Novembre 2000 - Descente vers le Cap Vert ou 6 jours de surf dans l'alizé


Jean-Marc et Clothilde s'amarinent
A Gran Canaria, Jean-Marc et Clotilde me rejoignent sur Boisbarbu. Deux jours de cabotage autour de l'ile vont leur permettre de se familiariser avec le bateau, de réviser les manoeuvres de base, et de s'amariner avant de s'engager dans une longue traversée. Une journée de bricolage intense à Puerto Rico (petit port du sud de Gran Canaria) pendant laquelle nous réparons les multiples petites avaries survenues entre Gibraltar et les Canaries. Nous couronnons ce jour de labeur par une bonne mousse prise au café du port, un coup de fil aux parents pour leur dire de ne pas s'inquiéter et que les prochaines nouvelles leur arriveront du Cap Vert, dans une dizaine de jours.

Surf dans l'alizé
Il est temps de larguer l'amarre, avant le coucher du soleil, et d'aller assister à ce spectacle quotidien en mer. Les habitations de Puerto Rico disparaissent tout juste dans le sillage, que le vent de nord-est s'installe, s'impose et s'amplifie. Il transforme rapidement l'océan en une mer formée, ou les vagues créées par le vent et la longue houle d'Atlantique viennent rentrer en résonnance. Et tous les quart d'heure, c'est un train de 3 belles vagues qui viennent successivement soulever la poupe du bateau, la pousser puissament sur le côté, ou entraîner toute la coque dans une descente rapide et bruyante. Les vagues déferlent, quelques longueurs derrière Boisbarbu. Parfois, l'une d'entre elle prend une forme plus abrupte et vient s'affaler, s'écraser contre la jupe arrière. On est alors inondé d'un bain de mousse inconsistante, et pendant un court instant le bateau flotte, mal porté par cette écume qui bouillit dans un vacarme assourdissant.

J'essaie par ces quelques phrases de vous faire percevoir ce que l'on peut voir, entendre et ressentir à cette occasion. Je peux vous assurer que ce sont des moments inoubliables, à la fois inquiétants et tellement agréables. Le barreur, surtout le barreur, observe cette vague, la ressent dans le mouvement du bateau, dans l'accélération que lui imprime la vague, dans le vrombissement de l'écume. A la fois il la redoute cette vague, mais en même temps il tente de s'en servir pour faire démarrer son bateau comme une planche de surf. Et alors quand ca marche, ce surf que l'on voudrait interminable, est un moment, certes éphémère, mais d'immense plaisir. Et de vagues en vagues, c'est un moment qu'on recherche et dont on se souviendra longtemps.

Pendant cette traversée des Canaries au Cap Vert, nous avons eu la chance de renouveller cette expérience pendant six journées et six nuits. L'alizé était stable et fort : de nord-est, de force 5 à 7, assez régulier. Ce qui nous a permis de parcourir ces 850 miles à raison de 150 à 165 miles par jour, ce dont nous sommes trés fier. Bien sûr, rien à voir avec les performances des coureurs du Vendée Globe qui parcourent 400 miles en 24 h. Mais notre optique et notre matériel sont bien differents. Nous cherchons à durer longtemps, à ne pas fatiguer le matériel ni l'équipage. Alors j'envoie la toile avec prudence. Le soir venu, on reprend un ris supplémentaire et quelques tours de génois, juste au cas où la nuit nous réserverait des surprises. En fait, le deuxième jour, j'ai même essayé d'affaler la grand voile, et de naviguer sous genois seul. Boisbarbu était beaucoup plus facile à manier à ces allures de vent portant, et la vitesse ne s'en ressentait guère. Alors, c'est sans grand voile que nous avons atteint le Cap Vert quelques jours plus tard.

Cap Vert !
C'est le 21 Novembre au petit matin blafard, que nous avons vu apparaitre la silhouette de l'île de Sao Vincente du Cap Vert. Des montagnes volcaniques que vous avez certainement déjà vu sur une carte postale ou dans vos livres de géographie. Une vision inoubliable. Un paysage trés sauvage et abrupte. Une approche pas évidente, nécessitant une navigation soignée pour s'introduire dans la passe de Sao Vincente et en éviter les pièges, au moment même ou la proximité de l'ile voisine provoque un effet Venturi très important (le vent a rapidement doublé de vitesse). Aucun des 3 phares mentionnés sur les cartes ne fonctionnaient. Fort heureusement, le GPS existe et une fois de plus, nous a amener au bon endroit. J'ai même du me servir du radar, pour conforter l'analyse du GPS par une vision des côtes et falaises environnantes.

Vers 8 h du matin, l'ancre est jetée, au milieu de nombreux autres voiliers, la plupart européens, qui comme nous decouvrent cette île magnifique. Après avoir rangé le bateau, nous debarquons sur l'île pour remplir les formalités administratives auprès du service d'immigration et des autorités portuaires, avant de visiter cette charmante petite ville de Mindelo, capitale culturelle du Cap Vert, d'où est issue la célèbre chanteuse Cesaria Evora.

Jean-Marc bredouille
Pendant cette traversée, Jean-Marc s'est beaucoup consacré à la pêche à la traîne. Le vendeur du magasin de pêche de Port St Louis m'avait promis qu'en Atlantique, il suffisait d'envoyer la ligne de traîne, pour que rapidement on voit un thon dans notre assiette. Et bien non ! Malgré les heures de pêche quotidiennes, nous n'avons rien pris. Seule une mouette semblait trés attirée par cet appât fluo qui sortait souvent de la vague. Fort heureusement, elle ne s'est finalement pas jetée dessus. Qu'aurions nous fait avec une mouette cerf-volant ?

La nuit, quelques poissons volant venaient s'échouer sur le pont. Nous les rejetions a la mer. L'un d'entre eux a même été utilisé comme appât, mais sans succès. Décidement, la pêche, ca doit être plus technique que ce qu'on pensait. Au cours de nombreuses années de navigation, j'ai souvent eu un pêcheur à bord, convaincu qu'il allait nourrir le bord grâce à son fil de traîne. Et bien nous sommes toujours rentrés bredouille.


Manipulation sur le Vendée Globe
Certains d'entre vous m'ont demandé si nous verrions le Vendee Globe. En raison du report de leur départ de France, nous n'avons pas pu attendre et assister à leur passage du checkpoint des Canaries, à 10 mîles au nord de Gran Canaria. Dommage. Chaque jour, j'étais pendu au magazine de la mer de RFI (Radio France Internationale), à 11h45, qui fournit des reportages très intéressant sur cette grande course à la voile.

Une petite anecdote merité d'être notée, lors d'une interview en direct d'Eric Dumont. Il déclarait qu' il était en pleine pétole, avec peu de vent, à son passage aux îles du Cap Vert. Nous étions au même endroit, et je peux vous dire qu'il y avait du vent. Cette interview était donc pour lui un moyen de fournir de fausses informations à ses concurents afin de les inciter à tenter une autre route, pendant que lui, profitait d'un bon vent du nord. Comme quoi l'intoxication de l'information fait aussi partie de la tactique de ces sportifs de haut niveau.

Bien, je vous laisse pour ce soir. Les heures de quart de ces derniers jours m'ont un peu usé. Mes paupières tombent. Je vais prendre un sommeil reparateur, heureux d'avoir pu terminer cette première phase de notre voyage. Nous sommes par 17 degrés de latitude nord et 25 degrés de longitude ouest, aux portes de la traversée de l'Atlantique...


Gérard

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