ça lasse un peu au bout d'une semaine), une semaine de réparation du gréement et de tous les autres petits détails qui étaient à améliorer ou réparer. Sans oublier les supers soirées au restaurants ou au bals locaux, la messe de minuit locale, l'inoubliable repas de Noël concocté par Evelyne, etc.

Voilà, je pense vous avoir donné une idée assez complète de notre voyage. Il y a sûrement des tas de petits détails que j'ai oublié : les 1ères lessives et toilettes à l'eau de mer, les oiseaux de passage aussi curieux que nous, les poissons volants qui percutent le bateau la nuit et qu'on retrouve au petit matin, et la mer toujours changeante…

Pour être complet, j'ai omis de vous dire que le moteur étant interdit d'utilisation (sauf urgence), L'énergie était une denrée comptée et économisée à bord, fournie par l'éolienne et les panneaux solaires (super installation de Gérard qui marche au top : batterie suivie par un contrôleur électronique qui donné, à tout moment, le niveau de charge, consommation, réserve, tension ,etc. de chaque batterie). Nous vivions donc en harmonie avec la nature, dodo la nuit, lever le jour, uniquement les frontales en guise de lumière, pilotage aux étoiles dans les hautbans . Les instruments n'était allumés qu'au moment de leur utilisation, et nous avons barré 100% du temps, jour et nuit, sauf au moment des repas.

Voila, une belle aventure qui restera, je pense, longtemps présente dans nos mémoires. Merci Gégé et Evelyne de nous avoir permis de la vivre avec vous et surtout bon vent à tous les 2 pour la suite !


Yves

La même transat des alizées vue par le skipper:
Mercredi 20 décembre
" allo, sommes bien arrivés aux Antilles, dans la matinée, après 17 jours de navigation dans l'alizé. après 2500 miles parcourus, Boisbarbu et son équipage sont en pleine forme. Juste une avarie dans le gréement qui nous a mené en Martinique..." Derrière ce message laconique laissé sur le répondeur téléphonique familial se cache une aventure intense, aux émotions fortes, pendant laquelle nous étions livrés à nous même à travers cette énorme masse liquide qu'est l'océan.

Difficile, donc, de communiquer cette expérience. Le récit d'Yves est excellent et retrace bien la traversée. Voici quelques compléments.

Les conséquences d'un choix

Le choix de l'itinéraire, par le Cap Vert, est lourd de conséquences. Ce n'est pas un choix pratique mais plutôt le désir de coller à des images reçues : la musique de césaria Evora, le volcan Fogo, le charme de ces ïles Capverdiennes.

Arrivés dans l'archipel, il est dur de reculer et de modifier les conditions de la transat. En effet, on ne trouve là ni accastillage, ni matériel de rechange, ni professionnel du yachting, et très peu de nourriture adaptée à l'avitaillement d'un voilier. Au Cap Vert, "les jeux sont faits" et c'est la préparation initiale du bateau, ansi que ce qu'il a subit pendant les étapes précédentes, qui détermine la traversée.

L'avarie moteur (démarreur grillé) et la légère déformation de l'étai nous inquiètaient mais nous n'avions d'autre solution que de faire réparer tout cela au chantier le plus facile à atteindre : les Antilles, de l'autre côté de l'Atlantique. La remontée des 900 miles vers les Canaries face au vent eut, en effet, été trop risquée pour le gréement. Vers l'est, un atterissage sur la côte africaine était aussi inutile qu'incertain.

Après de longues discussions, l'équipage et moi sommes donc décidés à rejoindre les Antilles. Cette décision était accompagnée de tout un plan de contingences lié à ces deux avaries.

Et vogue l'aventure !


