Octobre 2000 - Les côtes espagnoles

Après l'épisode d'un départ émouvant et éprouvant, il est temps de repartir. Mieux. Petit à petit, la vie s'organise à bord de Boisbarbu.

Le calme après la tempête
Après l'accident de Laurent dans le Golfe du Lion, et mon retour de Toulon sur la marina d'Ampuriabrava (dans la baie de Rosas - Costa Brava), Evelyne et moi sommes restés choqués, troublés, pendant 3 jours, à ne pas avoir le cœur à reprendre la mer. Nous nous sommes donc donnés le temps de nous reposer. Ces 3 jours seront consacrés à de nombreuses communications avec la famille, l'hôpital, le Cross Med, l'assurance. Notre souci principal était la santé de Laurent, que fort heureusement nous avons vu s'améliorer régulièrement jour après jour.

Nettoyage, rangement, réparations des avaries, puis une visite de l'étonnant musée de Salvador Dali, à Figueras, nous changent les idées. La marina d'Ampuriabrava vaut également d'être visitées. C'est un peu notre Port Grimaud, mais en 10 fois plus étendu. C'est, parait-il, la marina d'Europe la plus étendue.

Nouveau départ
La météo favorable nous encourage finalement à poursuivre notre route vers le sud. Nous démarrons une navigation de 3 jours en mer, au large de la Costa Brava, de la Costa Dorada et de la Costa del Azahar. C'est la première fois qu'Evelyne et moi nous retrouvons tous les deux sur un bateau pour plusieurs jours. Les conditions clémentes nous permettent de parfaitement apprécier cette expérience et donnent confiance à Evelyne. La vie s'installe à bord, au rythme des quarts. Evelyne tricote et bouquine.

Je me plonge dans les docs techniques du bateau. Nous barrons très peu. Le pilote automatique NKE (l'Autohelm est tombe en panne) fonctionne à merveille. Il maintient parfaitement notre cap. Lorsque le vent est capricieux, je le configure en régulateur d'allure afin qu'il suive les oscillations du vent sans que nous ayons à modifier le réglage des voiles.

Pendant la nuit, nous tenons des quarts de 2 heures, tout d'abord sur le pont, puis souvent à l'intérieur du carre, au chaud, bien aidé par le radar qui nous alarme sur la présence de bateaux. Nous en croisons beaucoup : des cargos, des ferries, des chalutiers. Les espagnols sont très actifs concernant la pêche en mer. Comme en Bretagne, ces pêcheurs sont en mer toutes les nuits, en toutes saisons, à affronter la mer pour remplir leurs filets. Evelyne apprend donc à reconnaître ces différents types de bateau, à anticiper leur vitesse, à reconnaître si ils font route de collision avec nous et a dévier ostensiblement notre route pour éviter un abordage en mer. Le roof panoramique de Boisbarbu nous permet de scruter l'horizon sans avoir à sortir du carré, ce qui est très appréciable durant ces nuits fraîches.

Chaque lever de soleil est une fête. Au delà du spectacle qu'il nous offre, il annonce la fin d'une nuit de quarts où il a fallu lutter contre le sommeil. Il nous fait sortir de l'univers inquiétant de la nuit, où les vagues prennent des formes menaçantes et où chaque bruit est amplifié et attire notre attention.

Un petit oiseau nous suit, très loin des cotes. La fatigue l'encourage à se poser sur le pont, et même à rentrer parfois dans le carré. Au petit matin, je le trouve près de la barre, mort d'épuisement.

Au terme de ces 3 jours, après avoir traversé les petites îles Columbrettes, nous regagnons la côte espagnole vers le Cap San Antonio. Ce cap est situé juste en face d'Ibiza, l'île la plus au sud des Baléares. Un vent du sud fraîchissant et la réputation du Cap San Antonio nous empêchent de passer le cap ce soir. C'est vers minuit que nous entrons dans le port de Gandia, dans le golfe de Valencia.Gandia.

Déluge sur l'Espagne
3 jours d'arrêt, bloqués par le déluge qui s'abat sur le sud de l'Espagne et qui paralyse une partie du pays. La radio en parle comme d'une catastrophe nationale et plusieurs victimes sont déjà à déplorer. Il pleut des cordes sur le port jour et nuit, sans discontinuer, et nous ne pouvons que rarement mettre le nez dehors. Tout est humide dans le bateau.

Il m'est impossible d'entreprendre un bricolage sérieux. Nous faisons notre première expérience de Cybercafé. On en est tout surpris et content, bien qu'à HP nous utilisions le mail depuis une quinzaine d'années. N'ayant plus rien à voir avec un café, on est dans une petite salle, la tête plongée dans notre écran, comme une vingtaine d'autres clients, la plupart des ados qui sortent du lycée voisin. On éprouve beaucoup de réconfort et de chaleur à lire les messages sympas de nos familles et copains. Evelyne et moi prenons conscience que le plus difficile dans notre aventure et de quitter nos familles et amis pour une longue durée en ayant pour seuls contacts que de rares coups de téléphones et quelques e-mails.

