Au revoir l'Europe, bonjour l'Atlantique d'un message de Samuel

Suite à un message sur mon répondeur, voila quelques nouvelles de Boisbarbu.

Samedi 4 Novembre 2000 au matin, Boisbarbu quitte Algésiras (à l'ouest de Gibraltar) avec à son bord Marc, Odile, Denis, Evelyne et Gérard. Ils quittent l'europe en direction des Canaries. Nous serons donc sans nouvelles pour les 10 prochains jours.Le moral est au beau fixe, le bateau fonctionne bien après quelques jours avec un vent dans le nez de 6 à 7 Beaufort. La mer a été forte jusqu'à Gibraltar qui a été dépassé par temps calme.

Samuel

 

 

Haute-mer

800 miles nautiques séparent Gibraltar des Canaries. Note: 1 mile nautique = 1852 m, ce qui correspond à une minute d'angle sur un méridien (séquence éducation). Je prévois 7 à 8 jours pour parcourir cette distance. Nous en mettrons 5.

Pour parvenir au Canaries, le plus sûr est de s'écarter largement de la côte marocaine, afin d'éviter les effets du plateau continental, et d'avoir de l'eau à courir en cas de mauvais temps ou d'avarie. Les quarts s'organisent : Marc, Gérard, Evelyne, Denis, Marc... se succèdent toutes les 2 heures à la barre pour faire avancer le bateau et veiller à ne pas entrer en collision avec d'autres navires. Odile, atteinte d'un fort mal de mer, est mise hors quart. Couchée dans le carré, elle rejette tout ce qu'elle absorbe.

Denis avait raison
La première nuit est calme, le vent du nord, force 3 nous pousse dans la bonne direction. Puis il tourne au sud-ouest, nous imposant une journée au près. Le bateau tape. Nous progressons lentement, et pas vraiment sur le bon cap. Je capture une carte météo envoyée par l'émetteur d'Hamburg. Sa qualité est parfaite : aucun parasite dans cette zone. Apres l'étude de la situation météo, Denis est convaincu qu'il faut poursuivre notre route encore plus a l'ouest, pour trouver une perturbation et un front froid qui devrait provoquer une renverse du vent. Une fois de plus l'excellent jugement de Denis fait ses preuves. Il avait raison. Mais alors quelle renverse ! Vers 18 h, le ciel est noir, il pleut, le vent refuse, la visibilité est très faible. Une heure plus tard, le vent tourne au nord-ouest et souffle à 30 nœuds, en rafales. On prends 2, puis 3 ris. Les grands surfs sur la houle de nord-ouest commencent.

Vive la houle !
Les 3 jours qui suivent vont se succéder à la même allure. Le vent varie de 20 a 32 nœuds. Des grains se succèdent et viennent renforcer le vent. La mer est très forte. Combinées à la longue houle d'Atlantique, les vagues peuvent devenir très hautes (5 a 10 mètres, selon les mesures de Marc qui utilise son altimètre de précision !) Cette puissante houle pousse Boisbarbu dans d'interminables surfs. Nous avons volontairement sous-toilé Boisbarbu afin de se laisser une marge de sécurité, en particulier de nuit.

Chaque soir, nous prenons un ris supplémentaire et quelques tours d'enrouleur de génois. Il force moins à la barre et ménage l'équipage déjà trop chahuté. Nous tenons les quarts a 2 personnes: Denis et Marc, Evelyne et Gérard. Odile est toujours très malade. Elle reste allongée, ne mange plus, somnolent pendant 5 jours qui lui semblent interminables. Je crois qu'elle ne remettra plus le pieds sur un bateau.

Seuls Denis et Gérard se sentent de barrer dans ces conditions de mer forte. C'est assez curieux de constater que dans cette immensité de l'océan, le barreur doit limiter sa route entre le départ au lof, et le risque d'empannage au vent arrière. Cela lui laisse une marge de 30 degrés sur laquelle il porte toute son attention pendant ses 2 ou 3 heures de barre. Puis tombant de sommeil, il va se reposer jusqu'au réveil toujours trop rapide que lui impose l'autre quart, 2 heures plus tard. Mais alors, quel régal à la barre quand on prends cet exercice comme un jeu. On se croirait en surf sur une planche a voile.

Triste arrivée aux Canaries
5 jours après avoir quitté Gibraltar, nous touchons la terre des Canaries, sur l'île de Lanzarote, heureux d'avoir pu négocier dans cette mer imposante et d'avoir connu les impressions du grand large. C'est la qu'Evelyne apprend le décès de son père. Nous organisons son voyage express pour la France. Son départ sonne comme un déchirement. Je devrai rester à bord, pour convoyer Boisbarbu sur Gran Canaria, à 90 miles de là, en compagnie de Denis, réparer les quelques avaries dues à la traversée, et accueillir Clotilde et Jean-Marc qui feront étape avec moi vers les îles du Cap Vert. Odile et Marc ont du quitter le bord a Lanzarote afin de permettre à Odile de se rétablir de son mal de mer. L'absence de nourriture pendant 5 jours l'a fortement affaiblie. Plusieurs malaises sur le quai, l'encouragent à consulter un médecin immédiatement. Du repos, une bonne réhydratation et une reprise progressive de nourriture devraient lui permettre de vite se rétablir. En tout cas, elle fut exemplaire tout au long de cette traversée, car en dépit de son violent mal de mer, jamais elle ne s'est plainte et a su limiter les demandes au reste de l'équipage, déjà très éprouvé par la marche du bateau. Ce fut une grande et belle étape, aux émotions fortes, qui a soudé un peu plus les 5 membres de cet équipage, ou les relations d'amitié et d'entraide ont été exemplaires et très chaleureuses.

Gérard

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