La première semaine de traversée se déroule parfaitement. L'alizé de nord-est, puis d'est, est bien établi, de force 4 à 7, accompagné d'une mer agitée à très forte. En dépit du sous-toilage de la voile avant (17 m2 de foc de route au lieu de 43 m2 de génois, ou des 86 m2 de spi), boisbarbu est très vivant et maniable. Par petit temps, nous avons toutefois l'occasion d'envoyer le spi assymétrique qui nous fait gagner 2 noeuds (1 noeud = 1 mile par heure, donc 1,85 km par heure).
De longs creux viennent pousser l'arrière de boisbarbu. Les jours, les nuits, les quarts, les repas se succèdent. L'équipage prend son rythme. Les objets trouvent leur place. Nous trouvons le sommeil malgré le rouli et les chocs des vagues qui déferlent.

La deuxième semaine (après la rupture de l'étai), nous sommes plus stressés et fatigués, mais fiers et heureux d'avoir pu sauver le mat de Boisbarbu. Nous discutons longuement à re-visionner et analyser ce mauvais film. Les premières nuits, nul ne peut trouver le sommeil. Les jours suivants, nous peaufinons les détails de notre nouveau gréement. On assure, règle, révise, vérifie, invente, afin de fiabiliser le montage.
Malgré son handicap, Boisbarbu file à 6, 7 ou 8 noeuds. Il faut dire que le vent a forci. Au delà de nos inquiètudes, nous prenons plaisir à surfer dans les longues vagues de l'Atlantique.

Durant cette traversée, nous ressentons l'isolement des déserts. aucun signe de vie : pas la trace d'un avion dans le ciel, pas de rencontre avec un navire. Par le plus grand des hasards, à 800 miles du Cap Vert, 2 voiliers surgissent de la nuit, à 15 mn d'intervalles, sans feu de navigation, en route de collision avec nous. Evelyne, à la barre, me réveille. Nous les évitons de justesse. Ces fantomes de l'ombre ne répondirent pas à nos appels VHF.
Ni dauphins, ni baleines. Juste un oiseau noir venait tourner autour de Boisbarbu chaque soir, comme un mauvais présage. Au matin du 12ème jour, un bel oiseau blanc à la longue queue le remplace, comme un message d'espoir.

Ouf, arrivés !

Notre tension nerveuse s'écroule à l'entrée du port de Marin (Martinique). entrée fort remarquée, avec l'étai qui dépasse comme une lance, à l'avant et à l'arrière de Boisbarbu. On nous attribue immédiatement une large place au quai d'honneur, afin de faciliter nos manoeuvres et réparations.
Ce port sent la fête, le Champagne et les épices.
Nous sommes tous les quatre un peu désorientés d'être à terre et regrettons déjà ces moments forts vécus ensembles qui ont créée des liens forts indélébiles dans cette petite équipe.

Un grand merci à Jacques et Yves d'avoir donner leur bras et leur jugement dans cette superbe aventure.

Gérard

Une journée en mer

Lors de la transat, les journées se succèdent en dehors du temps. Le rythme de la mer s'installe au plus profond de nos activités.

Au lever du jour, Yves est à la barre. Il termine son quart, les yeux bouffis de sommeil. A 7 heures, il me réveille et part se reposer dans la cabine avant. Vers 8 heures, je vois émerger Evelyne dans le carré, puis Jacques. Evelyne prépare le petit déj' avec un art de "dresser la table" qui motive l'équipage à venir se rassasier et à échanger les observations et aventures de la nuit.

Puis c'est le rendez-vous radiophonique avec Arielle Castide, sur Radio France Internationale en BLU qui se caractérise par une qualité de réception médiocre. La voix chaleureuse d'Arielle nous énumère les tempêtes d'Atlantique nord, les courants de Gibraltar, la position du "pot noir", puis la force des Alizés. Notre imaginaire parcoure avec elle les 19 zones météo de l'Atlantique nord. Ce contact avec la terre réussi à créer un lien privilégié avec les autres marins. Arielle donne des nouvelles du Vendée Globe, leurs positions, leurs avaries, et réussi parfois une interview en direct.



Notre matinée est consacrée à la stratégie de la route à adopter, en fonction du vent, des prévisions, de la houle, de notre gréement fragile. Les avis divergent. On argumente et décide un empannage pour 18 heures, avant le coucher du soleil. Au repas de midi : saucisson, pastis, pâtes en salade avec cette pointe de basilic qui nous fait saliver (ndlr : Ah ! la cuisine d'Evelyne !...).

