Lorient-Marseille :
le convoyage d'Hydra, alias Boisbarbu
Septembre 1999
Convoyage, de Lorient à Marseille: 18 jours de vent arrière !
J'avais souvent parlé aux amis marins, de mon projet de voile. Et bien voilà, le réve se réalise. J'ai acheté un superbe Feeling 1090 des chantiers Kirie. Il est basé à Lorient (Morbihan), à la base militaire de Kernevel. Pour le ramener sur la cote méditerranéenne, il me faut l'aide de quelques copains de voile, équipiers ou skippers confirmés. Je ne connais pas encore ce bateau, qui n'est pas équipé pour une telle traversée, alors pas question de partir à deux, Evelyne et moi.
Nous formons 3 équipages de 5 personnes. Superbe opportunité pour nos équipiers de naviguer sur d'autres flots, d'avoir une expérience de navigation hauturière, et de participer à un beau périple en traversant le Golfe de Gascogne, longeant les cotes sauvages du Portugal, passant Gibraltar, remontant la cote espagnole, faisant un stop aux Baléares, avant de remonter le golfe du Lion pour atterir sur Marseille.
Avec un départ le 6 Septembre, lendemain de mariage de ma nièce Manu, les équipages se succèderont tout au long des 3 étapes:
- Lorient, Cap Finistère, Vigo, Porto, Lisbonne (550 milles)
- Lisbonne, Cadix, Gibraltar, Malaga, Almeria (500 milles)
- Almeria, Cartagena, Ibiza, Majorque, Minorque, Marseille, Port St Louis (650 milles)
Bien que les lieux et heures de rendez vous étaient difficiles à tenir (toujours imprévisible en mer), la chance et la détermination nous ont amenés aux lieux de rendez vous à l'heure près ! Une vraie course contre le temps. Le rendez vous le plus spectaculaire fut celui de Lisbonne, ou Boisbarbu arrive au port une demi heure avant la voiture de location transportant l'équipage de Grenoble à Lisbonne. Quand le premier équipage rapporte la voiture à l'agence Hertz de Grenoble, le préposé de l'agence n'en croit pas ses yeux en relevant le compteur: 4600 km en 48 heures !!!
Dimanche 5 Septembre 1999
Patrick, Olivier, Pascal, Evelyne et moi avons passé la journée dans le train, de Grenoble à Lorient. La nuit a été courte, très courte, pour cause de mariage dans la famille. Il fait encore soleil sur Lorient lorsque sur la base militaire, un bosco nous emmène en annexe à bord de Boisbarbu (qui s'appelait alors Hydra), amarré à un corps mort. Il est 18 h et il ne nous faut pas plus d'une heure pour ranger nos affaires, préparer la voile et larguer l'amarrage. La météo est favorable, et nous sommes très impatients (et inquiets) d'essayer ce bateau dont nous avons tant rêvé. Cap au large, perpendiculaire à la cote pour s'engager dans la traversée du Golfe de Gascogne pour une traversée de 80 heures sur ce voilier que l'on découvre juste. On est gonflé. On s'écarte du sud de Groix au coucher du soleil, et commençont cette traversée par un bon diner de diots et crozets, arrosés de Chateauneuf du Pape. Le vent de travers, nord-ouest force 5, est favorable. Il nous pousse à 7 nœuds et les lumières de la côte disparaissent rapidement. La vie à bord s' organise : les quarts se succèdent. Quarts de 3 heures, à 2 quand le vent est fort, ou seul quand les conditions sont très faciles. De nuit, nous sommes toujours harnachés au bateau.
Deux de nos équipiers sont malades pendant les 24 premières heures. Puis ça ira mieux pour tout le monde, en dépit d'une mer toujours formée et d'une longue et impressionnante houle du large. La nuit est froide et très humide. Le jour, nous sommes en short et tee-shirt. Tiens, voici les dauphins, qui nous accompagnent dans le sillage, puis le long de l'étrave. Ils semblent nous regarder en riant. Nous voudrions leur parler. Ils s'amusent pendant une demi-heure avec notre étrave, font la course sous la quille, sautent sur les cotés du bateau, sous nos yeux émerveillés. Ils viendront de nombreuses fois, généralement au petit matin, en troupeaux. Parfois une vingtaine.
Le plancton scintille dans le sillage argenté.... Deux énormes baleines nous accompagnent à quelques mètres sur tribord. Majestueux.
Des éclairs violents viennent illuminer ce ciel noir sans nuage.
