Il est grand temps de vous donner des nouvelles de notre périple à la voile. Nous avons largué les amarres le samedi 14 Octobre a 13 h, de Port St Louis du Rhône, en Camargue.

L'euphorie du départ
Tout allait pourtant formidablement bien, les derniers jours à Grenoble se sont précipités dans l'euphorie, l'excitation du départ, des derniers préparatifs, les cartons, les démarches administratives, la vente de la voiture, la remise des clefs au locataire de la maison. Mais surtout des marques d'amitié et de reconnaissance fabuleuses au cours des soirées multiples organisées par les collègues de boulot et par les amis. Le clou de cette vague d'euphorie, fut la chaleureuse soirée organisée par surprise par nos familles et amis au "Pass'Port", le restau de Port St Louis, pour fêter notre départ.

 

Et voila quelques photos prises sur le quai avant le départ.

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Le lendemain matin, jour du départ, la météo était favorable. Préparation fébrile du bateau avant de quitter le quai, dernière vérification de la check-list. Une trentaine de nos visiteurs se relayent à bord pour visiter le bateau, poser des questions, s'inquiéter des derniers détails, assouvir leur curiosité, rêver un peu a l'idée que leurs amis, leurs parents vont d'ici une heure prendre la mer pour une année de navigation.

Le moteur ronronne doucement, l'amarre est larguée, les mouchoirs s'agitent sur le quai. Tout au long de la jetée de 4 km, nous les verrons courir, crier, chanter, pleurer, comme pour prolonger ces dernières minutes chaleureuses et inoubliables.

Etape interrompue: l'accident de Laurent
Pour cette première étape, où nous devons rejoindre le sud de l'Espagne en passant par les îles Baléares, nous sommes accompagnés par ma fille Lorette et son fiancé Laurent. Une manière pour eux de passer de superbes vacances et de s'assurer que nous partons d'un bon pied, bien équipés et bien préparés.

200 Miles nautiques nous séparent de l'île de Minorque. Le golfe du Lion est devant nous. Rapidement, la jetée de Port St Louis disparaît dans le sillage. Notre cap est plein sud. La météo est bonne avec un vent du nord de force 3 a 4, de secteur nord-ouest. La mer est agitée: en milieu d'après midi, Laurent prend le mal de mer. En soirée, c'est au tour d'Evelyne, puis de Lorette. Deux seaux sont à leur disposition. Je suis également nauséeux, mais à la barre, ça va. Vers 22 h, le vent du nord se renforce, jusqu'à force 7. On prend un ris dans la grand voile. La mer gonfle pour former des vagues de 3 m. Le bateau file vite, à 8 noeuds, avec des pointes à 11 noeuds dans les surfs. On réduit encore le génois et prenons 3 ris dans la grand voile, afin de soulager le bateau, et reposer l'équipage. Je fais reprendre le frein de bome. L'état de Lorette et Laurent ne s'améliore pas. Je les encourage à aller s'allonger dans leurs couchettes, mais sans succès. Ils veulent rester dans le cockpit, assis sur le banc tribord, en somnolant.

Le ciel étoilé se couvre parfois. Quelques averses nous rafraîchissent. Nous sommes tous en cirés, harnachés, comme toujours par navigation de nuit. Une vague vient déferler sur le côté et s'abat sur nos cirés.

Vers 1 h du matin, alors que je relaie Evelyne à la barre, une vague dévie l'arrière du bateau, et c'est l'empannage. Le frein de bome ne remplit pas son rôle. La grand voile passe rapidement sur tribord. Son écoute accroche au passage la tête de Laurent et va la plaquer contre la cloison du cabinet de toilette, à l'endroit ou elle fait un angle avec le roof. Laurent passe du sommeil à l'inconscience. Il a le visage inondé de sang. Lorette s'affole puis se reprend rapidement pour réveiller Laurent et lui parler. Je passe le bateau à la cape. On allonge Laurent sur le banc du cockpit, ouvre le haut de son cire, découvre et nettoie ses blessures. Il a l'arcade sourcilière droite largement ouverte et son oeil fermé et gonflé. Il saigne du nez et de la bouche. Il se plaint d'une douleur au genou. Les compresses, puis linges sont la pour arrêter l'hémorragie. On n'ose pas le bouger. On le recouvre de 2 duvets, lui installe des oreillers. Il a froid, alors on décide de le descendre sur la couchette du carre, à l'abri. Lorette le soigne, alors que je lance un "PAN PAN" a la VHF (le PAN PAN est la procédure d'appel d'urgence pour les navires). Le Cross Med de Toulon me répond, puis un navire espagnol qui se trouve sur la zone. La réception radio est mauvaise. J'obtiens un télé diagnostic d'un médecin commandité par le Cross Med, et administre les premiers médicaments à Laurent. Nous décidons ensuite de le faire évacuer. Grâce a notre position GPS, un hélicoptère de la base aéronavale est sur zone une demi heure plus tard. Il nous localise rapidement dans le feu de son puissant projecteur. Un plongeur en combinaison est mis à l'eau derrière le bateau. Une amarre à l'arrière et l'échelle lui permettent de prendre pieds a bord. Il nous propose d'évacuer Laurent, en l'envoyant d'abord dans l'eau, puis en l'amarrant au filin de l'hélicoptère. Vu l'état de Laurent, et par crainte d'un stress que pourrait provoquer sa mise a l'eau, de nuit, dans cette mer forte, je refuse cette proposition pour l'instant.