Jacques est le barreur le plus assidu de la journée, avant de prendre une sieste bien méritée, les genoux endolorris par une position tenue trop longtemps. L'après-midi est consacrée à une inspection détailllée du gréement et des points de ragage. Puis nos discussions sur notre gréement incertain reprennent, à l'image de nos inquiètudes. Nous visualisons et répétons les deux scénarios catastrophes : le démattage, puis le naufrage. Nous peaufinons la liste des choses à emporter sur le radeau de survie. Nos sacs de survie étanches sont prêts.

Puis chaque vague a son activité favorite : Evelyne tricote, Jacques bouquine, Yves fait un point au sextant, jep longe dans la doc du radar, Evelyne nous lit Jean-François Deniau, Jacques barre, Yves joue de la guitare, je répare le déssalinisateur...

Notre vie tourne au ralenti. Chaque geste quotidien demande de la concentration et un effort particulier. La vie à l'intérieur d'un bateau par mer forte est difficile à imaginer. Tout bouge violemment. Faire chauffer de l'eau sans s'ébouillanter, mettre le couvert, verser la soupe dans un bol, faire la vaisselle sans faire tout voler dans le carré, enfiler sa veste de quart... Ces gestes sont autant de défis à relever patiemment.

Nous dinons vers 18 heures, avant la nuit. evelyne nous concocte des plats de roi : riz, pâtes, pil-pil, tout ça agrémentés de sauces, épices et quelques conserves. Pour les soirs de fête (passage d'un méridien, distance parcourue exceptionnelle), nous nous offrons une crème de marron et une liquer de chartreuse. Jacques et Yves lave à la vaisselle à l'eau de mer.

Je termine la journée par un point et porte notre position sur la carte de l'Atlantique. L'équipage est impatient de connaître notre progression. J'annonce la distance parcourue en 24 heures (de 130 à 160 miles), la distance qui nous sépare de notre destination. nous arrosons immédiatement nos victoires. Un dernier "bon vent" au barreur, et nous regagnons nos couchettes.

Gérard



La nuit : une parmi tant d'autres, entre gibraltar et le Cap Vert

Chaque soir, la nuit impose son rituel. nous admirons en silence le coucher du soleil, puis la pénombre s'installe. Une inquiétude fébrile envahit le carré. Il est temps de cuisiner le diner, dernier moment de convivialité pour clore cette belle journée. Un volontaire pour la vaisselle.



On enfile un ciré qu'impose l'air qui fraichit. Les nuages paraissent soudain plus menaçants. Alors on prend un ris supplémentaire dans la grand voile. Cela nous rassure, même si ce n'est pas la garantie d'une nuit sans manoeuvre. On organise les quarts, range l'appareil photos oublié dans le cockpit, fait un point sur la carte.

Je laisse l'homme de quart et me glisse dans ma couchette. Là, chaque bruit prend une ampleur inhabituelle. Le claquement du foc qui résonne dans toute la coque, la drisse qui siffle sous la brise, le démanilleur qui tape dans la descente, la table du carré qui cogne contre l'épontille, la bouteille de rhum qui s'entrechoque avec celle de pastis... Et ce foc qui claque encore. Mais "bon sang"! Que fait le barreur ? Il va finir par nous l'éclater, ce foc !...

Le bruit de la vague qui déferle contre la coque, le bruissement de l'eau et de l'écume qui s'écoulent derrière la petite épaisseur de polyester qui protège de l'océan, et nous donnent une impression de vitesse.

Tous ces bruits amplifiés, auxquels on prête une oreille attentive, génère parfois l'inquiètude, l'angoisse de l'avarie, la rupture d'une pièce de gréement qui viendrait à céder sous les assauts puissants et répétés de la vague. Mon expérience de démattage du 7 mars 98 à 15 heures à bord de Vent de comète a laissé en moi une trace indélébile. J'ai perdu la confiance dans la solidité d'un voilier.