" Costas " à la chaîne et mer hachée
La semaine suivante se déroule devant la Costa Blanca, puis la Costa del Sol. La mer et le vent sont beaucoup plus durs avec nous : le vent fort du sud-ouest, puis de l'ouest, de force 6 a 7 semble vouloir nous empêcher de cheminer vers Gibraltar. La Méditerranée veut-elle nous garder ? Les vagues sont courtes, raides, acerbes. Elles cognent contre la coque. La mer est souvent hachée. Je les connais bien ces vagues pour les avoir souvent pratiquées durant des retours de Corse par temps de Mistral.

Chaque Cap à passer s'éternise en une longue série de virements de bord, au près serré. Ce vent fort génère une mer hachée. Les vagues les plus acérées font taper Boisbarbu dans la lame et peuvent parfois le bloquer dans sa progression. Il faut alors abattre un peu pour le relancer, en perdant un peu de terrain que nous regagnerons plus tard, à l'occasion d'une adonnante.

Ici, plus le temps de lire. Nous consacrons notre temps a la navigation du bateau et à la sécurité. Prises de ris, réglages des voiles, mise en place de l'étai largable et du foc de route. Ce foc de route, commandé cet été, s'avère être un excellent choix. Très plat, en tissu bien raide, il permet de remonter le vent au plus près. Afin de soulager Boisbarbu, et son équipage, nous prenons le soin de sous-toiler le bateau. Finalement, la vitesse en souffre peu et nous absorbons mieux les rafales aux abords des caps ou à l'approche des reliefs.

Courageuse Evelyne et petites avaries
C'est souvent tard dans la nuit (minuit, 2h, 5h) que nous arrivons au port, épuisés. Une fois l'amarrage vérifie, nous nous écroulons dans notre couchette, dans un sommeil lourd, mais réparateur. Evelyne est très anxieuse d'avoir à naviguer dans ces conditions, mais demain est un autre jour, et c'est d'un bon pied qu'elle rassemble toute son énergie pour démarrer la journée et participer à la marche du bateau.

Deux avaries sapent un peu le moral d'Evelyne:- Durant une prise de ris "sportive", la drisse de grand voile explose ! Ou du moins la gaine de la drisse, au niveau du taquet coinceur. Ces taquets sont efficaces mais vraiment agressifs. Il me faut une heure à la cape dans la brise, pour réussir 2 surliures sur cette drisse étarquée, afin qu'a l'occasion de la manœuvre suivante, la drisse ne reste pas bloquée dans le mat. - Puis, à l'arrivée sur le port de Carthagene, toujours de nuit, c'est une panne moteur, au moment, bien sur, ou on en avait besoin de ce moteur. Alors Hop, on hisse la voile, on se dégage des rochers avoisinant et il me faut 2 bonnes heures à trouver la panne et a réparer. La tête plongée dans la documentation, ou dans les odeurs du moteur. Le robinet de sécurité de coupure de carburant s'était fermé petit à petit, avec les vibrations. Ca m'a valu une purge complète du circuit de carburant...Nous faisons successivement escale à Altea, Alicante, Ile de Tabarca, Carthagene, Roquetas De Mar, Motril, Banalmadena (dans le golfe de Malaga). Les ports espagnols sont très différents de nos ports de la cote d'Azur. Ils sont d'abord de grands ports de commerce et de pêche. La plaisance y avait très peu sa place jusqu'à une quinzaine d'années. Puis les Yacht Club locaux ont obtenus d'aménager quelques pontons réservés à la plaisance, dans un coin, tout au fond du port de commerce. Le gros avantage est que nous entrons en général a la voile, sans difficulté, dans l'immense bassin du port de commerce, à l'abri des vagues, pour pouvoir tranquillement rouler le génois, affaler la grand voile, démarrer le moteur, préparer les amarres et les pare battages.

Quelle que soit l'heure, il y a souvent un boscot du Yacht Club qui est la pour nous indiquer un emplacement et saisir l'amarre qu'on lui tend. Les formalités d'enregistrement et de douane sont complètes, sérieuses, systématiques, mais sans complication. Il y a souvent de l'électricité, de l'eau, une douche propre. Les taxes de port varient de 1500 a 3000 pesetas (60 a 120 FF).Nous approchons donc avec de la sortie de la Méditerranée. Fatigués par les conditions météo. Un peu inquiets par le passage de Gibraltar. Nous sommes partis depuis 3 semaines, et pourtant pas encore conscients d'être dans ces longues vacances. Un peu frustrés par la rapidité de nos escales (quelques heures nocturnes), et par la rigueur du climat: nous n'avons pas encore quitté nos fourrures polaires. Mais Evelyne est maintenant au point dans les manœuvres de port, dans la navigation, le maniement du GPS et des cartes marines.

Cette expérience forte à deux, nous a encore rapprochés, si toutefois il était possible de nous rapprocher plus. Les semaines à venir allaient être d'un rythme différent, puisque Boisbarbu allait accueillir de nouveaux équipiers : Denis, Odile et Marc. C'est avec eux que nous passerons Gibraltar et descendrons vers les Canaries.

Evelyne et Gérard

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