Loin des cotes, la réputation du Golfe de Gascogne nous fait parfois frémir.
Plusieurs fois, nous apercevons aussi des baleines. Les plus impressionnantes ont été ces 2 baleines qui nageaient dans la même direction que nous, à 10 mètre sur notre tribord. Elles sont magnifiques, somptueuses. Mais énormes : 2 fois la longueur de notre bateau. Un peu inquiets, nous nous en écartons afin de ne pas risquer un coup de queue dans le safran.
Dans la 2ème partie du golfe de Gascogne, le vent devient franchement défavorable. En plein dans le nez : du sud-ouest. Cela nous prend beaucoup de temps pour gagner le cap Finistère que nous franchissons enfin le jeudi 9 Septembre a midi. Nous arrosons ça avec la bouteille de champagne. Voilà 80 heures que nous sommes au large et pas un seul bateau dans ce désert mouvant de Gascogne.
Jeudi 9 Septembre
Terre ! Terre ! vers l'est se dessine le cap Villano, puis le Torinana, puis le cap Finistère ou les dauphins nous accompagnent.
On ouvre le champagne pour arroser ce passage et on envoie le spi.
Un contact téléphonique est établi pour rassurer nos parents.
Maintenant, c'est la côte ouest de l' Espagne et du Portugal, qu'il faut dévaler en vitesse pour ne pas rater notre rendez vous de samedi après-midi à Lisbonne. Le vent est généralement faible (10 a 15 nœuds). Quelques heures au moteur, surtout la nuit. Cela permet de recharger les batteries efficacement. Les 2 panneaux solaires actuellement en place ne sont pas suffisant pour fournir l'énergie nécessaire à tous les équipements du bord, les plus gourmands étant le frigo et le pilote automatique.
Nous sommes très agréablement surpris par les qualités du bateau, et par son parfait état de fonctionnement. Sa vitesse est surprenante, que ce soit au près, ou au portant, il est particulièrement rapide et très équilibré, facile à la barre. Il a peut-être tendance a taper au près, quand il retombe dans la vague. Le pilote NKE est vraiment très performant et barre parfaitement, même par mer formée. Il nous sera d'une grande assistance. Cette semaine nous confirme le bon choix de ce voilier. Il est parfait pour notre programme de tour de l'Atlantique nord.
Dans la soirée, nous doublons les iles Ciès devant Vigo, que nous dédaignons à regret. Lisbonne est encore loin, notre vitesse n'a pas été fameuse, et les copains du second équipage ne doivent pas attendre. Je me promets d'y revenir un jour mouiller l'ancre de Boisbarbu. De savant calculs de navigation nous donnent une estime de notre arrivée à Lisbonne. Ca va etre très juste. Nous devons faire avancer le bateau, peaufiner les règlages, sous spi au maximum.
Samedi 11 Septembre
On évite un chalutier de justesse. Empannages avec Evelyne.
On essaye les allures avec voiles en ciseaux. Très instable par cette mer mouvementée et des vents capricieux. Rouli rythmique désagréable, on renvoie le spi.
Au passage du cap Roca, on est surpris par un coup de vent subi et surement local: 43 N ! Prise de ris et virement musclé près du cap Raso.Arrivée à Lisbonne le samedi vers 14h, sous le soleil, très heureux de cette première étape de 770 miles. La mer de Gascogne et de l'ouest Portugal a bien voulu nous laisser passer... Merci la mer.
L'arrivée dans le golfe de Lisbonne est émouvante. Les yeux rivés sur la tour de Belem, d'ou Christophe Colomb est parti découvrir le nouveau monde, nous savourons cette arrivée. Séquence émotion.
A 14h nous sommes à quai du port de Belem, pour refaire le plein d'eau et de fuel. A 16h une voiture de loc s'arrete. Yves, Emmanuelle et Olivier en sortent. Nettoyage du bateau, déchargement du 1er équipage, installation du 2ème. Petite croûte, photo de famille et s'est reparti pour la deuxième étape : Gibraltar.
Après embrassades, retouvailles pour les uns, et au revoir pour les autres, le tout bien arrosé, nous larguons l'amarre de Lisbonne vers 19h. Nous quittons le Tage, par un puissant vent de 30 nœuds. Les nouveaux équipiers prennent leurs marques sur le bateau, s'installent se reposent de leurs 2000 kms en voiture. Les quarts se succèdent. Un taquet coinceur éclate sous la tension de la drisse de génois. Le vent est plus soutenu que la première semaine et il nous faut 15 h pour couvrir les 100 premiers miles, en vent arrière.