Je pense aussi aux risques de collision avec une baleine ou un container. Bien qu'une telle rencontre soit improbable, il faut remarquer que dans la 1ère quinzaine du Vendée Globe, 2 concurrents sur 24 ont vécu cet incident.

Mais l'inquiètude de la nuit cède finalement le pas à la fatigue qui nous assome, d'un sommeil lourd et réparateur.

Gérard


Les quarts

Quarts de jour, quarts de nuit, quarts de mouillage, quarts de rouge...

Les quarts se font systématiquement la nuit, plus rarement de jour. Bien que les Glénans enseignent les quarts doivent se poursuivre inlassablement de jour comme de nuit, notre rythme naturel impose un relachement, une période d'éveil et de groupe pendant la journée. On aime à se retrouver dans le cockpit de boisbarbu pour le petit déjeuner, les longues discussions, les rigolades entre copains. Il y a toujours un volontaire pour tenir la barre. Sinon, c'est le pilote automatique qui est d'astreinte.

Nous commençons les quarts vers 20 h, lorsque la nuit a enveloppé l'horizon, et que le quart est devenu inévitable. Le plus souvent, on prend le quart seul, pour une période de deux heures. Par très gros temps, on prend les quarts deux par deux pour une période de trois heures. On peut alors pratiquer les quarts alternés : un équipier quitte son 1er quart après 1 h 1/2, se faisant remplacer par un autre qui veillera pendant 3 heures. Ainsi, il y a toujours quelqu'un sur le pont qui est la mémoire de ce qui s'est passé pendant la période précédente. Il informe donc le nouvel homme de quart qui assurera la transition suivante.

Le long des côtes espagnoles, Evelyne et moi nous relayons toutes les deux heures.
De Gibraltar aux Canaries, par mer grosse, Denis est de quart avec Marc, relayé toutes les deux heures par Evelyne et moi. Denis ou moi n'avons jamais quitté la barre de la semaine, même le jour, tant la mer était grosse.
Des Canaries au Cap Vert, Jean-Marc et moi nous relayons toutes les deux heures (nous étions très fatigués en arrivant à Mindelo).
Pendant la transat, Jacques, Yves, Evelyne et moi nous succèdons toutes les deux heures. De jour, Jacques passent de longs moments à la barre, par plaisir et par souci d'économiser l'énergie qu'aurait pu consommer le pilote automatique.

Le quart, c'est d'abord la veille, une veille active sur d'éventuels navires qui pourraient croiser notre route, sur un changement de temps, de mer, ou de vent qui pourrait nécessiter une manoeuvre. On réveille alors le skipper, ou tout l'équipage, suivant la complexité de la manoeuvre, ou la nature de la décision à prendre. Le quart, c'est avant tout être responsable du bateau pendant que les autres se reposent. On peut être à la barre, pour le plaisir, ou la confier au pilote automatique.

De temps en temps, on descend à la table à carte, dans la chaleur du carré, faire le point, vérifier la présence d'un navire sur l'écran radar, suivre l'évolution du baromètre, ou controler la décharge des batteries.

Mais le quart, c'est aussi se retrouver seul sur le pont, face à l'océan, au vent, aux vagues, à la lune, aux étoiles. C'est le sillage de diamant que forme le plancton phosphorescent dans les turbulences de la coque. C'est le poisson volant qui vient s'écraser contre la veste dans son vol aveugle, avant de tomber lourdement sur le pont et se débattre dans un bruyant "flap-flap", jusqu'à ce qu'une main salutaire le rejette à la mer. C'est se retrouver face à soi-même, et prendre le temps de méditer, penser à ce que l'on cherche, penser à ceux qu'on aime. On voit alors avec clarté ce qu'on leur dira, lors des retrouvailles, même si le moment venu, tous les mots, trop bien préparés, se seront envolés, au gré de vent de la journée qui va renaître.