L'hélicoptère est en manque de carburant. Il doit retourner se ravitailler a St-Mandrier, d'où nous sommes éloignés de 80 miles nautiques (environ 150 km). Ce n'est que 4 heures plus tard, au petit matin, que l'hélico revient. Nous sommes inquiets pour Laurent. Pendant ce temps, le plongeur est resté assis à l'arrière du bateau, en prise avec un terrible mal de mer. Nous proposons à l'équipage de l'hélico, une procédure d'évacuation plus délicate, mais plus rassurante pour Laurent. Il sera assis a l'arrière du bateau avec le plongeur, on récupèrera le filin de treuillage et on le mousquetonnera sur Laurent et le plongeur. Le pilote de l'hélico accepte.

Les minutes qui ont suivi forcent l'admiration pour le pilote de l'hélico, sa dextérité et sa maîtrise de son engin, malgré le vent à 35 N, la mer forte, et la présence du portique arrière de notre voilier, qui rendait la manoeuvre plus délicate. En vol stationnaire, à 25 m au dessus de l'eau, l'hélico avance lentement, et centimètres après centimètres, on voit le filin s'approcher du portique. Avec la gaffe, on l'attrape et le mousquetonne sur le harnais de Laurent et du plongeur. Lorette serre la main de Laurent un dernière fois. On le rassure. Dans 2 minutes, il sera au chaud dans les couvertures de l'hélico et dans une demi-heure, à l'hôpital militaire de Toulon. Le treuil s'actionne, l'hélico recule. Le plongeur et Laurent sont traînés quelques mètres dans l'eau puis remontés dans l'appareil. Laurent a le temps de nous faire un signe de la main. La porte de l'hélico se ferme et son bourdonnement s'éloigne rapidement vers le nord. Lorette craque et pleure...

Doucement, Evelyne et moi préparons le bateau. La chute du génois est en lambeaux, sous le ragage de cette cape de 5 ou 6 heures. On l'amène et envoyons le tourmentin, sortons le bateau de sa cape. C'est sous pilote automatique que nous faisons route vers l'ouest. 24 h plus tard, nous arrivons dans la baie de Rosas (Costa Brava) ou nous nous amarrons dans la marina d'Ampuriabrava. Le pilote automatique venait de griller. Lorette est épuisée par le manque de sommeil, la fatigue nerveuse et le souci qu'elle se fait pour Laurent. Elle s'est montrée très forte avec Laurent, pour le rassurer, le garder éveiller, le soigner. Puis elle craquait, dans un autre coin du bateau. Après une soupe et 2 heures de repos, Lorette et moi prenons la route de Toulon, à 500 km d'ici pour rendre visite a Laurent que nous trouvons sur le chemin de la guérison. Trauma crânien, hématome extra dural et fracture frontale devraient se résorber avec quelques semaines de repos. Pendant ce temps, Evelyne nettoie et range le bateau. Petit a petit, les traces de l'accident vont s'effacer, du bateau, de nos têtes, et nous l'espérons de la santé de Laurent.

Nous sommes choqués, et désolés par cet accident, pour les vacances gâchées de Lorette et Laurent, et pour le souci que nous avons causé aux nôtres. Cet accident terni le début de notre projet. Pendant les nuit qui suivirent, les images de l'accident nous réveillent, nous revoyons tous les détails et analysons sans fin les causes et les mesures à prendre afin de ne plus connaître cela. Ils nous faut plusieurs jours avant d'avoir envie de reprendre la mer.

Merci a tous ceux qui nous ont aidés et qui ont soutenu Laurent pendant cette épreuve.

Evelyne et Gérard

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