Un vent du nord à 30 N nous cueille et nous pousse rapidement vers le sud du Portugal. Ca tombe bien, c'est là qu'on va. Je suis de quart depuis 4 h du matin, et décide de laisser dormir mes équipiers. Je sens bien le bateau, il glisse et surfe sur les vagues. Il répond bien sous la barre. Moments d'antologie au petit matin en passant le cap St Vincent. J'apprends les empannages seul sur le pont et prends un réel plaisir à surfer ces vagues, conduire le bateau à travers ce dédale de creux et de bosses. Je me croirais a ski. Le pilote automatique répond bien dans ce vent arrière. Je suis rassuré et enthousiaste quant aux performances et maniabilité d'Hydra, futur Boisbarbu.
Le temps est magnifique, la mer est toujours froide : 13 degré. Même température qu'à Lorient, alors qu' on est à 37 degré de latitude nord (Lorient était a plus de 47 degré).
Lundi 13 Septembre
Nnous venons de passer une journée et une nuit dantesques : vent fort de nord à nord-ouest. Le bateau dévale de Cap St Vincent à Cadix à 8 ou 9 nœuds, avec des pointes a 10,5 nœuds. La mer est grosse. Le bateau se comporte parfaitement à toutes les allures portantes, il est facile à la barre.
Fort de notre avance sur le planning (on vient de faire 270 Miles en 40 h, depuis Lisbonne), on fait escale a Cadix, histoire de se faire propre et de voir la "Belle" (de Cadix).
Nous quittons Cadix sous spi pour passer le cap Trafalgar pendant le diner: là ou Nelson nous a mis la patée.
C'est à 1 h du matin que nous nous faufilons dans le port de Barbate di Franco, pour n'embouquer le détroit de Gibraltar que demain, en plein jour.
Le lendemain, grand moment du parcours pour passer Gibraltar : une longue journée de navigation avec de forts vents et courants, des marches d'escaliers sur la mer. Du trafic de gros bateaux sur le rail. Mais une journée magnifique, tout au portant. Boisbarbu continue de surfer sur les vagues. Emanuelle est plongée dans la lecture du "Marin de Gibraltar" de Duras. Le rocher de Gibraltar est passé. On ouvre une autre bouteille de champagne...
Puis c'est la côte sud de l'Andalousie. Au fond, le mont Mulhacén culmine à 3400M. Nous nous prenons un sacré coup de vent un soir au large de Malaga. Même pas le temps de finir notre plat de crozets. Toujours du vent dans le dos. Avance sur le planning. Le bateau est vraiment rapide.
Dernier jour de cette 2ème semaine, le spi éclate par 18 nœuds de vent arrière. Ce devait être un spi léger. Les vents sont aussi très favorables. Ce qui nous permet de faire deux escales, et d'arriver a temps (le samedi 18 Septembre) au nord d'Alicante: à Altea.
Au diner, devant Marbella, un coup de vent soudain enfle la mer en creux de 5 metres, très courts. Prise de ris agitée. Les crozets et les diots au Porto, sont répandus sur les planchers du carré !
C'est donc le mardi soir à 22h30 que nous entrons dans le port de Benalmadena, pour se déguster un premier chi-oua-oua.
Jeudi 16 Septembre
On déchire le spi, par 16 N de vent d'ouest. Ce spi est très leger, probablement à limiter à 15 N.
Remontons la Costa del Sur.
La nuit, le passage du cap de Palos est rendu délicat par des centaines de bateaux de peche qui éclairent la mer de manière désordonnée. On s'y perds.
Le lendemain: relache dans la marina d'Alicante.
Samedi 18 Septembre
Changement d'équipage dans le port d'Altéa. Super ambiance entre les deux équipages qui font connaissance autour d'une table de tapas bien arrosée, dans une bodega espagnole, avant de reprendre la mer.
Les nouveaux équipiers -Raymond, Marc et Christian- sont vite amarinés.
La transition est brutale pour notre troisième équipage, dans une mer mauvaise et un coup de vent toute la nuit, avant que nous trouvions refuge dans le port d'Ibiza (Balèares). Le temps est dégradé. Il pleuvra toute la journée. Journée de repos que nous mettons à profit pour visiter Ibiza: étrange lieu de rencontres d'individus glauques qui déambulent dans les rues, dés qu'ils se lèvent vers 15h !