Le quart, c'est l'embrun inattendu, glacial, qui frappe le visage, puis s'écoule insidieusement sous la veste mal fermée. C'est le sommeil qui pèse sur les paupières salées. C'est l'attente de l'heure du changement de quart, l'heure où l'on ira s'écrouler dans sa couchette, en oubliant qu'un autre a pris son quart.

Gérard



Arielle Cassim, Radio France International, bulletin météo

A la suite de cette traversée, ou sans moyen de communication sophisitiqué, nous buvions chaque jour les paroles d'Arielle Cassim, au travers de son bulletin météo sur Radio France International, j'ai voulu remercier Arielle pour son soutien quotidien sur les ondes. De retour en France, je lui ai donc envoyé ce message:

Bonjour Arielle,

il y a tout juste un an, nous traversions l'Atlantique, du Cap Vert a la Martinique, a bord de "Boisbarbu", notre Feeling 1090. A bord, 2 amis: Yves et Jacques, mon epouse Evelyne et moi.

Chaque jour, a 11h40 TU, nous étions extrêmement attentifs au célèbre bulletin météo que vous animez avec tant de brio. Attentifs au contenu de ce bulletin parce qu'il allait dicter notre navigation, notre voilure, mais aussi attentifs a votre voix. Nous avons vraiment ressenti que votre voix était l'unique lien que nous avions avec la terre, avec nos racines, avec notre port d'attache. Ca n'a l'air de rien, mais si loin de tout, ce rendez vous quotidien avait pris pour nous une grande importance, surtout dans la deuxième moitie de la Traversée, ou nous avions casse notre étai ! Par chance, et agilité de mes équipiers, nous n'avons pas dématté, mais la concentration, voire l'anxiété régnaient a bord. Nous voulons donc vous remercier pour votre voix claire, gaie et chaleureuse.

De plus, nous avons beaucoup apprécié le reportage quotidien sur les concurrents du Vendée Globe, puis plus tard sur la TransCaraibes. A la différence des autres journalistes, vous couvrez non seulement l'ensemble de la course, mais surtout vous relatez des détails, des gestes quotidiens des concurrents, quand celui-ci se bagarre avec son moteur, ou celle ci avec une dérive cassée. Vous savez toucher la le coeur du marin (de plaisance), car ce sont les mêmes gestes et les mêmes soucis qui font partie de notre quotidien. Il nous est arrivé d'être ému a vous écouter.

Toutes nos félicitations, donc, pour la qualité et le dynamisme de vos reportages.

Arielle, vous ne nous connaissez pas, mais nous, nous avons l'impression de vous connaître. C'est sans doute le lot de tout journaliste et en particulier des meilleurs: de ceux qui touchent le coeur de leurs auditeurs.

Laissez nous vous souhaiter d'heureuses fêtes de Noël, et beaucoup de bonheur et de vent pour l'année 2002. Pas trop de vent tout de même pour ceux qui ont la chance d'être encore en mer cette année.

Salutations marines,

Gérard.

 

Réponse d'Arielle:

From: <arielle.cassim@rfi.fr>
To: <gerard_mennetrier@hp.com>
Sent: Saturday, December 15, 2001 9:19 AM
Subject: Re: Merci Arielle !

Cher Gérard,

Je viens vous remercier mille fois pour cet e-mail, qui m'a énormément touchée.

Ces mots sont si gentils, et aussi très rassurants; car souvent, seule dans mon studio, j'essaie de m'imaginer l'écoute de ce créneau que j'essaie de rendre intéressant et utile à ceux qui sont en mer et attractif à ceux qui sont à terre.

Il me semble donc que votre navigation n'a pas toujours été très calme; mais encore bravo à l'équipage d'avoir sur garder ce mât pour sa fonction initiale. Repartirez-vous naviguer ?

Cela va être un peu difficile de ne plus pouvoir écouter la mer, faire de longs surfs, ou se laisser éblouir par les jeux subtils et imposants de Monsieur Soleil.

Merci encore d'avoir été "des fidèles auditeurs"

Très belle et heureuse année à vous quatre, en espérant vous garder même à terre à l'écoute de ces émissions pour la mer.

Amicalement.

Arielle Cassim.


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