Lundi 20 Septembre
Mer forte toute la journée. Vent puissant. Les vagues sont de plus en plus grosses, désordonnées, difficiles. On se croirait dans des marmites. On affale la GV et se fait tirer par le génois seul. Toujours 27 N de vent de sud ouest. Les vagues melées au ressac de la cote ouest de Majorque viennent de partout, bouillonantes. Un train de 3 grosses vagues nous rattrape et déferlent sur nous. Enormes (8m de haut). Grosse peur mais on maintient le cap. Christian à la barre, a bien négocié le piège et évité de rouler le bateau dans ce bouillon écumant.
A 21h, on est abruti, à l'abri dans le port naturel de Puerto Soller, fatigué, devant un whisky.
Le mardi soir, ce sera le beau mouillage de Cala Fontanellas sur Minorque, qui nous accueille. Baignade nocturne de l'équipage. L'émincé de bonite au citron, herbes, huile d'olive, est fameux pour l'apéro.
Le lendemain, nous hissons la voile pour notre dernière étape: la traversée vers Marseille du Golfe du Lion.
Le vent est toujours résolument au sud, sud-est, soutenu et régulier. Il nous remonte vers les côtes françaises en une quarantaine d' heures sur un seul bord de largue, sans jamais changer d'amure. De la grande voile, dans de grands espaces. Que demander mieux ?
Le jeudi soir vers 21h, on aperçoit le phare du Planier. C'est la terre. Les lumières de Marseille apparaissent à l' horizon, la " Bonne Mère ", le château d' If. Il y a immédiatement rupture dans l'ambiance de ce convoyage. Ce projet Lorient Marseille, que nous redoutions, est maintenant dans le sillage. Le chez nous est devant nous et nos regards sont déjà déviés par lui. Vers minuit, nous entrons dans le majestueux vieux port de Marseille que nous connaissons bien. Nous savourons avec délectation un whisky orange dans le cockpitt avant de nous endormir lourdement, heureux.
Vendredi 24 Septembre
Après une matinée cool à Marseille, et formalités aux douanes et affaires maritimes ou je fais modifier l'acte de francisation du bateau, pour qu'il prenne son nouveau nom: Boisbarbu. Ca y est, il s' appelle vraiment Boisbarbu. Nos équipiers nous offrent la cloche du bord. Mr Miscat, le broker qui m'a mis en contact avec le vendeur du bateau, mais ne l'avais jamais vu, vient visiter le bateau. Les copains m'attendent au bar de la Marine, pour une bière, une photo, l' échange de nos impressions, et un bon Aïoli.
Quelques heures nous séparent de Port St Louis, que nous rallions facilement, toujours au portant, pendant l'après midi. Blandine, venue chercher Christian, nous y attends. Le port et le capitaine sont sympas, à dimension humaine, avec ses deux boscos pret à aider et veiller sur les bateaux.
L'inverseur du moteur montre des signes de faiblesse et c'est la tête dans le moteur que Christian m'aide a faire la manœuvre de port.
On se quitte à regret. Cette traversée fut magnifique. Avec des conditions de mer parfaites. Les impressions dans le livre d'or, un dernier apéro, les grosses poignées de main, et nos amis partent.
Evelyne et moi passons notre dernière nuit à bord avant de nettoyer le bateau, ranger un peu et remonter à Grenoble dans une grosse voiture (une Lancia) qu'un gars du port nous prête in-extremis. Solidarité des gens de mer ! Quel bol ! Cette chance qui nous a accompagnés tout au long de ces 2050 miles est presque inquiétante.
En tout cas, nous avons adoré le bateau. Il s' avère être un choix parfait. Mais j'ai tout de même rempli des pages de choses à améliorer, ou à réparer. Ca va m'occuper quelques week-ends.
Mais ce qu'on a surtout apprécié, c'est la gentillesse, la compétence et l'attention de nos 9 équipiers qui se sont succédés à bord de Boisbarbu pour venir nous aider à avancer. L' ambiance chaleureuse et amicale du bord était remarquable. De grands moments.
Entre Marseille et Port St Louis, la dame du bord semble heureuse, et fière d'avoir réussi ce convoyage. Cà s'arrose ....
Samedi 25 Septembre.
On se retrouve a Grenoble, avec un peu le mal de terre, à raconter tout cela à nos familles. Mais il est difficile de trouver les bons mots pour exprimer les joies de ce voyage. Peut-être que le brillant de nos yeux, avec des reflets de vagues, y parviennent un peu mieux.